Une affaire triste a récemment agité le monde intellectuel parisien : Yann Moix, un écrivain à succès, responsable d’une émission hebdomadaire à la télévision, très proche de la communauté juive, ami de toutes les personnalités intellectuelles juives, est apparu comme ayant écrit il y a plus de 20 ans des articles violemment antisémites, assortis de dessins vulgaires sur le monde juif. Depuis, il a caché ces premiers écrits, et est devenu très lié avec de nombreux Juifs, que les révélations sur son passé ont bouleversé. Pratiquement, un tel revirement est tellement surprenant que les membres de la communauté se sont clairement scindés en deux camps : ceux qui pensent qu’il faut accepter sa repentance, sa Téchouva, son désir sincère de se sentir l’ami des Juifs. Parmi eux se trouve son ami de toujours, le philosophe Bernard Henri-Lévy qui, après des hésitations, a clairement exprimé le désir d’accepter son repentir, de lui accorder une absolution pour les œuvres de sa jeunesse. A l’inverse, certains, tel l’essayiste Alain Minc, ou le chroniqueur du journal « Information Juive » du Consistoire, Guy Konopnicki, refusent de lui pardonner ses « ignominies ».
Il est évident qu’une réflexion juive, fondée sur les principes de la Torah, s’impose ici. Y a-t-il ici une possibilité de « Téchouva » ? Peut-on dire que les premiers écrits sont « impardonnables », selon ce qu’écrit le Président du CRIF ? La communauté juive qui a flatté, encensé, Moix pendant de nombreuses années, se retrouve dans l’embarras. Le fils de Benny Lévy, René Lévy, écrit aussi une chronique pour faire comprendre que les écrits de jeunesse sont une sorte de « libertinage intellectuel ». Y a-t-il, ainsi, place pour un repentir sincère d’un personnage qui parlait de la Torah comme une « valeur absolue », ces dernières années, alors que dans sa jeunesse il niait, avec ironie, l’existence de la Shoah ? Peut-on considérer que l’on a devant nous un cas de « schizophrénie » mentale : antisémite violent à 22 ans, ami et sympathisant des Juifs et du judaïsme à 40 ans ? Certains écrivains ou philosophes, comme Jules Roy ou Maurice Blanchot, ont pu être de droite, dans leur jeunesse, et lutter sincèrement contre l’antisémitisme à l’âge adulte. C’est vraisemblable, mais cela peut-il faire oublier des écrits insupportables sur l’invention des camps de concentration ? Où situer la vérité dans un tel chaos mental ? Parce qu’il mettait une kippa pendant le kaddich, quand il se trouvait avec des Juifs, dans une commémoration organisée par la communauté, faut-il lui pardonner des « bandes dessinées » et des écrits proprement « orduriers » écrits il y a 30 ans ? Il n’est nullement question, dans notre propos, de se faire procureur, et d’intenter un procès qui ne nous concerne guère ! Il semble cependant qu’une réflexion, fondée sur les valeurs du judaïsme, s’impose, et il convient de relever quelques points qui permettront de définir cet épisode, assez rare, pour ne pas dire inédit : retour sur des abominations écrites un jour, et rejetées un autre jour. Y aura-t-il une place pour la « Téchouva » et peut-on s’affirmer aujourd’hui de façon tellement démonstrative « ami du peuple juif » ? Essayons d’y « voir clair » et de dégager trois points essentiels.
1. Cette « Téchouva » est-elle sincère ? Pourquoi avoir parlé de « bandes dessinées » seulement, alors que les textes écrits relevaient du même auteur ? S’agit-il du désir de tromper le lecteur, en niant des écrits insupportables à la lecture ? Si le repentir est sincère, pourquoi cacher toujours le plus ignoble ?
2. Quelle est aujourd’hui l’idéologie de cet écrivain ? Pour avoir été attiré négativement par le peuple juif, aurait-il aujourd’hui un intérêt réel pour le judaïsme, et le peuple juif ? Quelquefois, on hait ce que l’on voudrait aimer. « Haïr » ce que l’on cherche à « aimer » n’est pas impossible. Il peut s’agir d’une haine transformée sincèrement en amour. Une telle hypothèse n’est pas impossible.
3. Laissons cet écrivain face à sa conscience ! Il ne nous appartient pas de trancher – lui pardonner, l’excuser, lui refuser l’absolution, c’est à lui qu’il revient, par son attitude, par sa conduite, à reconnaître qu’il a fait fausse route, et à faire preuve d’un regret sincère. Ce n’est pas un pardon pour des fautes que l’on attend, mais une expression « claire », « précise », d’un changement d’orientation, fondé non sur le jugement des autres, mais sur les mouvements de sa conscience.
Laissons, en conclusion, cet homme face à lui-même. Il a fauté gravement, certes, de façon irresponsable. Son repentir doit lui permettre de se confronter non avec le public parisien, mais avec son propre « moi ». L’avenir de la Torah ne dépend pas de cet individu particulier, mais d’une réflexion franche vis-à-vis d’une Autorité suprême : Da’ Lifné Mi Ata ‘Omed ! Sache Qui te juge, car Il est le seul à connaître les ressorts profonds de chacun d’entre nous. La sincérité du regret peut se mesurer à la prise de conscience de la gravité de ses actes. Ce n’est pas Bernard Henri-Lévy qui doit lui apporter sa caution ou son pardon. L’élément essentiel de la « Téchouva » est le regret des fautes. Ce n’est qu’à cette aune qu’il est possible de juger un personnage. S’il regrette sincèrement – et non pour être admis dans le monde parisien et plaire au public – alors il méritera une absolution. La valeur du pardon se mesurera à sa sincérité !