La Paracha Toledot marque une étape décisive dans l’histoire de l’humanité dans la mesure où elle nous présente la genèse du conflit spirituel entre Israël et les nations, à travers la naissance de Ya'acov et Essav.
Ces derniers sont les fruits d’une naissance miraculeuse, à l’image de leur père Isaac, à l’issue d’une longue période de stérilité pour Rivka. Comme nous le voyons dans ces Parachiyot, à chaque génération se reproduit le même scénario d’une incapacité à enfanter puis d’un miracle qui ouvre la matrice des matriarches et leur permet de donner naissance à une nouvelle génération. Tout se passe comme si la Torah souhaitait nous signifier que, depuis son origine, le peuple juif doit son existence à un miracle.
Toutefois la grossesse de Rivka n’est pas de tout repos. En effet, elle ressent une intense activité dans son ventre : « Comme les enfants s'entre poussaient dans son sein, elle dit « Si cela est ainsi, à quoi suis-je destinée!" Et elle alla consulter le Seigneur » (Genèse, 25. 22). Et Rachi de préciser sur place : « Quand elle passait devant les « portes de Torah » de Chem et de ‘Evèr, Ya'acov se mettait à courir et « heurtait » [le ventre] pour sortir. Et lorsqu’elle passait devant les « portes de l’idolâtrie », c’est ‘Essav qui se mettait à courir et « heurtait » [le ventre] pour sortir (Béréchit Rabba 63, 6). »
Les enfants de Rivka semblaient donc exprimer dès leur vie intra-utérine une prédisposition pour le service de D.ieu pour Ya'acov, et l’idolâtrie pour Essav.
L’étude du Daf Hayomi de cette semaine jette un éclairage particulier sur ce passage.
En effet, le traite Nida consacre de très belles pages à la description de la vie du fœtus dans le ventre de sa mère.
Les maîtres de la Guémara compare ainsi le fœtus au début de sa formation à une noix flottant dans l’eau. Nos Sages soulignent que la comparaison avec la noix est volontaire car « noix » se dit « Egoz » en hébreu , or « Egoz » a la même Guématria (valeur numérique) que le mot « ‘Hèth » (la « faute ») ou le mot « Tov » (le « bien »). Aussi, dès sa conception, le fœtus est mis face à ses responsabilités : il devra choisir dans quel sens orienter sa vie : faire le bien, ou, D.ieu nous en préserve, le contraire. Et les jumeaux de Rivka incarnent cette ambivalence de la nature humaine dès la vie fœtale : une tentation pour le bien avec Ya'acov et le contraire pour Essav.
En réalité, il appartient à l’homme durant sa vie de faire le choix d’orienter ses prédispositions pour agir conformément à la volonté de D.ieu. Nul homme n’est pré-déterminé depuis sa conception à agir dans telle ou telle direction, chacun conserve son libre-arbitre, la faculté de choisir positivement dans quel sens il souhaite s’engager. Comment comprendre alors qu’Essav était attiré vers des lieux d’idolâtrie ? Nos Sages nous enseignent qu’une lecture positive de ce penchant est possible : Essav avait en réalité une prédisposition pour ramener vers la Torah ceux qui s’en étaient éloignés ou qui vivaient dans un autre référentiel, celui du polythéisme de l’époque. A l’image de son grand-père Abraham, il avait la faculté de les rapprocher de l’Eternel en sachant comment leur parler, et comment les sensibiliser. Il lui appartenait d’actualiser ce potentiel, ce qu’il n’a pas fait.
La diversité des natures humaines ne pré-détermine pas les hommes à agir dans telle ou telle direction, elle leur offre simplement une richesse intérieure spécifique qui a vocation à être mise au service de la Torah et du service divin. Chaque Néchama, chaque âme qui vient au monde est porteuse d’un ensemble de qualités qui ont vocation à être sublimées dans le service divin.
C’est ainsi que Rabbi Simlai (Traité Nida, 30 a) nous rapporte que lors de la conception du fœtus « une bougie brille au-dessus de la tête du bébé qui lui permet de voir d'un bout du monde à l'autre ». [Durant ces mois privilégiés,] on enseigne au bébé toute la Torah, et avant qu’il ne sorte du ventre, un ange le frappe sur la bouche afin qu’il oublie tout ce qu’il a appris ».
Nos maîtres nous confirment ainsi que le fœtus a bien une vie spirituelle intense depuis le ventre de sa mère. Il atteint même un niveau extraordinaire de connaissance complète de la Torah qui prédispose sa Néchama, son âme à adhérer à la Torah ultérieurement durant sa vie terrestre. La Torah n’est pas réservée à une minorité, à une élite, elle est distribuée à chacun dès les premiers jours de la conception.
Un grand maître du judaïsme, le Rav 'Haïm de Brisk zatsal, s’interroge toutefois sur le point suivant : certes, nous pouvons comprendre qu’Essav était pressé de sortir car, attiré par l’idolâtrie, l’enseignement de la Torah devait lui être insupportable, et il trépignait de s’échapper. Mais, comment comprendre que Ya'acov, qui désirait tant apprendre la Torah, souhaitait, lui aussi, sortir de ce cocon lorsqu’il passait près d’un Beth Hamidrach ? Que pouvait-il espérer de mieux que d’apprendre toute la Torah directement de la bouche des anges et être éclairé par la lumière divine ?
Le Rav 'Haïm de Brisk propose la réponse suivante : ce qui gênait Ya'acov c’était la présence d’Essav à ses côtés, comme il est dit dans les Pirké Avot : « Eloigne-toi du mauvais voisin et ne t’associe pas à la mauvaise personne ». Ceci est valable même dans l’enseignement de la Torah, l’homme doit être vigilant à ses fréquentations et aux qualités de ceux avec qui il s’associe pour apprendre les textes sacrés. Comme l’explique le Rambam (Hilkhot Déot, chap. 6, 1) « C'est une tendance naturelle de l'homme d'être influencé dans ses idées et sa conduite par ses semblables et associés, et d’imiter les habitudes de ses compagnons. C'est pourquoi il est nécessaire que l'homme soit en compagnie des justes, qu'il s'assoie près des sages, afin d'apprendre de leur conduite, et qu'il s'éloigne des méchants qui suivent le chemin des ténèbres, afin de ne pas apprendre de leur conduite ».
En outre, ajoute le Rav de Brisk, nous pouvons comprendre ce désir de Ya'acov de s’émanciper du ventre de sa mère à la lumière du verset suivant « l’homme est né pour peiner ». Nos Sages nous enseignent que ce verset signifie que la finalité de la vie humaine est de « se fatiguer » dans l’étude de la Torah afin de retrouver par lui-même l’enseignement qu’il a reçu dans le ventre de sa mère. Ya'acov n’était donc pas satisfait de cette passivité qui lui permettait certes d’apprendre toute la Torah mais sans fournir d’effort. Il désirait l’acquérir grâce à son labeur, à son travail.
C’est d’ailleurs pour cela qu’un ange « tape sur la bouche » du bébé et lui fait tout oublier, afin qu’il puisse avoir le mérite de ré-apprendre la Torah par son effort personnel. Toutefois, il était nécessaire, nous disent nos Maîtres, que l’homme ait déjà goûté à la Torah au préalable car cela ouvre son cœur et prépare son âme à comprendre les secrets de la loi divine. La Torah est si transcendante que si l’homme n’y avait pas eu accès une première fois, elle lui serait totalement étrangère !
Finalement, bien avant Socrate et la philosophie platonicienne, nous voyons que la Torah avait déjà illustré le principe de la « maïeutique » qui vise à faire « accoucher » les esprits, c’est-à-dire à leur permettre de retrouver par l’étude et la réflexion une connaissance qu’ils possédaient préalablement sans s’en rendre compte.
Pour conclure, nous ne résistons pas au plaisir de rapporter un autre clin d’œil entre la Paracha et le Daf Hayomi (étude quotidienne d’une page de Talmud) de cette semaine qui rend un hommage appuyé aux mérites des femmes du peuple d’Israël.
Comme nous le voyons dans notre Paracha, Rivka a l’intuition que ce qui se joue entre ses garçons n’est pas anecdotique mais relève d’un antagonisme fondamental. Aussi décide-t-elle de se rendre à la Yéchiva de Chem et Ever pour consulter l’avis des Sages et comprendre le message divin qui lui est ainsi envoyé.
De même, plus tard, elle perçoit avec une grande acuité le risque de laisser son mari, Isaac, bénir Essav à la place de Ya'acov, et elle mettra toute son énergie pour préserver l’avenir spirituelle de sa famille, et finalement du peuple d’Israël.
Cette lucidité féminine était déjà l’apanage de Sarah. En effet, constatant l’influence délétère d’Ichma'ël, elle demanda à Avraham de le renvoyer. Et l’Eternel de dire au patriarche « Ecoute sa voix » ! Nos Sages nous disent ainsi que Sarah avait une capacité prophétique, une forme de « Roua’h Hakodech » supérieure à celle d’Abraham, ou, tout au moins, d’une nature différente.
Or, précisément, la Guémara (Nida 33) nous rapporte une anecdote qui souligne la confiance que l’on peut avoir dans l’intuition féminine. Une fois, Rav Papa était en déplacement dans une certaine ville, et il voulut savoir si cette ville abritait un Talmid ‘Hakham, un Sage, un érudit en Torah. Pour le savoir, il s’adressa à une « grand-mère » qui lui confirma qu’il y avait bien un érudit dans la ville, Rav Chmouel, et elle lui fit part de sa conviction que, avec l’aide de D.ieu, les deux Maîtres allaient bien s’entendre. "Rav Pappa se dit : "Puisqu'elle me bénit pour que je sois comme lui, il est évident que c’est un grand Sage qui craint le Ciel ».
Rav Moshé Aaron Stern, dirigeant de la Yéchiva de Kamenitz, s’interroge « Pourquoi a-t-il choisi de se fier à la réponse de cette femme, parmi tous les habitants de la ville ? » Et de répondre « Dieu a créé les femmes avec un sens particulier pour reconnaître immédiatement le mensonge et la duplicité. C'est pourquoi Rav Pappa s’est adressé à une grand-mère. Il voulait une réponse vraie, authentique, et il s'est dit que, dans cette ville, sa meilleure chance d'en obtenir une était d'interroger une femme !"
Puisse l’Eternel nous aider à préserver la pureté de notre Néchama et de celle de nos enfants en leur permettant de les aider à révéler leur richesse, et nous donner la sagesse d’écouter la voix de nos épouses ainsi que les conseils avisés des femmes pieuses du peuple d’Israël.