Contrairement à l’habitude de cette chronique de ne pas répondre directement aux réactions des lecteurs, mais – une fois n’est pas coutume – il convient de tenter d’approfondir, avec honnêteté, une réflexion émise par un lecteur sur le renforcement de la foi après une épreuve difficile, réflexion exprimant une interrogation sur la Shoah : « La mort de six millions de Juifs, est-ce aussi pour le bien ? ». Cette question, posée au lendemain de la Shoah, se pose chaque fois qu’une épreuve difficile nous atteint. Il importe, assurément, d’y réfléchir et de ne pas éviter d’affronter ce problème essentiel.
Dans la chronique précédente, on avait déjà souligné qu’il n’est pas toujours aisé de comprendre que « cela aussi est pour le bien ». Il est évident – on l’a dit et répété – que l’on ne veut, en aucun cas, parler avec l’assurance d’un prophète, ni exercer un magistère. Laissons les Grands de la génération – les Gdolé Hador – exprimer leur avis, et, quant à nous, contentons-nous de « lire » pour « comprendre ». On connaît la célèbre comparaison faite par le « Hafets Haïm ». Un touriste, de passage une fois un Chabbath à la synagogue, remarque, au moment de la lecture de la Torah, que le responsable avait fait « monter » à la Torah plusieurs fidèles de divers coins de la synagogue. Il interroge alors le responsable : « Pourquoi n’as-tu pas appelé à la Torah des fidèles d’un même coin, et as-tu pris des fidèles venant de divers endroits ? » Alors, le responsable lui répondit : « Tu viens une fois, et tu veux déjà tout comprendre ; j’ai mes raisons pour ce que je fais ». De même, explique le ‘Hafets Haïm, nous ne sommes qu’une période limitée sur terre, et nous voulons comprendre ce qui se passe pendant mille ans, et savoir quelles sont les raisons de la Providence pour ce qu’Elle fait. Ce serait déjà une première réponse : il ne nous est pas possible de comprendre, pendant la courte période de notre existence, les péripéties de l’Histoire.
Mais il faut aller au-delà et tenter de réfléchir sur le problème précis de la signification de la Shoah. Le signataire de ces lignes a été, enfant, arrêté avec ses parents, en 1944, à Nice, par des soldats de la Wehrmacht. Il peut se permettre de réfléchir sur ce qui est « pour le bien ». Il est évident que le génocide du peuple juif, exécuté par les nazis, est l’une des plus grandes catastrophes de l’Histoire, mais ce qu’il importe de souligner, c’est qu’il s’inscrit dans un devenir historique et cosmique. Dans le Kouzari, le Rav Yehouda Halévi compare l’humanité à un corps, dont le cœur est l’élément essentiel. Il maintient la vie du corps, mais chaque événement le secoue. Il est l’organe le plus sensible, mais en même temps le plus solide. Le peuple d’Israël est comme le cœur parmi les nations, le premier à souffrir – car le plus sensible – mais en même temps le seul à survivre, car il est le plus solide. Les souffrances d’Israël sont les plus graves, mais elles sont le prix de la survie d’Israël au sein de l’humanité.
L’Histoire n’est pas rectiligne. Elle est escarpée, faite d’événements positifs et négatifs. Les peuples apparaissent et disparaissent. Alexandre, Jules César, l’empire ottoman, l’impérialisme anglais, Napoléon et bien d’autres dans l’Histoire ont pensé conquérir le monde. Le nazisme a cru s’imposer « pour mille ans » ! A notre époque, ce fut, d’abord, deux puissances, soviétique et américaine, qui se sont affrontées pour dominer l’univers. L’islamisme s’inscrit aussi dans cette ambition planétaire. La Chine semble vouloir, aujourd’hui, prendre leur place. Hélas, un petit virus apparaît comme un moyen bien plus efficace que les armes nucléaires, pour lui permettre de réaliser son ambition. Laissons les nations s’affronter, mais ouvrons les yeux pour voir, pour reconnaître, qu’il y a un Souverain à l’univers. Certes, cela n’est nullement plaisant. Les nations cherchent des repères, et se relient à toutes sortes de références, valables un temps, mais finalement éphémères. Il est certain que la Shoah aura été une de ces tentatives – avortées bien sûr – de faire disparaître un peuple qui gêne dans l’Histoire, parce qu’il survit à toutes les attaques. Le plus sensible, a écrit le Kouzari, est aussi le plus solide.
C’est dans cette perspective qu’il importe de comprendre l’Histoire. Ce ne sont pas seulement les injonctions des Prophètes qui, quelques sévères qu’elles aient été, nous ouvrent les yeux aujourd’hui, mais c’est tout simplement une lecture approfondie de l’Histoire. La pérennité d’Israël, sa fidélité à la Loi écrite et orale, transcende le temps, contrairement aux autres nations, et c’est de cette façon que, bon gré mal gré, il faut répéter que « ce que D. fait est pour le bien ». Dépassons notre temps, élargissons notre vue, et comprenons que quelque chose se cache au-delà des épreuves. Ce sont là des faits patents que l’on ne peut occulter. Les douleurs, les difficultés sont un élément inhérent à la création, semblable aux douleurs de l’enfantement.
Pour conclure sur ce problème essentiel, du renforcement de la foi malgré les épreuves, il est significatif de relever qu’une même prière clôt les trois prières de la journée. ‘Alénou Léchabéa’h ! « Il nous incombe, malgré toutes les vicissitudes, de louer le Maître de toutes choses, d’exalter la grandeur du Créateur... » Cette prière fait partie de la prière de Moussaf de Roch Ha-Chana, où elle sert d’introduction aux dix citations évoquant la Royauté divine (Malkhouyot). Ce texte, selon une tradition, a été exprimé par Yehochoua, au moment où le peuple d’Israël se préparait à entrer en Erets Israël. Ce texte est récité trois fois par jour pour exalter la spécificité du Créateur d’une part, et prier en vue de voir le moment où le Tout-Puissant régnera sur l’humanité entière. Donc, au moment où l’on a fini, trois fois chaque jour, les prières quotidiennes, il convient de louer le Créateur et d’exprimer l’espoir de voir le moment où Il fera régner Sa gloire sur toute la terre. Il n’y a pas de meilleure conclusion : la prière en vue de l’avènement du Règne de D.ieu sur l’univers entier est l’espoir ultime du peuple d’Israël. Au-delà des péripéties du quotidien, des difficultés, des épreuves, au-delà des épidémies, nous reconnaissons les obstacles, mais nous espérons, prions pour le voir régner sur la Terre entière ! Ce sera alors le Bien ultime !