À partir du moment où l’ironie, la satire, la moquerie deviennent des éléments dangereux, des armes qui peuvent tuer, il faut savoir comment s’en servir et veiller, comme pour tous les objets de la création, à ne les utiliser qu’à bon escient. L’assassinat horrible récent, par un Islamiste, d’un professeur qui avait dans son cours présenté, de façon ironique, le prophète de l’Islam doit nous éveiller, et nous faire réfléchir sur l’utilisation du « rire » comme arme d’une part, et la réponse faite à cette ironie par une arme autrement destructrice !

Essayons de comprendre : le rire est l’expression de la pensée, qui est la supériorité de l’homme sur l’animal. L’homme peut rire, alors que l’animal ne sait pas rire. Un philosophe français, Bergson, écrit un livre entier sur « Le Rire ». Il explique que le rire est obtenu par un changement d’attitude inattendu, comme du vivant apparaissant soudain sur du mécanique. Présentation qui n’est pas fausse, mais qui ne correspond pas à la dimension métaphysique du rire telle qu’elle nous est enseignée par la Torah. Deux directions, complémentaires et riches d’enseignements, sont proposées par le texte même de l’Écriture. D’une part, l’annonce faite à Avraham et à Sarah de la naissance prochaine d’un fils est accueillie par un rire différent de la part des deux. Avraham, symbole du ‘Hessed, de l’attitude bienveillante du Créateur, « rit » pour exprimer sa joie, pour remercier D.ieu de Sa bienveillance. Sarah, elle aussi, « rit », et ce rire lui est reproché, car il est un rire d’incrédulité. Sarah symbolise la « Middat Hadin », l’Attribut de Justice, correspondant aussi à la dimension « naturelle ». « Pourquoi mériterais-je un tel changement de la nature ? » Et son rire exprime sa difficulté à comprendre la nouvelle. Et l’Éternel répond, en utilisant le terme « Pélé », qui traduit une action faite « au-delà de la nature ». « Est-il impossible à l’Éternel de faire quelque chose au-delà de la nature ? » (Béréchit 18, 14). Le même « Ts’hok » – rire – a une signification différente, selon le caractère du personnage. Après la naissance de son fils, Sarah remercie le Tout-Puissant du « bienfait » qu’Il lui a accordé, en utilisant le même terme « Ts’hok » (« C’est un Ts’hok, une joie, que l’Éternel m’a accordée », Ibid. 21, 6).

Une seconde direction, basée elle aussi sur le texte même de l’Écriture, donne un sens complémentaire, non différent, mais fortement significatif, du terme « Ts’hok ». À propos du « Ts’hok » d’Ichmaël qui se moque d’Its’hak – ce qui cause le renvoi d’Ichmaël de la maison d’Avraham – Rachi propose à partir de la lecture de 3 versets dans lesquels ce terme est utilisé, 3 autres orientations du même vocable : relations conjugales, meurtre et idolâtrie (à propos de versets exprimant clairement ces 3 options, Beréchit 39, 14 ; Chémot 32, 6 et  Chmouel II 2, 14). Il y a lieu de remarquer ici que ce terme inclut ainsi 3 temps de l’existence terrestre : la naissance, la mort et la recherche idolâtre, c’est-à-dire le besoin – forcément terrestre – de se relier à quelque chose qui dépasse la vie matérielle.

Il ne nous appartient assurément pas ici, dans cette chronique, de découvrir des éléments mystérieux cachés dans l’œuvre de la Création que nous sommes bien incapables de comprendre. Cependant, il apparaît clairement que, dans la perspective de la Torah, le vocable « Ts’hok » véhicule une idée fondamentale : l’utilisation – dans un sens constructif ou négatif – de l’élément intelligent qui caractérise la supériorité de l’homme sur l’animal. L’utilisation de cet élément, dévoyé, risque d’être fortement négatif. C’est le sens du premier verset des Téhillim : « Heureux l’homme qui ne suit point les conseils des méchants, qui ne se tient pas dans la voie des pécheurs, et ne prend point sa place dans la société des moqueurs » (Téhillim 1, 1). Le rire est un instrument entre les mains de la créature qui peut l’utiliser selon les circonstances, ou selon le caractère, comme on l’a vu pour Avraham et Sarah. Les Sages signalent à plusieurs reprises qu’il n’est pas facile de faire des remontrances à un railleur, car il peut se moquer des remarques qu’on lui adresse. Nos maîtres soulignent que de même que l’huile est imperméable à l’eau, de même l’ironie repousse les remontrances. À ce niveau, les remarques ironiques sur le fondateur de l’Islam, faites par le professeur assassiné par la suite, ne pouvaient que soulever une colère violente chez les islamistes. Il ne s’agit, certes, pas de justifier l’acte abominable commis, mais l’ironie est une arme dangereuse face à des individus pour lesquels la vie d’un homme est sans valeur. De même que tout élément créé est un instrument offert à l’homme par le Créateur, le rire est une arme à double tranchant, et il revient au croyant d’en connaître le prix. C’est ainsi que les auteurs du Moussar font remarquer que le rire peut exprimer le scepticisme, s’il n’est pas fondé sur une FOI absolue. 

L’Éternel nous a accordé un moyen d’exprimer notre satisfaction. Ce moyen doit être utilisé dans un sens créateur, c’est-à-dire d’une utilisation positive des éléments du créé. Alors, le monde matériel parvenant à son objectif ultime, emploi judicieux de la Création, on pourra s’écrier : « Alors, notre bouche se remplira de « Ts’hok » – du sens vrai de la joie » (Téhillim 126, 2).