Au-delà des célébrations de la chute du mur de Berlin, il y a 30 ans, c’est l’aspect idéologique et presque métaphysique des conséquences de cet événement qu’il est essentiel d’analyser. Dans son livre « Ikveta DéMechi’ha » (Talon du Machia’h – veille de l’avènement messianique), le Rav Elhanan Wasserman הי"ד qui fut l’un des Grands sages d’avant la Shoah – et qui en a été l’une des victimes – ironise sur les « ismes » qui jalonnent l’histoire de l’humanité : nationalisme, socialisme, libéralisme, communisme, et bien sûr, marxisme. C’est plus cet aspect de la question qu’il convient d’analyser : une idéologie qui avait fasciné des millions de gens, depuis 150 ans, et qui avait aussi été à l’origine de dictatures cruelles – en Russie, en Europe Centrale, à Cuba entre autres – cette idéologie s’est effondrée, comme un château de cartes. Qui se prétend aujourd’hui communiste sait combien cette affirmation est fondée sur des bases irréalistes.
C’est la signification de cette désagrégation idéologique qui mérite l’attention du Juif croyant en l’éternité d’une Référence absolue. Analysons d’abord les sources de cette idéologie marxiste : basée sur la philosophie du devenir historique de Hegel, elle expliquait que l’Histoire progresse vers une ultime fin qui doit être un Royaume heureux, fondé sur la lutte des classes. Les classes bourgeoises devraient ainsi faire place aux classes ouvrières qui prendront le pouvoir et établiront l’égalité entre les hommes. C’est ce désir d’égalité qui était à l’origine des kolkhozes – fermes collectives en Russie – ou des kibboutzim en Israël. Cette égalité apparente entre les hommes peut paraître séduisante, car elle devrait supprimer l’inégalité entre riches et pauvres, en menant à une société meilleure. Cette organisation sociale, utopique, ne pouvait pas tenir face à une donnée fondamentale de l’homme : donner un sens à l’effort personnel, qui veut progresser individuellement ; elle annihilait le désir de chaque individu de s’exprimer et de progresser. Inclus dans la communauté, l’individu perdait sa personnalité. Ce fut l’erreur, la chute de l’organisation collectiviste, socialiste, communiste de la communauté. Cette utopie ne pouvait qu’échouer, et ce fut la fin d’une dictature qui voulait imposer, par la force, des critères irréalistes. Ce fut aussi l’échec du kibboutz, qui avait été adopté par une certaine idéologie socialiste en Israël. De plus, ce marxisme se voulait totalement athée, car il était basé sur un certain panthéisme : c’est l’homme – et seulement l’homme – qui met en marche l’Histoire. Ici aussi, une idéologie sans référence à une Valeur absolue ne peut conduire qu’à une impasse, car elle occulte le besoin religieux, l’aspect intérieur, intime, de la conscience.
Cet aspect de la réalité a créé ce vide, qui est si profondément ressenti à notre époque. La seule référence possible, valable car elle est éternelle et dépasse l’instant, ne saurait être méconnue. On peut la chercher dans des directions fausses : c’est ici la séduction des jeunes djihadistes qui recherchent un moyen d’affirmer leur personnalité et d’exprimer un idéalisme en se reliant à une foi cruelle : c’est la référence à Ichmaël dont il est dit : « Sa main sera contre tous » (Beréchit 16, 12). Dans une époque vidée de toute allusion à une progression positive, le seul idéal possible reste le sacrifice de l’individu. L’illusion marxiste laisse la place à une illusion sanguinaire, qui n’est autre qu’un nihilisme dévoyé. On tentait d’améliorer la société, ce qui provenait a priori d’une réaction positive – c’était la séduction marxiste, transformée finalement en l’établissement d’une dictature, et cela a conduit à une autre voie, elle aussi sans issue autre que la destruction.
Soyons réalistes : il est vrai qu’un idéalisme positif peut aider l’humanité, c’est alors la promesse prophétique de l’avènement d’un Royaume meilleur, mais cela ne peut se réaliser qu’à partir d’une croyance essentielle en un Créateur qui a donné une signification, un sens, à Sa création. Cette orientation est basée sur la foi en une Loi qui harmonise toutes les exigences profondes de la personne humaine : idéalisme certes, mais qui exprime tous les besoins essentiels de l’individu et de la société. C’est certes difficile à réaliser, mais c’est dans cette direction qu’il importe d’agir. Le Rav Munk, dans son livre « Vers l’Harmonie », résume ainsi l’idéal d’Israël qui doit aider l’humanité à trouver son équilibre final et rapprocher l’avènement d’une époque où toutes les nations se retrouveront unies dans une harmonie universelle : « Car la réalisation, écrit-il, de l’idéal d’Israël aura pour effet de fondre en une unité puissante et grandiose toutes les sphères de la vie physique, morale, spirituelle, sociale, économique et politique. Cette harmonie cosmique qui embrassera tous les hommes et toute la nature s’élèvera comme une apothéose de gloire, comme une symphonie d’amour de toutes les sphères vers le Seigneur. De la fraternité de toutes les créatures jaillira l’adoration commune de D.ieu, Père de tous les hommes. Et la vieille prophétie d’Israël, proclamée par Zacharie (14, 9) s’accomplira dans l’étreinte sublime du Ciel et de la Terre : ‘L’Eternel sera roi sur toute la terre ; en ce jour l’Eternel sera un, et unique sera Son nom’ » (Vers l’Harmonie, p. 158-159).
Chute d’un mur, fin des illusions, telles sont les conditions actuelles, mais au-delà existe une promesse faite à une humanité dont les errements actuels occultent la Voie qui, nous l’espérons, se réalisera bientôt à nos yeux.