Les derniers attentats terroristes – l’assassinat du professeur d’histoire-géographie comme la tuerie effectuée dans l’église de Nice – posent clairement les questions : jusqu’où le phénomène djihadiste va-t-il aller ? Quelles sont ses aspirations ? Détruire ce qui existe ? Mais sans rien construire de stable ou de satisfaisant ? Questions qui inquiètent les responsables politiques, fortement troublés par la situation actuelle.
Essayons d’y voir clair, et, simultanément, tentons de réfléchir à l’attitude, et à la réflexion qui s’invitent ici pour celui qui cherche à trouver une voie, selon la Torah. L’antagonisme entre Rome et l’Islam n’est, certes, pas nouveau. Les Croisades, au Moyen-Age, en furent les conséquences, et, d’ailleurs, bien souvent, les communautés juives ont souffert du passage des Croisés. Quoi qu’il en soit, les frictions ne manquèrent pas entre l’empire ottoman et l’empire austro-hongrois. Cela pour les siècles précédents. Le 20ème siècle a vu également – et continue à voir – des affrontements souvent sanglants entre musulmans et chrétiens. Ce fut le cas au Kosovo, dans l’ancienne Yougoslavie ; c’est aujourd’hui le cas dans l’affrontement sanglant entre les chrétiens d’Arménie et les musulmans d’Azerbaïdjan, sous l’arbitrage de Poutine. Est-ce une opposition entre la chaleur orientale et la frigidité occidentale ? Il serait bien exagéré de donner cette signification à une hostilité si bien enracinée. Remarquons – c’est le Gaon de Vilna qui le souligne – que cette opposition entre Essav (Edom, le christianisme) et Ichmaël (la civilisation islamique) recoupe les termes hébraïques « ‘Assiah » « faire » (pour Essav) et « Chemi’ah » « écouter » (pour Ichmaël). Ces deux termes se retrouvent dans la phrase prononcée par le peuple d’Israël, lors de la Révélation du Sinaï : Na’assé Vénichma’ – « Nous ferons et nous écouterons » (Chemot 24,7). Ce texte a invité la critique des opposants au peuple d’Israël : « Comment peut-on faire passer l’action avant la pensée !? Israël est un peuple trop prompt, qui donne la priorité à l’acte avant de réfléchir ! » (Traité Chabbath 88a et b).
Comment lire cette image dans la perspective décrite précédemment ? En fait, il s’agit ici d’une lecture profonde de la réalité, politique aussi bien que psychologique. L’enfant agit avant de réfléchir, mais il doit accepter une référence, agir en relation avec cette autorité, et il suivra cette voie qu’on lui propose, s’il accepte l’autorité qui le guide. C’est la réponse du peuple d’Israël à la révélation du Sinaï : « Nous ferons, puis nous comprendrons », mais c’est parce qu’on aura accepté au préalable cette orientation. On reconnaît une idéologie à laquelle on adhère, et alors on agit, avant de réfléchir. Telle est la voie d’Israël – reconnaître la Transcendance, se relier à un Absolu, accepté et nécessaire. Ainsi, l’on reçoit la Révélation, qui donne un sens, une valeur, à l’action, lui donne un sens concret et valable. C’est ce que signifie le verset : « Le peuple (à la Révélation) vit les voix » (Chemot-Exode 20, 15). Voir ce que l’on entend est évidemment impossible, mais accepter, c’est-à-dire agir puis comprendre, parce qu’on a compris le sens, c’est la nécessité de la Révélation.
Il faut comprendre, à partir de cette lecture, la schizophrénie de notre époque : « écouter », Ichmaël, c’est s’étendre, s’étaler, se développer sans limite dans l’espace : arrêté à Poitiers, mais s’étendant en Europe centrale avec l’empire ottoman, ou en Indonésie et en Afrique. « Faire », Essav, c’est construire, c’est développer une civilisation de consommation, non pas nécessairement reliée à une seule idéologie : christianisme, marxisme, fascisme sont les parangons de cette culture de l’efficacité, de la construction du monde, basée sur les fondations de l’intelligence humaine, qui reste stérile, pour ne pas dire dangereuse, quand elle se sent impuissante. C’est actuellement le cas avec la pandémie universelle. Un exemple éclairant de cet échec évident de l’intelligence humaine – et qui fut un miracle absolu pour l’humanité entière – fut l’expulsion d’Allemagne par les nazis des savants qui fabriquèrent la première bombe atomique. Ils la fabriquèrent pour l’Amérique, ce qui l’aida à mettre fin à la Guerre en envoyant deux bombes à Nagasaki et à Hiroshima. Imaginons, avec effroi, ce qui serait arrivé si une bombe atomique était tombée entre les mains du dictateur allemand.
Pour conclure cette analyse, bien superficielle, entre ces deux perspectives, celle de la construction d’une part et celle de l’extension de l’autre, une Mitsva, quotidienne, relie dans la vie du Juif la main, c’est-à-dire l’acte, et la tête, c’est-à-dire la signification de l’acte : les Téfilines du bras et de la tête traduisent cette double manifestation de l’activité humaine. Un autre exemple est la réponse du peuple juif à Hanoukah à l’hellénisme ambiant : d’une part, affrontement militaire entre les Grecs-Syriens, plus forts et mieux organisés, et les cinq fils de Matityahou, moins forts, mais combattant au nom de la pérennité d’Israël. Ce premier affrontement, rapporté dans la prière, mais pas dans le Talmud, symbolise le combat matériel de la survie physique d’Israël. C’est l’aspect physique de la survie d’Israël d’une part. Par ailleurs, la réponse spirituelle est symbolisée par le miracle de la fiole d’huile, protégée de l’impureté car couverte du sceau du Grand-Prêtre et qui a duré 8 jours, bien que prévue pour une journée. Ce miracle – au-delà de la nature, c’est le second aspect, la survie spirituelle d’Israël, la victoire de l’esprit sur la matière. ‘Hanouka symbolise ainsi ce double aspect, l’acte et la pensée au service du D.ieu Un, réponse à l’hellénisme, et aujourd’hui réponse au matérialisme ambiant. Cette réponse est la vraie force permanente d’Israël.