La Torah nous parle longuement d’Avraham Avinou et de Yaacov Avinou. Par contre, elle en dit peu sur Its’hak – ce n’est que dans la Paracha de cette semaine qu’il est le personnage central ; et même là, seul un récit concerne uniquement Its’hak, sans impliquer un autre Patriarche. Pourtant il vécut plus longtemps que son père et que son fils. Mais c’est précisément de ce « silence » concernant Its’hak que nous découvrons sa place dans le service divin.
La Guémara[1] affirme que les Avot décrivent le Temple de différentes façons. Avraham l’appelle « montagne », Its’hak le nomme « champ » tandis que Yaacov le considère comme une « maison ». Les commentateurs expliquent que ces différents titres nous montrent comment chaque Patriarche abordait la Avodat Hachem.[2] La montagne offre un paysage magnifique, du relief, une variété de couleurs. Avraham Avinou eut une vie mouvementée, il grimpa à un niveau extraordinaire, fut capable d’enseigner l’existence de D.ieu dans le monde.
La maison d’un individu représente l’endroit où des événements majeurs surviennent, mais aussi là où des situations banales et très matérielles se présentent. La vie de Yaacov Avinou fut majoritairement tournée vers des activités matérielles (traiter avec des personnes rusées comme Lavan, travailler plusieurs heures par jour…). Il réussit malgré tout à ennoblir ces actions, à les sanctifier.
Que symbolise le champ, le service divin d’Its’hak Avinou ? Contrairement à la montagne, le champ est plat et uni ; contrairement à la maison, il est assez dégarni et monotone. C’est toutefois un endroit très important, un lieu de travail intense pour une récolte maximale. La tâche d’Its’hak est caractérisée par une Avodat Hamidot (travail sur soi et amélioration du caractère) constante.
On comprend à présent pourquoi la Torah nous parle peu de lui. Sa vie ne fut pas jonchée d’événements majeurs, il n’enseigna pas à des milliers de gens. Il s’occupa de sa propre personnalité, s’améliorant jour après jour.
Les missions des trois Patriarches vont de pair avec les trois étapes que l’on expérimente souvent dans la vie. La première est la phase d’inspiration, qui marque le début d’une entreprise, d’une relation. Celle-ci est liée à Avraham. La seconde commence lorsque le charme du départ se dissipe et que l’on réalise que la tâche n’est pas aussi simple qu’elle le paraît. Et la troisième, qui correspond à Yaacov, vient après les efforts, quand on récolte les fruits de notre dur labeur. Its’hak incarne l’étape intermédiaire, quand l’excitation du début disparaît et qu’un long et difficile travail reste à effectuer.
Notre quotidien est rythmé par ce modèle, par cette particularité d’Its’hak Avinou dans la Avodat Hachem. Quand on lance un projet, ou que l’on veut progresser spirituellement, on est souvent « tout feu tout flamme » en début de parcours. Puis on réalise que pour devenir un Eved Hachem, il faut travailler dur. C’est la leçon que l’on peut tirer d’Its’hak : il représente l’étape qui n’est pas nécessairement excitante, qui n’implique pas d’événement majeur, mais plutôt une amélioration de soi continue.
Quand on raconte la vie des Guédolim, on nous parle souvent les grandes choses qu’ils ont accomplies à un âge déjà avancé. Mais il est évident que cette grandeur ne fut atteinte qu’à travers de longues années consacrées à l’étude de la Torah et à l’amélioration du caractère. On demanda à un homme qui avait étudié dans la même Yéchiva que Rav Moché Feinstein ce qu’il pouvait relater sur ce dernier, dans sa jeunesse. Il répondit qu’il n’y avait aucune histoire marquante – à la Yéchiva, Rav Moché étudiait, tout simplement ! C’est cette constance et cette détermination qui créa le Gadol Hador dont nous avons tous entendu parler.
On comprend mieux la pertinence de la vie d’Its’hak Avinou dans la nôtre. Cela touche chacun, toute tranche d’âge confondue. Pour s’élever et atteindre la grandeur, il faut être déterminé à fournir de gros efforts et à consacrer beaucoup de temps à l’étude, au travail sur soi et à notre lien avec Hachem.
Puissions-nous émuler notre Patriarche Its’hak, fournir les efforts nécessaires pour arriver à la troisième étape – celle où nous apprécions les résultats de notre travail.
[1] Pessa’him, 88a.
[2] Voir Ben Yéhoyada, Pessa’him, 88a.