A travers la Paracha de Vayétsé, nous assistons à la fondation de la famille de Ya'acov et, avec elle, à la constitution du peuple Juif. Les naissances occupent ainsi une grande partie du livre de notre Paracha, et même du livre de Béréchit.
Il se dégage ainsi des premières Parachiot de la Genèse que la conception d’un nouvel être humain relève bien souvent du miracle et de l’intervention divine. Les matriarches Sarah, Rebecca et Rachel semblent toutes frappées de stérilité, et c’est uniquement, grâce à la prière et à l’intervention divine qu’elles parviennent à donner naissance à une descendance. Dès son origine, le peuple juif doit son existence au miracle, au dépassement des règles de la nature. Cette règle s’est bien sûr confirmée tout au long de son histoire.
Le traité Nidda du Talmud de Babylone s’intéresse précisément à la conception d’un enfant. Nos Sages nous enseignent à cet égard qu’il y a « trois associés dans la création de l’homme : le père, la mère et Hakadoch Baroukh Hou » (Nidda 31a). Notre tradition trouve une allusion à ce principe dans la valeur numérique du mot homme « Adam » qui correspond à 45, soit précisément la somme des mots père (Av soit 3), mère (Em soit 41) et Hachem qui se caractérise par son unicité (soit 1).
Nos maîtres nous expliquent également quelles sont les contributions respectives de chacun dans la formation de l’enfant. « Le père contribue à la formation des os, des tendons, des ongles (des doigts et des orteils), du cerveau et du blanc des yeux ; la mère apporte la graine rouge (le sang), qui forme la peau, la chair, les os, les cheveux et le noir des yeux ; Hachem apporte à l’homme une Néchama (une âme), l'éclat du visage, la vue, l'ouïe, la parole, la capacité de marcher, la compréhension et la connaissance » (Nidda 31a).
A la lumière de ces explications, nos Maîtres comprennent les mots que Lavan adresse à Ya'acov lors de leur première rencontre « Tu n’es rien moins que mes os et ma chair » (Gen. 29.14). Il lui rappelait ainsi leur double lien de parenté : « mes os » c’est-à-dire une origine paternelle commune (Lavan est le petit-fils de Na’hor, frère d’Abraham), « ma chair » c’est-à-dire une origine maternelle commune (Lavan est le frère de Rivka).
Mais la comparaison entre Lavan et Ya'acov s’arrête là. Et c’est ainsi que nous pouvons comprendre le verset « Akh 'Atsmi Oubessari Ata » « Tu n’es "que" mes os et ma chair », dans le sens où ils ne partagent rien d’autre que la composition génétique de leur corps.
Ils ont certes une origine familiale commune, mais leur âme est profondément différente. La contribution des parents ne suffit pas à déterminer la vie de leurs enfants, la « part » de l’Eternel à travers la « Néchama » « l’âme » est essentielle, elle détermine l’orientation spirituelle des hommes, leur propension à faire le bien, et à rechercher la justice.
A cet égard, les Maîtres du Talmud ne manquent pas de préciser un détail essentiel : « Sachez que Hachem est pur, Ses serviteurs sont purs, et Il vous a donné une âme pure » (Nidda 30b).
Contrairement au corps dont la composition génétique pré-détermine les caractéristiques corporelles de l’individu, l’âme ne connait pas de pré-détermination. Elle est pure, et il appartient à l’homme d’œuvrer pour préserver sa pureté.
Comme le rappelle Maïmonide dans les lois sur le repentir (Hilkhot Téchouva, chap. 5, v. 1 et 2) : « A tout homme a été donné le libre arbitre. S'il désire s'engager dans la voie du bien et être un juste, il ne tient qu’à lui. S'il veut au contraire s'engager dans la voie du mal et être un méchant, il lui est tout loisible également. [...] C'est lui, en réalité, qui décide lui-même et en pleine conscience, de s'engager dans la voie qu'il désire. »
La Torah est ainsi une foi profondément humaniste, elle a foi dans l’homme et dans ses ressources à faire le bien. Elle ne connait pas de privilège lié à la naissance en matière de spiritualité, chacun est doté d’une âme pure et disposée à faire le bien.
Il est vrai que chacun ne part pas du même niveau en fonction de l’éducation qu’il a reçue, du milieu dans lequel il a évolué. Mais cela ne pré-détermine pas pour autant définitivement son orientation spirituelle et sa capacité à progresser et à avancer dans cette direction.
Lavan est à cet égard un bon exemple. Alors qu’il a choisi un mauvais chemin de vie, sa propre sœur, Rebecca, est l’exemple de la grandeur spirituelle, de la bonté et de la piété. Ils ont le même patrimoine génétique, ils ont grandi dans la même famille, et pourtant ils ont donné à leur vie des orientations radicalement différentes. Nous pourrions appliquer le même raisonnement à Ya'acov et 'Essav.
Nous voulons voir dans ces enseignements des Sages du Talmud une leçon d’espoir pour les hommes. Quels que soient les conditions matérielles dans lesquelles un homme vient au monde, il est doté par l’Eternel d’une âme pure qui le prédispose à faire le bien et lui offre toute sa vie la faculté de se relier à l’Eternel. La Torah ne s’adresse pas à une élite, elle a foi dans l’homme, dans tous les hommes. Chacun a vocation à apporter sa contribution unique et irremplaçable dans l’aventure humaine.