« Hachem se souvint de Ra’hel, Il l’écouta et la rendit enceinte. Elle conçut, donna naissance à un garçon et dit : "Hachem rassembla ma disgrâce." Elle le nomma Yossef, disant : "Puisse Hachem m’ajouter un autre fils" »[1]
Après de nombreuses années de stérilité, Ra’hel Iménou mérita enfin de donner naissance à un garçon. Elle répond à ce joyeux événement en demandant un autre enfant. Cette réaction semble quelque peu surprenante – c’est un peu comme si un enfant qui vient de recevoir un cadeau en réclame un autre au lieu de remercier ses parents ![2] Mais en réalité, le souhait de Ra’hel ne porte pas sur le domaine matériel, il résulte d’une aspiration pour la spiritualité ; pour elle, le fait d’avoir des enfants signifiait jouer un rôle dans la fondation du Klal Israël. Sa requête d’en avoir d’autres ne ressemble donc pas à celle d’un enfant insatisfait qui demande un autre jouet, mais à celle de quelqu’un qui vient de terminer l’étude d’un Texte et qui demande à Hachem de l’aider à en achever un autre. Ce n’est pas de l’ingratitude, mais plutôt l’expression d’un désir de s’élever spirituellement.
Cette idée peut nous aider à comprendre un autre passage difficile de la Paracha. Après la naissance du quatrième fils de Léa (qui eut des grossesses rapprochées), la Torah nous raconte que Ra’hel était jalouse de sa grande sœur.[3] Rachi explique qu’elle enviait les bonnes actions de son ainée, parce qu’elle comprit que la vertu de Léa était à l’origine de ces naissances. Elle souhaitait donc s’améliorer. Or, ce n’est pas ce qu’elle fit ; elle demanda plutôt à Yaakov de prier pour qu’elle tombe enceinte. Pourquoi ?[4] Parmi les bonnes actions de Léa, Ra’hel jalousait et tentait donc d’émuler son désir de participer à la construction du peuple juif. Elle demanda donc au Tsadik, Yaakov Avinou, de prier en sa faveur.
La Torah nous donne une autre leçon quant à la force du désir des matriarches de bâtir le peuple juif. Après que Léa ait eu quatre fils, elle cessa d’enfanter.[5] Pourtant, elle continua de fournir des efforts pour avoir d’autres enfants. Et la Torah écrit ensuite : « Hachem écouta Léa, elle tomba enceinte et enfanta un cinquième fils à Yaakov. »[6] Les commentateurs notent qu’il n’est fait aucune mention d’une prière provenant de Léa. Rachi explique qu’ici le mot « Vayichma » signifie « Il perçut » — Hachem décela le souhait de Léa de fonder d’autres tribus et lui accorda un cinquième enfant.[7]
L’histoire suivante illustre cette idée quant à l’importance de la volonté de s’élever spirituellement. Lors d’une réunion de plusieurs dirigeants spirituels de la génération (à l’époque du ’Hafets ’Haïm qui était donc présent), Rav Yé’hezkel Sarna, le Roch Yéchiva de ’Hevron prit la parole et surprit tout le monde en affirmant qu’il existait une personne qui avait accompli plus, pour le peuple juif, que toutes les personnes alors réunies ainsi que leurs illustres ancêtres. Il ajouta que cette personne n’avait jamais appris un Daf de Guémara. Puis, il termina en attestant qu’une fois qu’il aurait dévoilé qui était cette personne, tout le monde consentirait. Il s’agit de Sarah Shneirer ; cette femme vécut à une époque où les filles juives ne recevaient aucune éducation « formelle » en Torah. Par conséquent, plusieurs jeunes femmes issues de familles pratiquantes s’écartaient de la Torah. De ce fait, de nombreux érudits en Torah ne pouvaient se marier, parce qu’il n’y avait pas suffisamment de partis convenables. L’avenir du peuple juif était en danger. Sarah Shneirer prit en compte cette menace et fonda la première chaine d’écoles juives pour filles, le Beth Yaakov. Elle dut faire face à une forte opposition à cette époque, mais grâce à la guidance des Guédolim tels que le ’Hafets ’Haïm et le Rebbe de Gour, son succès dépassa ses attentes et elle garantit effectivement l’avenir de l’observance de la Torah.
Par quel mérite connut-elle une réussite si brillante ? Rav Sarna expliqua qu’elle se lamentait pour toutes les jeunes filles que le peuple juif perdait. Sa peine et son désir d’améliorer la situation furent les éléments qui lui donnèrent la force de les sauver. Et Hachem « écouta » ce désir intense et lui octroya une grande Siyata Dichmaya (aide divine) dans son entreprise.
L’individu peut mener une vie juive respectueuse des Mitsvot « sur pilotage automatique », c’est-à-dire sans aspirer à une élévation spirituelle. Nous apprenons des Matriarches que pour grandir, il faut nourrir de grandes aspirations spirituelles et tenter de les mener à bien. Puissions-nous tous mériter d’émuler les Imaot – d’aspirer à la grandeur et de l’atteindre.
[1] Parachat Vayétsé, Béréchit, 30:22-24.
[2] Elle a certes remercié Hachem d’avoir effacé sa honte, mais sa requête d’avoir d’autres enfants nécessite une explication.
[3] Parachat Vayétsé, Béréchit, 30:1.
[4] Cette question est posée par rav Yossef Salant, Béer Yossef, Parachat Vayétsé.
[5] Parachat Vayétsé, Béréchit, 29:35.
[6] Parachat Vayétsé, Béréchit, 30:17.
[7] Rachi, ibid. Cf Sforno et Or Ha’haïm qui pensent que Léa pria réellement pour avoir d’autres enfants.