Avec la Paracha de cette semaine, nous terminons le second livre de la Torah, « Chemot », le livre de l’ « Exode ». Nous achevons ainsi le processus de construction du Michkan « le Sanctuaire » initiée depuis plusieurs semaines, qui est un moment d’une grande solennité. Seul, Moché Rabbénou, le fidèle serviteur d’Hachem, parviendra à achever ce processus de construction et ériger la « maison de D.ieu » sur terre.
Evidemment, cette année, cette Paracha revêt une dimension toute particulière eu égard au climat troublé qui traverse le monde et qui contribue à faire perdre ses repères à l’humanité. Elle sera lue également en parallèle de la Paracha « Ha’hodech » qui précède le nouveau mois de Nissan et nous rappelle que cette période est considérée dans notre tradition comme celle du changement, du renouveau, de l’intensification de notre lien avec l’Eternel.
Le confinement auquel chacun est astreint ne peut laisser indifférent, de même que la fragilité de la nature humaine rappelée avec force. Les maîtres du hassidisme nous invitent « à vivre avec notre temps », c’est-à-dire, nous disent-ils, à essayer de trouver dans la Paracha de la semaine des enseignements susceptibles d’éclairer le quotidien. Nous aimerions ainsi essayer, avec l’aide d’Hachem, de trouver dans la Paracha de cette semaine ainsi que dans l’étude du talmud de cette semaine (Daf Hayomi) des éclairages sur les événements que nous vivons.
Tout d’abord, notre Paracha attire notre attention sur les artisans qui ont été choisis pour diriger la construction du Sanctuaire. Ils sont qualifiés comme des « Sages de cœur » « ‘Hakham Lev ». Cette remarque est intéressante car, contrairement à ce que l’on aurait pu penser, elle nous révèle que les artisans n’ont pas été choisis pour leur habileté technique ou leur grande expérience. D’ailleurs, le commentateur médiéval, Ramban, nous précise que personne ne possédait une telle science, et par conséquent, le choix des artisans a dû s’opérer sur d’autres considérations : la motivation, la détermination à réaliser ce que Moché leur demanderait, et de servir Hachem du mieux de leur capacité.
Là où le commun des mortels aurait naturellement baissé les bras, persuadé qu’il était incapable d’accomplir un tel projet, Betsalel et Aholiav, les artisans choisis par Moché ont « élevé » leur cœur et développé leur confiance en eux pour accomplir cette œuvre sainte, commandée par l’Eternel ; Il ont ainsi puisé au fond d’eux-mêmes, ils ont fait appel à ce qu’ils avaient en eux de meilleur, et sont parvenus à dépasser leurs limités et réaliser avec brio cette entreprise très ambitieuse.
Ce que nous révèle cet épisode réside notamment dans les grandes capacités de l’homme qui se logent dans son être qu’il ne soupçonne parfois absolument pas. Rav 'Haïm Shmoulevitz, un grand maître contemporain de l’éthique juive, rappelle ainsi que le Créateur a placé en chacun d’entre nous de très grandes facultés qui sont telles des trésors qui attendent à être découverts par l’homme. Or, ce dernier baisse parfois les bras trop vite, pensant que certains accomplissements sont hors d’atteinte. A l’image de Betsalel et de Aholiav, l’homme est appelé à renforcer son coeur et sa détermination pour permettre à ce potentiel de devenir réel (Si'hot Moussar, R. H. Shmoulevitz, Pr. F.H. Lumbroso).
Notre tradition nous rappelle à de nombreuses reprises que la sagesse authentique ne repose que sur celui qui la recherche de toutes ses forces. Un des plus beaux exemples offerts par la littérature biblique consiste dans la figure du Roi Salomon. Alors que D. lui demande ce qu’il désire obtenir, Salomon ne demande ni la richesse, ni une vie longue, ni la victoire sur ses ennemis mais simplement ce qui comptait le plus à ses yeux : un « cœur sage ». Et, de fait, le Roi Salomon atteindra une sagesse remarquable, il est parfois défini comme le « plus intelligent de tous les hommes ».
Une des illustrations de cette sagesse nous est fournie par les pages que nous avons étudiées cette semaine dans le Daf Hayomi. En effet, le traité du Talmud Chabbath nous rapporte deux décrets pris par le Roi Salomon qui vont avoir un impact profond sur la vie juive. Le premier consiste dans la possibilité d’établir un « 'Erouv » c’est-à-dire, à l’origine, de pouvoir mettre « en commun » une cour donnant sur plusieurs maisons et permettre donc de porter un objet entre une maison et une cour. Le deuxième décret avait pour objet d’imposer l’ablution des mains à tous ceux qui allaient consommer des « Kodachim » des « sacrifices ». Plus tard, ce décret sera élargi également à d’autres catégories d’aliments.
Or, lorsque Salomon a adopté ces deux décrets, notre tradition nous rapporte que le Créateur s’est réjoui et a notamment loué la sagesse du Roi Salomon « Mon fils, si ton coeur est sage, Mon coeur à Moi sera dans la joie »
Le Chem Michemouel nous explique pourquoi ces deux décrets relèvent d’une grande « sagesse ». Il développe notamment l’idée suivante : le Roi Salomon était réputé pour rendre la justice avec Sagesse. Or cet exercice est particulièrement difficile car il impose de déterminer le Vrai entre deux parties qui pensent parfois toutes deux être dans leur bon droit. Le juge doit aller au-delà et déceler le Vrai entre une vérité une autre, il doit faire preuve d’un grand discernement, d’une finesse et d’une clairvoyance toute particulière.
Or, les décrets relatifs au « 'Erouv » d’une part et à Nétilat Yadayim / l’ablution des mains relèvent de la même nature. Une maison et une cour sont deux domaines privés et pourtant ils sont distincts et il fallait, avec une grande subtilité, penser un aménagement particulier pour permettre de porter un objet entre eux durant le Chabbath. De même, les mains ne sont pas toujours impures et lorsqu’elles touchent une nourriture autorisée, il n’était pas évident d’imposer une ablution préalable. Et pourtant, le roi Salomon, dans sa grande sagesse, a compris les risques qui pouvaient survenir d’un manque de distanciation entre l’homme et sa nourriture. Il fallait symboliquement lui imposer un moment de retrait, de séparation qui l’empêche de faire corps immédiatement, instinctivement avec la nourriture. Il signalait ainsi à l’homme de manière plus générale, la nécessité de marquer un écart, une distance avec le règne du matériel, et ne jamais perdre de vue se dimension spirituelle qui doit être son objectif principal. L’ablution des mains, en imposant, un moment de recul avant de manger rappelle à l’homme son impérieux devoir de donner au matériel une élévation spirituelle, symbolisé probablement par le fait de lever les mains après les avoir lavées.
Le grand-père du Chem Michemouel, le fameux Rabbi de Kotsk, avait lui-même réfléchi à cette question profonde et avait apporté l’éclairage suivant : le décret sur le principe du « 'Erouv » rappelle à l’homme qu’il ne peut pas s’extraire des affaires du monde et qu’il doit agir dans la cité, dans la communauté, dans ce monde ; et, d’autre part, le décret sur Nétilat Yadayim rappelle qu’il faut aussi savoir, en son temps, ôter ses mains des affaires de ce monde pour construire sa vie spirituelle. La Sagesse du Roi Salomon est précisément d’avoir su accomplir ces deux dynamiques en son temps et lieu. (cf. Jacky milewski, Les mains propres).
Dans cette période troublée, où le monde entier accorde une importance toute particulière aux « ablutions des mains », les textes que la providence divine a voulu nous mettre sous les yeux, aussi bien à travers l’éloge de la « sagesse du cœur » dans notre Paracha et dans le Daf Hayomi, et leur lien avec « l’ablution des mains » prennent un relief particulier.
Ils nous rappellent, à tout le moins, un des enjeux fondamentaux de l’aventure humaine : trouver le bon équilibre entre notre dimension matérielle et notre aspiration spirituelle
Puisse l’Eternel nous aider à revenir vers Lui d’un cœur entier, à développer, chacun à son niveau, « un cœur intelligent ». Puisse Hachem libérer Ses enfants et le monde de l’épidémie qui les ébranle et leur envoyer prochainement le Machia’h.