La situation actuelle, dans l’État d’Israël, fait penser à un homme qui se sent poursuivi, et, dans sa fuite, il se rapproche d’un obstacle difficile à franchir. Fera-t-il des efforts pour le contourner, pour le briser, ou reculera-t-il devant cet obstacle ? C’est, apparemment, la situation de l’establishment, installé depuis des dizaines d’années dans les rouages de l’État, et qui pressent que ces rouages lui échappent. Sans les Arabes, la gauche n’avait pas de majorité, mais que la droite reçoive le pouvoir, démocratiquement, et inclue ainsi aussi les orthodoxes, cela n’est guère supportable pour un « sabra » israélien, né dans l’idée que la religion n’a plus de place dans une société moderne. Alors, « prenons les pavés et lapidons cette démocratie qui ne répond plus à une mentalité moderne ! »
Ainsi se pose le problème : l’État d’Israël sera-t-il semblable à ces États africains créés après la colonisation européenne, que n’unit aucune identité nationale ou idéologique, ou sera-t-il conscient de la spécificité qui a donné une justification à son existence, même si ses fondateurs n’en ont pas toujours été conscients ? Être un État, semblable aux autres, c’est accepter qu’un être humain soit, fondamentalement, toujours semblable à un autre homme dans ses bases animales, dans ses fonctions humaines et dans son psychisme. L’être humain vit comme rivé à son fonctionnement animal, il naît, se nourrit, se reproduit et meurt, et cela c’est le sort de chaque homme. S’il veut dépasser ce stade, les mentalités deviennent différentes : s’il se laisse dominer par l’animalité, il perd sa spécificité, sa supériorité sur la bête. Bien qu’ayant le sens de la spécificité de l’homme, les pulsions physiques effacent cette particularité et l’animalité, la bestialité l’emporte. C’est Caïn qui tue Abel, qui enlève son cachet au genre humain. L’un des plus beaux chantres de l’intimité du cercle familial, qui était pourtant attaché à son foyer et à ses enfants, n’a cessé, tout au courant de sa vie – jusqu’à un âge avancé – d’avoir des aventures hors mariage ! La bête l’emporte sur l’intellect ! La Torah nous enseigne la sainteté, non une ascèse difficile, mais une organisation régulière des nécessités physiques. En cela, le Juif doit être distinct du reste de l’humanité.
À ce niveau, l’on souhaiterait qu’un État juif, même s’il n’est pas l’état idéal que nous promet l’annonce prophétique, soit distinct des autres États. Pourquoi être semblable à tous les autres État, traversés constamment par des soubresauts qui désorganisent la population ? On aimerait que la « seule démocratie de cette région » soit un exemple de stabilité, une lumière pour l’humanité. En démocratie, il est normal que les diverses majorités se relaient au pouvoir, et que des lois – basées sur des données humaines ! – puissent être caduques. Utiliser la violence pour refuser le verdict des urnes est une négation de la signification du suffrage universel. Bien qu’il ne représente certes pas l’idéal que nous désirons – selon la Torah –, on souhaiterait cependant que les factions ne se déchirent pas entre elles, à l’image des autres nations. C’est ici que l’on se sent au bord d’un précipice : on ressemble tellement aux autres peuples que l’on va non seulement les imiter, mais on risque d’aboutir, ce qu’à D.ieu ne plaise, à une guerre civile. Que des médecins fassent la grève des soins dans les hôpitaux, que des réservistes refusent de faire leur service, cela signifie qu’il n’y a plus d’autorité responsable, qu’il n’y a plus de conscience unitaire qui vibre dans cette nation ! Hélas, on est loin de l’idéalisme nationaliste qui habitait les premiers fondateurs, et qui a contribué à la création de l’État. Ici apparaît à l’horizon le précipice qui nous inquiète. Vers où risque-t-on d’aller, quand ceux qui avaient en mains les rouages de l’État – au départ –, refusent maintenant de se laisser priver de leurs prérogatives ? Certes, Ben Gourion avait dit que l’État d’Israël serait un état comme les autres quand il y aurait un premier meurtre dans le pays. Hélas, ce fut vrai, et prouve combien « être comme les autres » n’est pas une formule élogieuse ! La haine envers les Israéliens est bien ressentie dans la presse étrangère. Il suffit de lire « Le Monde » de Paris pour sentir l’hostilité permanente face aux Juifs. La haine envers les étudiants de la Torah dans le peuple n’est pas moins évidente. On l’a déjà relevé plusieurs fois dans cette chronique. Ces diverses aversions sont profondément regrettables, mais la situation actuelle traduit une hostilité nouvelle entre les diverses composantes même du peuple. C’est une guerre entre deux conceptions de l’histoire du peuple juif : ou balayer le passé de l’histoire et créer une nouvelle identité, non liée à la tradition, ou bien se sentir appartenir à une certaine particularité d’un peuple qui a traversé les siècles, et est resté uni par une foi qui donne une teinte à l’être juif. Cette teinte a résisté à tous les écueils, mais aujourd’hui, on peut craindre le précipice devant lequel nous nous trouvons. Les croyants savent qu’il y a une orientation, un SENS à l’Histoire, mais le spectre de la chute est, indiscutablement, à nos portes. Puissions-nous ne plus voir ce spectre à l’horizon. Espérons que le peuple juif parviendra à se ressaisir, à raison garder, et à comprendre que la lutte risque d’amener à la chute. Rappelons ce passage du Talmud, à propos des malheurs qui peuvent précéder la Rédemption : un Rav écrit : « Je voudrais voir bientôt la Délivrance », et un autre Rav répond : « Je ne veux pas la voir, car j’ai peur des souffrances qui vont la précéder » (Traité Sanhédrin 98b). Il faut espérer, et prier, que les affrontements actuels au sein du peuple d’Israël n’ébranlent pas les fondements de l’existence d’Israël et n’ébranlent pas les piliers de l’histoire juive. Espérons que le désordre organisé aujourd’hui par les adversaires de la Torah, que ce désordre annonce une nouvelle ère pour l’humanité entière, avec la venue du Machia’h.