La Paracha de cette semaine porte le nom d’un héros particulier : Pin’has. En effet, ce dernier est resté célèbre pour une vertu particulière : la « Kina » traduite généralement en français par « la jalousie ». Cette dernière peut avoir deux significations soit « l’envie » (être jaloux de son prochain), soit le « zèle » (être « jaloux » de son honneur) dans le sens d’une défense instinctive et sans compromis de valeurs morales qui menacent d’être bafouées. C’est le deuxième sens qui nous intéresse ici, comme le dit également Rachi « Toutes les fois que le texte parle de « jalousie », il s’agit d’être « enflammé de passion pour venger une cause », en français médiéval : « enprenment ». » (Rachi, Nombres 25-11)
Revenons sur le contexte historique décrit dans la paracha de la semaine dernière. A défaut d’avoir pu maudire les Bné Israël, Bilam, le prophète des Nations, a cherché les faire chuter moralement en les livrant à la débauche. Il a convaincu le roi Balak d’envoyer les plus belles femmes de Moav séduire les enfants d’Israël et de les mener ainsi non seulement à avoir des unions interdites mais en outre à se livrer avec elles à des cultes idolâtres.
Une partie du peuple va effectivement succomber à la tentation et être puni par l’Eternel pour cette conduite déplorable. Un dignitaire de la tribu de Shimon, Zimri, va toutefois pousser la provocation un cran plus loin en proclamant devant tout le peuple sa volonté de s’unir à une femme de Moavite et en entrant dans une tente avec elle. Moshé Rabénou et l’ensemble du peuple sont abasourdis et paralysés par une telle effronterie et débauche, mais le sang de Pinhas ne fait qu’un tour, il saisit une épée et tue les deux « amants ».
La paracha de Pin’has débute sur l’éloge de son acte de bravoure et son courage. Il a effectivement été « jaloux », « zélé » pour défendre l’honneur de D.ieu. Il a compris instinctivement quelle était la bonne attitude à tenir dans un contexte qui échappait aux cadres classiques de la pensée et de la justice. Alors que tout le monde était désemparé, Pinh’as a eu la clairvoyance de comprendre comment il fallait agir et avec quelle détermination.
Le Rav Avraham Twerski rapporte une question de Rabbi Moshé de Coucy : « Pourquoi l’histoire de Pjnh’as est partagée entre deux parasha ? ». On aurait pu rassembler les quelques versets qui évoquent cette histoire dans la même parasha. Pourquoi dissocier d’une part le récit de cet acte (dans une paracha) et d’autre part sa récompense par l’Eternel (dans une autre paracha) ?
Et Rabbi Moshé de répondre que cette dissociation vise à nous enseigner qu’un acte zélé ne peut être apprécié qu’avec du recul. En effet, l’homme peut agir avec « zèle » pour des motifs légitimes ou illégitimes. S’est-il laissé emporter par son instinct, de manière irréfléchie et déraisonnable ? Ou bien, au contraire, a-t-il été capable d’une indignation légitime et salutaire là où la stupeur et le découragement avaient saisi les autres hommes ?
C’est uniquement à la lumière de ce contexte, des motivations intrinsèques de celui qui a agi avec zèle, de sa maturité et de la pureté de son cœur que l’on peut apprécier la qualité du « zèle ».
Finalement, à la lecture de la parasha de la semaine dernière, le jugement porté sur l’acte de Pinh’as est laissé en suspens. Aurait-il été encensé immédiatement, l’homme aurait pu croire que son attitude doit être imitée. Or, la Torah se méfie grandement de l’emportement, de l’impulsivité irraisonnée des hommes et d’une tentation de « faire justice soi-même » en dehors des tribunaux.
Rabbi Menahem Mendel de Kotsk se demande pourquoi Pinh’as n’a pas été choisi comme successeur de Moshé Rabenou, puisque c’est d’ailleurs dans notre paracha que Josué est désigné à cette fonction. Il nous explique que le dirigeant du peuple ne peut pas se caractériser par un zèle qui s’affranchit des règles et des normes. Au contraire, un dirigeant, un leader doit se caractériser par sa pondération, son respect des procédures, son « légalisme ».
Le début de notre paracha nous rassure sur le jugement porté par Pinhas. Il a endossé un rôle exceptionnel, il a agi en vertu de l’urgence de l’instant qui imposait une action forte, déterminée qui échappait au cadre traditionnel de la justice. Comme le dit le Roi David, il est des « moments où il faut agir pour Hashem et où, paradoxalement, une telle action impose de s’affranchir des lois de la Torah » (Téhilim, 119). Ces cas doivent rester exceptionnels, ils ne peuvent être donnés comme modèle à imiter et servir d’exemple pour le peuple, contrairement au leader.
Voilà pourquoi il était nécessaire que l’Eternel donne à Pinh’as une « alliance de paix » comme le dit notre texte, qui signifie non seulement qu’il va devenir un prêtre, un Cohen, mais en outre que l’Eternel va effacer de son cœur les traces que la violence, fut-elle justifiée, laisse immanquablement. Pinh’as riquait d’être marqué à vie par son acte, Hashem lui a donné une bénédiction spécifique pour qu’il ne porte pas une telle trace. "Pinéhas, fils d'Eléazar, fils d'Aaron le pontife, a détourné ma colère de dessus les enfants d'Israël, en se montrant jaloux de ma cause au milieu d'eux, en sorte que je n'ai pas anéanti les enfants d'Israël, dans mon indignation. C'est pourquoi, tu annonceras que je lui accorde mon alliance amicale. » (Nombres 25-11_13)
Et Rashi de nous préciser que, dans ce cas spécifique, tout se passe comme si Pin’has s’était substitué à D.ieu. « En assouvissant Ma vengeance, en assumant la colère que J’aurais dû manifester moi-même.» (Rachi, Nombres 25-11)
Comme nous le voyons, la Torah aborde tous les cas que l’homme peut rencontrer au cours de son existence, y compris les plus extrêmes où l’homme peut être amené à s’affranchir provisoirement des règles. Mais, la Torah entoure ces cas extrêmes de nombreuses réserves afin de souligner qu’ils doivent rester exceptionnels, et rappeler aux hommes qu’il ne leur est pas demandé se substituer à D.ieu mais d’imiter D.ieu dans Ses vertus parfaites, celles de la miséricorde, de la clémence, de la rectitude morale et du respect de la justice.