En conseillant Moché à propos de tout son système en matière de justice, Yitro lui préconisa de choisir pour l’assister « des hommes éminents, craignant D.ieu, amis de la vérité et ennemis du lucre » (Chémot, 18, 21).
Le fait que ces hommes doivent « craindre le Ciel » n’est pas surprenant : dans le cas contraire, comment auraient-ils pu juger ceux qui venaient tout juste de recevoir la Torah ? En revanche, l’exigence voulant qu’ils soient des « amis de la vérité » appelle une réflexion : n’est-il pas évident qu’un homme craignant D.ieu soit fidèle à la vérité ? Mais si Yitro jugea nécessaire de préciser explicitement ce point, c’est bien parce qu’il constitue l’une des qualités essentielles dont devaient être dotés ces hommes.
Le fondement du monde
L’importance capitale de la vérité au niveau collectif est attestée dans cet enseignement de Rabban Chim'on ben Gamliel : « Le monde se maintient sur trois choses : le jugement, la vérité et la paix » (Maximes des Pères, 1, 18). Selon Rabbénou Yona et Rabbi Ovadya de Barténoura, cela signifie que ces trois vertus sont des éléments tout à fait vitaux pour le monde, sans lesquels toutes les valeurs de la société s’effondreraient…
Nos Sages (voir Traité talmudique Chabbath, page 104/a) apportèrent la preuve de cette réalité en relevant que le mot « Emet » [vérité] apparaît en hébreu sous sa forme écrite à l’antipode du mot « Chéker » [mensonge]. En effet, les trois lettres qui forment le « Chéker » – à savoir le Chin, le Kouf et le Rech – ne reposent toutes que sur un seul et unique pied ; alors qu'à l’inverse, les lettres du mot « Emet » – le Alef, le Mèm et le Tav – ont toutes une base large et équilibrée.
C’est en ce sens que le roi Salomon proclame dans ses Proverbes (12, 18) : « La vérité est éternelle, tandis que le mensonge ne dure qu’un clin d’œil ». Rachi explique à ce propos que la vérité est une valeur constante qui se maintient toujours à l’épreuve du temps, tandis que le mensonge est éphémère parce qu’il n’a pas de « fondement » !
La source même de la Vérité
Dans son fameux ouvrage intitulé « Tomer Dvora », rabbi Moché Cordovero (le Ramak) explique que c'est justement parce que l’homme fut créé à l’« Image de D.ieu » qu'il doit se conformer aux exigences de cette « Image »… faute de quoi, il se verra confronté à une insurmontable contradiction interne ! Pour reprendre ses propres termes : « L’homme doit ressembler à son Créateur, afin qu’il soit conforme au secret de la Forme suprême – l’Image et l’Aspect. Mais s’il ne Lui ressemble que dans le corps et non dans les actes, il corrompt la Forme (…) », (chapitre 1).
Des propos semblables apparaissent également dans le livre « Or’hot Tsadikim », en particulier dans l’introduction au Portique de la Vérité : « L’âme humaine fut créée à l’endroit de Son Esprit sacré, comme il est écrit : ‘Il insuffla en lui une âme de vie’ (Béréchit, 2,7). Cette âme a été ciselée à partir d’un Lieu de Sainteté et fut créée avec l’Éclat suprême, depuis le Trône céleste. Or En-haut, à l’endroit du Saint des Saints, le mensonge n’existe pas, tout n’est que vérité comme il est dit : ‘L’Éternel D.ieu est vérité’ (Jérémie 10,10), (…) et le sceau du Saint béni Soit-Il est Vérité… ».
Par conséquent, celui qui use du mensonge s’éloigne forcément de D.ieu, la Source même de son âme. Rabbi Pin’has de Korits interprétait en ce sens le verset « De tout propos mensonger, tu t’éloigneras » (Chémot, 23, 7) : autrement dit, en proférant des paroles mensongères, on en vient fatalement à « s’éloigner » de son Créateur…
S’éloigner systématiquement de tout mensonge !
Le ‘Hidouché Harim note que l’interdiction du mensonge comporte une spécificité que l’on ne retrouve à aucun autre endroit et pour aucun autre commandement de la Torah. Pour l’ensemble des 613 Mitsvot, nous sommes en effet tenus d’établir des « barrières » censées écarter tout risque de violation. Mais si l’ensemble de ces barrières ne sont que d’ordre rabbinique, celle relative au mensonge est quant à elle imposée par la Torah, puisque le verset nous enjoint expressément de nous « éloigner de tout propos mensonger ».
Ceci peut s’expliquer par le fait que dans ce domaine, il n’existe pas de demi-mesure : une vérité partielle n’est ni plus ni moins qu’un mensonge ! Pire : il s’avère que souvent, une vérité partielle peut être plus grave qu’un véritable mensonge. Car si un mensonge « authentique » peut être facilement détecté, une demi-vérité s’avère plus crédible et donc nettement plus pernicieuse…
C’est en ce sens que les explorateurs envoyés par Moché avaient choisi de débuter leur rapport en faisant l’éloge de la terre d'Israël ! Et ce, souligne Rachi (sur Bamidbar, 13, 27), parce que « tout mensonge qui n’est pas introduit par quelque parole de vérité ne peut finalement avoir d'assise ». Quelques traces de vérité introduites ici et là dans un mensonge lui confèrent donc du crédit, et c’est pourquoi la Torah nous met explicitement en garde contre le fait de nous « éloigner » radicalement même d’un soupçon de mensonge.
On ne transige pas avec la vérité…
On disait de rabbi Raphaël de Bardich qu’il était extrêmement consciencieux dans ce domaine et que jamais on ne l’avait surpris à dire la moindre parole mensongère. Sa réputation était telle que même les non Juifs lui accordaient une confiance totale, tous étant assurés que sa bouche ne proférerait jamais une parole qui ne soit pas parfaitement conforme à la vérité.
On raconte qu’un jour, un Juif de sa ville fut arrêté par les autorités au motif qu'il était soupçonné d’avoir commis un « délit majeur ». Si ces soupçons se confirmaient, cet homme était passible d’encourir la peine capitale…
Mais le juge fit preuve d’une clémence particulière : il déclara que si rabbi Raphaël le Juste acceptait de témoigner en faveur de cet homme, il serait prêt à l’innocenter.
Le maître fut alors confronté à un cruel dilemme : d’une part, toute Mitsva doit être transgressée si elle peut écarter un danger de mort pesant sur un Juif - ce qui justifierait qu’un « pieux mensonge » soit proféré dans ce cas. Mais d’autre part, il se voyait incapable de prononcer la plus infime parole non conforme à la vérité… Rabbi Raphaël s’adressa donc au Maître du monde en Le suppliant de le sortir de ce cruel dilemme. Et de fait, sa prière fut exaucée dès le lendemain matin : son âme retourna auprès de son Créateur, sans avoir proféré le moindre mensonge…