Il y a quelques années, un couple de la famille vivant aux Etats-Unis, étant de passage en Israël, nous a demandé si on pouvait s’asseoir pour discuter d’un sujet sérieux, entre adultes, sans la présence des enfants. Un peu surpris par leur requête, nous avons accepté et nous avons patienté toute la journée en attendant de savoir quel était ce sujet si important. Arrivés le soir-même, nous nous sommes assis tous les quatre, et voici que la femme a pris la parole : “Si jamais il arrivait quelque chose à mon mari et moi, que D.ieu en préserve, étant donné que mon mari et moi ne sommes pas américains, mais que nos enfants le sont, la loi aux Etats-Unis est que la garde des enfants reviendrait automatiquement à l'État américain... À moins que nous allions signaler dès à présent qui nous souhaitons comme parents adoptifs. Alors, voilà, nous avons réfléchi et nous avons estimé que vous seriez les seules personnes en qui nous aurions la confiance de confier nos enfants en cas de décès, ‘Hass Véchalom. Êtes-vous d’accord que l’on signale vos noms aux autorités américaines ?”
Nous avons été très touchés par leur demande et nous avons bien sûr accepté. Cet épisode, qui est resté gravé dans ma mémoire, m’a toujours interpellée. Je me suis de nombreuses fois posé la question : “Et si jamais quelque chose leur arrivait, serais-je vraiment capable d’adopter trois petits américains ?”
Cela m’a rappelé un passage de notre Paracha. Il est écrit : “Vous êtes placés aujourd'hui, vous tous, en présence de l'Éternel, votre D.ieu : vos chefs de tribus, vos anciens, vos préposés, chaque citoyen d'Israël” [1] : Nous sommes tous unis devant D.ieu, car Son alliance s'applique à chacun d'entre nous, à tout moment, pour toutes les générations. En outre, chacun de nous a besoin de l'autre, car 'tout Israël est garant l'un de l'autre'.”
Une histoire révélatrice est citée dans le Talmud [2] : Rav Yossef, le fils de Rabbi Yéhochou’a, est tombé malade et était sur le point de mourir. Les prières de son père le ramenèrent à la vie. Quand il a été réanimé, son père a demandé : “Mon fils, qu'as-tu vu au paradis ?”. Rav Yossef a répondu : “J'ai vu un monde à l'envers. Ceux qui sont en haut ici sont en bas là-bas; et ceux qui sont ici considérés modestement sont exaltés dans le ciel. "
Dans notre monde à l'envers, nous attribuons de la valeur aux personnes en fonction de leur compte bancaire, de leurs relations sociales ou de tout autre standard que la société considère comme précieux. Ou à l’inverse, nous considérons certains individus comme des ignorants qui se classent au bas de l'échelle sociale. Mais quand “nous nous tenons devant D.ieu”, il n'y a pas de plus haut et de plus bas. Le pauvre et le riche sont au même niveau, le président de la République est au même niveau que l’éboueur et le philosophe est au même niveau que l'analphabète. Il n’y a strictement aucune différence, ni aucun traitement de faveur. Chacun compte et chacun est unique aux yeux d’Hakadoch Baroukh Hou !
De plus, le Rav Dessler explique que si Hachem nous a dit que nous sommes mutuellement garants les uns des autres, Il nous apprend que chaque Juif a une qualité dans laquelle il est supérieur à tous les autres. Parfois, on ne peut pas le voir, ni le déceler, mais c’est normal, car dans notre “monde à l’envers”, parfois, cela n’est pas évident. Mais au plus profond de chacun de nous se trouve un riche réservoir de richesses et de sagesses qui attendent d’être utilisées - et le plus souvent, nous ne pouvons pas en être conscients.
Pour illustrer cela, voici une image : imaginez que tous les membres de la cour du roi devaient mettre une chemise d’une certaine couleur pour être pris en photo dans une certaine configuration, et devant ainsi constituer tous ensemble le portrait du roi. Sauf que Hershel, étant déçu de ne porter qu’une pauvre petite chemise blanche, alors que tous ses amis portaient des chemises colorées, a décidé de ne pas participer à la confection de cette photo. Manque de chance, Hershel représentait en fait sur la photo la dent du roi. Sans lui, la photo est incomplète, elle est même ridicule, et ils ne peuvent la remettre en cadeau au roi ! Chacun de nous a un rôle important à jouer, sans lequel l'ensemble ne serait jamais complet !
Alors comment faire pour aller à la recherche de nos ressources inexploitées ?
Dans notre Paracha, Moïse nous dit exactement où chercher. “Elle [La Torah] n'est pas dans le ciel. Elle n'est pas non plus au-delà de l'océan. Non, la chose est tout près de toi : tu l'as dans la bouche et dans le cœur, pour pouvoir l'observer !” [3] Quel message Moché a-t-il souhaité nous transmettre ?
Moché nous dit que la Torah que nous devons rechercher et exploiter est en nous, dans nos cœurs. Elle est enfouie depuis que nous sommes dans le ventre de notre maman et que l’ange nous a transmis la Torah [4]. Bien qu’elle ait été oubliée par la suite, elle est inscrite dans nos gènes, dans notre ADN cellulaire. La Torah que nous devons apprendre est en fait d’aller découvrir une vérité que nous détenons déjà en nous. Apprendre la Torah signifie donc d’apprendre déjà à se connaître.
Mais pour cela, que dois-je faire ?
À part de fixer des moments d’étude pour se réapproprier ces vérités, une des meilleures façons de découvrir la sagesse enfouie à l’intérieur de soi va être justement de se porter garants les uns des autres, c’est-à-dire de s'efforcer de passer à l’action dès lors que l’on voit une personne qui aurait un problème. Le Sfat Emet [5] nous en explique la raison. Si on est passé à côté de quelqu’un qui a besoin d’aide, alors ce n’est jamais par hasard : c’est parce qu’on a forcément en nous une partie de la solution à son problème. Si on cherche bien, on va forcément trouver à l’intérieur de nous une ressource qui va pouvoir aider à soulager cette personne. Et pourquoi Hachem ne lui enverrait pas la solution directement ? Parce qu’Il est intéressé à ce que NOUS lui tendions la main. Et c’est ainsi qu’on va découvrir toutes les richesses et la sagesse enfouies en nous et encore insoupçonnées jusqu’alors.
Par exemple, si on est passé à côté d’une femme pendant qu’elle sanglotait, ce n’est pas par hasard, c’est parce qu’on a forcément une partie de sa solution… Si on voit qu’une amie a un problème avec son enfant, peut-être que nous aussi nous avons développé une certaine habileté dans le domaine de l’éducation des enfants, qui gagnerait à être partagée avec elle.
Si on croit que la Torah est un ensemble de rituels arbitraires donnés par un D.ieu autoritaire et loin de nous, alors ça serait simple. Mais la Torah n’est pas faite pour être exécutée, comme quelque chose de lointain à nous, elle est faite pour nous transformer de l’intérieur. En vérité, rien n’est plus proche de nous au monde que notre Torah. Et la pratique de la Torah est faite afin de faire de nous une meilleure personne, une meilleure épouse, une meilleure maman, une meilleure collègue et une meilleure amie. Si la Torah ne nous rend pas compatissantes et sensibles aux problèmes de notre prochain, alors la chose reste très éloignée de nous. Mais si nous nous portons garants les uns des autres, la Torah qui est enfouie à l’intérieur de nous va ressurgir comme le plus beau des trésors que l’on va découvrir et partager au cours de notre vie.
[1] Dévarim (29,9)
[2] Pessa’him 50a
[3] Dévarim (30, 12-14)
[4] Traité Nidda 30b
[5] Sfat Emet sur Paracha Behar sur le verset : “Si ton frère vient à déchoir, si tu vois chanceler sa fortune, soutiens-le, fût-il étranger et nouveau venu, et qu'Il vive avec toi.”