La fin des temps est-elle arrivée ? On se frotte les yeux, on croit rêver. Des hommes en djellabas et keffiehs suivis de leurs femmes déambulent dans les rues de Jérusalem et de Tel Aviv et sont salués par la population israélienne, étonnée mais chaleureuse, qui s'arrête pour leur tendre une main conviviale et leur souhaiter "A’hlane Ouass A’hlane" !
Il y a deux mois, en plein ‘Hanouka, une délégation des Emirats Arabes et de Bahreïn a décidé de faire une visite non officielle en Israël, suite à la normalisation des relations grâce aux accords "Abraham", promulgués par le gouvernement Trump, et tout particulièrement son gendre, Jared Kushner.
Intéressant que Kushner, ce juif pratiquant, hissé au poste de Haut Conseiller du président des USA, a réussi à contourner le marécage impraticable de relations israélo-palestiniennes et a intelligemment cherché d’autres partenaires pour Israël dans la région. La gageure était de taille : trouver au Moyen Orient des canaux de communication crédibles pour Israël. Les résultats sont plus qu’encourageants.
La délégation en question, qui a pris le nom de “Sharaka” (signifiant "coopération", "partenariat" en arabe), a été accueillie par le Rav Amar chlita, Richone Létsion, et le Rav Rabinovitch, Rav du Kotel, sur l’esplanade du Kotel, et a assisté à une cérémonie d’allumage de la Ménorah de ‘Hanouka ; ils se sont rendus ensuite à la mosquée d'Al Aqsa et ont effectué un périple d’une semaine sur les lieux phares du pays, passant par une visite à la Knesset, où ils ont été reçus par le président Réouven Rivlin, puis Tel Aviv, et, enfin, les hauteurs du Golan à la frontière syrienne, d’où ils ont pu prendre la mesure des menaces communes pour eux et Israël : l’Iran et le Hezbollah.
Mais qui sont-ils et que cherchent-ils en Israël ?
“Sharaka” a été fondé par des intellectuels, des universitaires, des lettrés, tous originaires des Emirats, de Bahreïn et d’Egypte, tous âgés de 25 à 35 ans, qui conçoivent que si la paix frappe à notre porte, ne la laissons pas qu’aux gouvernements et aux politiques, mais concrétisons-la au niveau du peuple, par des échanges culturels, de reconnaissances mutuelles et d’intérêt pour nos patrimoines différents. Ils prônent bien sûr l’abolition des stéréotypes qui collent à tout ce qui touche Israël et ont diffusé, via les réseaux, les échos de cette visite hors du commun. Sur Twitter, déjà 1.5 million de vues ont été dénombrées. Bien sûr, des voix s’élèvent contre cette normalisation, mais la délégation est optimiste : beaucoup sont très intéressés à venir voir ce qu’est la vraie Israël, pas celle qu’on leur vend, c'est-à-dire un pays belliqueux 24/7.
Le Dr Majid Al Sarrah, de l'Université de Dubaï et membre fondateur du projet "Sharaka", nous dit : "Se rendre en Israël pour la première fois en tant que membre d'une délégation est un moment historique. Israël est un excellent exemple de tolérance dans la région. C'est une nouvelle ère de paix et de stabilité entre les peuples."
Le pic de la visite a sans doute été leur visite à Yad Vachem, le mémorial de la Shoah à Jérusalem.
Ils ont diffusé une vidéo, mise sur Twitter*, où l’on voit la délégation écouter attentivement les explications du guide, s'arrêter devant les présentoirs du musée, et, à plusieurs reprises, essuyer subrepticement une larme d’émotion devant les photographies bouleversantes de l’assassinat systématique du peuple juif par les nazis.
Dr Al Sarrah s’adresse au public dans le film, en anglais, et dit :
Jamais plus
"Aujourd’hui, nous sommes tous solidaires de nos frères et sœurs juifs. Ce que nous venons de voir à Yad Vachem, c’est la vérité. De nombreuses personnes à travers le monde disent que la Shoah n’a pas existé. Et pourtant, ce crime a eu lieu contre le peuple juif. Et il n’y avait à cela aucune raison. Simplement parce que ces hommes, femmes et enfants étaient juifs et croyaient en leur D.ieu. Aujourd’hui, nous avons vu de nos propres yeux, pour la première fois de notre vie, à travers des vidéos, des témoignages, quelque chose que nous n’avions jamais vu : le génocide des juifs. Comment des soldats tirent sur des femmes et des enfants à bout portant, de sang-froid, et nous voudrions dire : c’est inacceptable et nous vous promettons, de cette plateforme, que nous, "Shraka", nous diffuserons des informations sur la Shoah autour de nous et nous ne tolérerons jamais aucune forme d’antisémitisme et de haine. Nous encouragerons la prise de conscience de cet évènement et dénoncerons toute manifestation d’antisémitisme. Jamais plus de telles choses. Never again."
La paix ne peut s’établir sur un environnement toxique
Le concept d’une paix chaleureuse a également été souligné par Amjad Taha, un autre membre de Sharaka, lui de Bahreïn, qui dit : " …L'histoire nous a appris que la paix ne peut pas être construite tant que l'extrémisme et le terrorisme idéologique existent, et qu'il ne peut y avoir d'État palestinien indépendant si des générations sont élevées sur la violence et la haine en l'absence de raison et de logique. Plus important encore, si un État palestinien était établi dans un environnement aussi toxique, il ne serait jamais en mesure d'assurer la stabilité et la prospérité de son peuple et pourrait facilement déstabiliser ses voisins."
On n’aurait pas dit mieux !
Il est troublant de voir que, parfois, nos relations avec notre cousin Ichma’el, avec un peu de bonne volonté, et si on parvient à surmonter les idées préconçues, peuvent facilement déboucher sur des résultats très prometteurs.
Du côté d'Israël, trop longtemps des tentatives de pourparlers avec un partenaire ingérable, des intermédiaires pas toujours bien inspirés à notre égard, qui semblaient entretenir les frictions entre les partis au lieu de les aplanir, n’ont donné aucun résultat, et, depuis 70 ans, ont laissé la situation au Proche Orient dans une impasse.
Alors pourquoi ne pas donner une chance à la Paix, qui, au travers de gens de bonne volonté, soudain apparait comme une réalité possible et non plus comme une chimère galvaudée.
Alevay ! Et Choukrane, Sharaka !
* https://twitter.com/sharakango/status/1354509287146614789 (visite de la délégation Sharaka au mémorial de la Shoah)