Vous souvenez-vous lorsque vous étiez en CP et autres classes du primaire, et que la maîtresse vous demandait d’écrire sur votre copie le métier que vous voudriez exercer lorsque vous seriez grande ? Vous avez certainement écrit des choses comme “policière”, “infirmière”, "docteur", “maîtresse”, “poète”, “astronaute”... ou d’autres métiers idéalistes avec des considérations élevées, ou tournées vers le besoin d’aider les autres.
Et pourtant, rares sont celles qui sont allées au bout de leurs rêves d’enfance…
Pourquoi est-ce ainsi ? Comment avons-nous pris les décisions déterminantes de notre vie ? Pourquoi faisons-nous ce que nous faisons ? Est-ce notre environnement qui nous a poussées à oublier nos rêves d’enfants ? Ou bien, au contraire, considérons-nous qu’en grandissant nous avons gagné en maturité et qu'aujourd'hui on se connaît mieux que lorsque l’on était enfants ?
En fait, nous avons toute une vie pour découvrir qui nous sommes vraiment, mais encore faut-il avoir les moyens d’aller à la découverte de nous-mêmes ! C’est là tout le but de la Paracha de Lèkh Lékha, qui signifie “va pour toi”. Cette Paracha nous livre toutes les clés pour apprendre à se connaître réellement.
Voici le verset qui nous livre trois clés de la connaissance de soi : ”Éloigne-toi de ton pays, de ton lieu natal et de la maison paternelle, et va au pays que Je t'indiquerai” [1]. Nos Sages expliquent ainsi :
“Pars de ton pays” : Nous devons prendre du recul par rapport aux normes de notre pays de naissance, de sa culture franco-française et de ses pressions sociales, pour se demander ce que nous voulons pour nous-mêmes et nous connecter avec notre âme juive.
“Pars de ton lieu de naissance” : Nous devons parfois nous extirper des idées de nos amis, nos proches et nos familles, lorsque cela est nécessaire pour évoluer spirituellement.
“Pars de la maison de ton père” : Le plus dur, mais peut-être le plus essentiel, nous devons faire des choix qui nous sont propres, et non pas forcément suivre ceux auxquels nos parents aspirent pour nous, lorsqu'ils sont en contradiction avec les chemins de la Torah.
On dit que lorsque le monde entier se trouvait d'un côté, Avraham était de l'autre côté (Mé’évèr) : c’est de là que vient le mot “Ivri”, qui signifie “Hébreu”. Avraham avait des certitudes qui allaient à l’encontre de ce que la société pensait et de tout ce qui est déjà établi dans son pays depuis bien longtemps. En d’autres termes, Avraham était un marginal !
C'est pourquoi un converti au judaïsme s'appelle le fils ou la fille d'Avraham, car un converti est celui qui doit rompre avec la façon dont il a été éduqué et s’extirper de son environnement de naissance pour acquérir son identité juive. Mais ce n'est pas seulement le converti, mais chacun d'entre nous qui doit faire de même ! En tant que peuple juif, il nous est commandé de suivre la Torah, même si le monde entier est contre nous. Particulièrement nous, les femmes, car dans la Torah, les femmes juives sont appelées “Nachim ‘Ivriot” [2] : les femmes juives, sont par essence, à l’image d’Avraham Avinou : elles sont capables de penser et d’agir par elles-mêmes.
Être marginal, c’est être capable de penser par soi-même. Ne pas se laisser séduire par les pensées préconçues ou conformistes qui nous arrangent. C’est vrai que c’est parfois tentant de penser “comme tout le monde”, mais il faut être à la recherche de la vérité et non pas du confort. C’est aussi être capable de remettre en question les idées des autres, mais aussi être capable de sortir de ses certitudes, préjugés et autres fausses-croyances. C’est pourquoi l’étude de la Torah est une Mitsva fondamentale, pour les hommes comme pour les femmes, car c’est celle qui nous permet de réfléchir par nous-mêmes, d’être capables de déconstruire nos préjugés et de prendre du recul sur le “prêt-à-penser” pour se construire une opinion basée sur la recherche de la vérité.
Être marginal, c’est être capable de sortir de son déterminisme et ne pas dire “ce n’est pas possible”, ou bien “je ne suis pas capable”, ou encore “je n’y arriverai jamais”. C’est pourquoi D.ieu ordonne à Avraham de sortir au dehors [3]. Que signifie sortir ? Sortir de son propre déterminisme, nous dit Rachi ! Être juif, c’est sortir du pessimisme qui nous enferme pour avoir la foi que, devant D.ieu, rien n’est impossible.
Être marginal, c’est aller au bout de ses idées même si cela demande de prendre des risques. Avraham a été jeté dans une fournaise en feu pour ne pas s'être incliné devant les idoles, il a été raillé, pointé du doigt, et a échappé miraculeusement à la mort à plusieurs reprises. Néanmoins, il se tenait grand et ferme dans ce qu'il savait être la vérité.
Être marginal, c’est également ne pas être enfermé dans la rationalité ou dans notre côté trop cartésien. On n’est pas obligé de tout prévoir de A à Z lorsqu’on se lance dans un projet. On doit rester persuadé qu’il y a un Maître du monde qui est présent et qui nous donnera toute l’aide providentielle dont nous aurons besoin.
Pour résumer, être marginal, en fait, c’est être en perpétuelle recherche de soi-même, sans tenir compte ni des certitudes préétablies, ni de la pression sociale, ni du pessimisme ambiant, ni même de notre propre rationalité.
Certes, ce n’est pas facile, mais tout comme une graine se développe en une plante florissante après sa décomposition dans le sol, nous devons parfois laisser tout ce qui nous est familier - notre environnement naturel, nos automatismes, nos inclinations habituelles, même notre moi rationnel - afin d’atteindre une plus grande croissance. Mais, à l'instar de la graine, qui se dénue de son écorce pour mieux pousser, c’est en étant dénués de certains automatismes qui nous emprisonnent, que nous pouvons également produire notre meilleur potentiel.
Alors maintenant, posez-vous la question : où sont passés mes rêves d’enfance ? Si vous pensez avoir mûri au cours de votre vie pour être mieux à même de savoir ce que vous voulez vraiment que lorsque vous étiez enfant, alors tant mieux. Si, au contraire, vous vous rendez compte que vous avez été happés par la société et ses “qu’en-dira-t-on”, eh bien Avraham vous dirait sûrement : “Il n’est pas trop tard pour changer d’avis…” !
Béhatsla’ha !
[1] Béréchit (12,1)
[2] Chémot (1,15)
[3] Béréchit (15,5) et Rachi sur place : Selon le Midrach (Béréchit Rabba 44, 10, Nédarim 32a), Il lui a dit : “Sors de ton horoscope tel que tu l’as vu inscrit dans les astres, à savoir que tu n’auras pas de fils !”