« Le fils d’une femme israélite sortit – et il [était] le fils d’un homme égyptien – au milieu des enfants d’Israël ; ils se querellèrent dans le camp, le fils de la femme israélite et un homme israélite. Le fis de la femme israélite proféra le Nom, il maudit ; ils l’emmenèrent vers Moché, et le nom de sa mère : Chlomit fille de Divri, de la tribu de Dan. » (Vayikra 24,10-11)
Rachi explique, sur les mots « et le nom de sa mère », que l’on fait l’éloge d’Israël, car en évoquant cet incident, on montre qu’elle fut la seule à se comporter avec immoralité. Et sur les mots « Chlomit » et « fille de Divri », il note que cela indique qu’elle saluait et parlait à tout le monde.
La Paracha de cette semaine termine par la tragique histoire du Mékalel, dont le père était égyptien et la mère juive. Il blasphéma le Nom d’Hachem et fut ensuite mis à mort. On évoque son ascendance dans la Parachat Chémot, la Torah raconte qu’un officier égyptien frappa un Juif. Rachi[1] précise que ce Juif était le mari de Chlomit, qui avait attiré le regard de l’égyptien. Ce dernier força le mari à se lever à l’aube pour aller travailler et en profita pour entrer chez cet homme et pour s’unir avec Chlomit, qui pensait alors être en présence de son mari. Le mari rentra chez lui et comprit ce qui s’était passé ; c’est alors que l’égyptien le frappa. Le Mékalel est le fruit de cette union illicite, entre Chlomit et l’égyptien.
On comprend difficilement pourquoi Rachi parle de Chlomit comme d’une prostituée. Elle semble parfaitement innocente de ce qui lui est arrivé ; elle n’était même pas consciente de ce qui se pasasit. Pourquoi est-elle jugée si sévèrement ?
Si elle est réprimandée, c’est que son attitude n’était pas complètement irréprochable. Rachi détaille sa part de responsabilité dans cet acte. Elle saluait tout le monde, d’où le prénom Chlomit. Rachi ajoute que le nom utilisé pour parler de son père est Divri, mais ce n’était pas son vrai prénom – cela fait référence à sa façon de discuter avec tout le monde. Le Midrach[2] raconte qu’elle parlait tellement qu’elle attira le regard de l’égyptien. Elle n’est donc pas complètement innocente de la naissance du Mékalel, et Rachi la considère comme une femme de mauvaise renommée.
Une question évidente se pose. Chlomit était apparemment très sociable, ce qui semble être une noble qualité. La Michna, dans Pirké Avot affirme d’ailleurs que l’on doit saluer tout un chacun, avant que l’autre ne nous salue[3]. Mais il faut savoir que même la meilleure des qualités peut être mal utilisée et transformée en défaut. Il est bien de saluer, mais cela ne concerne pas tout le monde, il faut parfois garder ses distances. D’ailleurs, le Choul’han Aroukh statue qu’un homme doit « beaucoup, beaucoup » s’écarter d’une femme[4]. Ainsi, même les qualités doivent être utilisées en conformité avec la Halakha et la conception de la Torah.
Cette idée est développée par le Rav Moché Feinstein dans son commentaire sur le premier paragraphe du Chéma. Nous avons l’obligation de servir Hachem de tout notre cœur. Mais dans le mot « ton cœur », la lettre Beth est répétée, comme pour dire « de tous tes cœurs ». Rachi explique que les deux penchants – le bon et le mauvais – doivent être au service d’Hachem.[5]
Pourquoi est-il nécessaire de nous demander d’aimer Hachem avec notre bon penchant ? Cela semble logique, le Yétser Hatov ne dirige-t-il pas automatiquement l’individu vers le bien ?[6]
Rav Feinstein répond que ce n’est pas forcément le cas. Si le Yétser Hatov était laissé sans guidance, il n’aurait pas nécessairement incité l’individu à accomplir la volonté divine. Sans la Torah, source ultime de morale, celui-ci aurait pu vivre selon sa propre définition du bien et du mal et se tromper. C’est en ce sens que le Yétser Hatov peut entrainer l’homme à mal agir.
C’est ce qui se produisit avec Chlomit bat Divri qui utilisa une qualité de manière désastreuse.
Comment éviter de tomber dans ce piège subtil ? Les actions de l’homme et ses traits de caractère doivent être canalisés vers le Ratson Hachem (la volonté divine). Si Hachem demande d’être affable et sociable, il faut s’y plier, mais si, dans certains cas, Sa volonté diffère, il faut s’y plier également. Cela concerne plusieurs traits de caractère qui sont généralement positifs, mais qui, s’ils sont mal utilisés, peuvent contredire la volonté divine – y compris la bonté, la charité et la miséricorde.
Puissions-nous mériter d’apprendre de l’erreur de Chlomit et de faire preuve de vigilance afin que nos actions et nos traits de caractère restent conformes à la volonté d’Hachem.
[1] Rachi, Chémot 2,11, s.v Maké Ich Ivri.
[2] Rapporté par Rav Issakhar Frand.
[3] Pirké Avot 4,20.
[4] Choul’han Aroukh, Even Haézer, Siman 20.
[5] Sifté ’Hakhamim Dévarim 6,15, sk 50.
[6] Darach Moché, Dévarim 6,15.