Tout le peuple d'Israël, notre peuple, est représenté dans ces visages.
Jeunes et moins jeunes, ashkénazes, sépharades, lithuaniens, 'hassidiques, des hommes et des enfants, certains pas encore Bar-mitsva, le sourire aux lèvres, heureux de vivre. Ils étaient venus à Méron pour se réjouir ensemble pour la Hiloula de Rabbi Chim’on, et la fête a tourné à un drame incommensurable, le plus grand qu'Israël ait connu, mis à part les guerres, bien sûr. On a enterré à la file, et les sauveteurs ont découvert avec effroi que les téléphones sonnaient encore sur les corps déjà éteints…des proches inquiets qui voulaient avoir des nouvelles.
Des dizaines de maisons ne seront plus jamais comme avant, même si l’on essaiera de recoller les brisures qu’ont laissées ces 45 vases purs en se brisant.
Que D.ieu envoie la consolation aux familles, et la Réfoua Chéléma aux blessés.
En général, on pleure, on dit des oraisons funèbres, on écrit, on essaie de consoler et de se consoler jusqu'à ce que “Monsieur Oubli” arrive et fasse vite de l’ordre. Et la routine reprend. Car on “doit être fort et continuer”.
Non ! Cette fois on ne doit pas être fort et continuer ! Quelque chose doit se briser et se fissurer ! Ce n’est pas arrivé pour rien. On nous parle. D.ieu nous parle ! Le monde doit être meilleur. Nous sommes tous interpellés. Moi, toi, nous.
Le monde après Méron ne peut pas être le même que celui d’avant.
Ne soyons pas forts ! Car être fort c’est continuer encore sur le même chemin, c’est ne pas vérifier, ne pas intérioriser, ne pas se questionner; être fort, c’est mettre encore une carapace, encore une cuirasse et s'échapper.
D.ieu nous a parlé, et il faut comprendre ce qu’Il nous a dit. Les commissions d'enquête feront leur travail, mais nous, nous devons marquer un stop et faire notre introspection. C’est le travail du juif.
Le Machguia’h de Mir, Rav Yérouham, avait posé la même question, lorsqu’un autobus de vingt juifs était tombé d’un pont dans une rivière, en noyant tous les passagers : ”Comment ne pas voir l’attribut de Justice qui frappe ? Des dizaines de fois le bus est passé par là et rien ne s’est passé. Comment ne pas ouvrir les yeux ?”
On nous parle. A chacun de nous. Le langage est si clair. Cette tempête est pour nous. Être fort et continuer ? Jamais ! Interdit. Il faut se briser, se fêler, et revenir. Il faut maintenant actionner l’appareil à rayon X et sans peur, regarder la radiographie de notre âme : haine du prochain, colère, cupidité, jalousie, indifférence, mépris, calculs, petitesse, chacun sa lampe de poche et chacun ses replis douloureux. On ne nous demande pas de révolutions grandioses, juste honnêtement, de regarder là où l’on n’aime pas regarder. Dans les recoins du cœur. Parfois, ce n’est pas grand-chose, limer, arranger, mais faisons-le tous ensemble !! Et quand on a osé se regarder, voir ses tréfonds, en être conscient comment pourrait-on encore juger l’autre?
Il faut briser la couche de glace sur notre cœur, la faire fondre et elle va devenir alors une eau vive et fraîche, cette même glace qui nous figeait et nous rendait inertes.
Non ! Le monde ne doit pas continuer “comme avant”, et c’est à nous d’y participer.
Ouvrons dans notre cœur les vannes de tolérance, d’acceptation de soi, de l’autre et de ses différences, que des flots de dons et d’amour gratuit, de véritable empathie inondent tout sur leur passage et qu’ils déversent sur nous la Ra’hamim de notre Créateur et la rosée de la Guéoula. Amen veamen.
Pour l’élévation de l'âme des 45 Kédochim de ‘Am Israël, qui ont rendu leur âme pure à leur Créateur à Lag ba’Omer 5781.
(adapté de Yated Neeman, 20 Iyar 5781)