« C’est pour moi que le monde a été créé... »
Fridi est une jeune femme pleine d‘initiatives qui travaille dans une association unique en son genre : ‘Alei Sia’h.
Elle s’investit nuit et jour pour participer au bien-être de jeunes souffrants de divers handicaps mentaux, allant du léger retard à l’autisme profond. Elle nous parle de l’institution ‘Alei Sia’h qui propose à ces jeunes une infrastructure unique en son genre pour les intégrer à la communauté. Le directeur et fondateur du centre, Rav Perkal, a réussi à force de détermination ce « challenge » incroyable, de maintenir l’association à flot depuis 30 ans et, ce, malgré des difficultés financières considérables. Ici, chaque jeune est un monde en soi dont les besoins sont pris en compte par une équipe qui se surpasse, pour l’entourer et lui permettre au bout du compte d’être autonome et épanoui. Fridi va nous faire le portrait d’une institution dont les mots clefs sont : enrichir et accompagner des jeunes adultes un peu différents.
Écoutons-la :
Comment ‘Alei Sia’h est-il né ?
Le directeur, le Rav Perkal, qui est un juif religieux ‘Hassid de Gour, a lui-même été confronté au problème d’un enfant handicapé mental, il y a plus de 30 ans, à la naissance d’une de ses filles qui souffrait d’un autisme profond. A l’époque, il n’existait aucune structure religieuse qui répondait aux attentes d’une famille orthodoxe pour un jeune adulte souffrant d’un syndrome comme l’autisme, Down, ou un retard mental allant de léger à profond. Le Rav Perkal a donc décidé, en désespoir de cause, de créer sa propre institution, où des enfants comme sa fille pourraient s’épanouir, sans compromis sur le niveau religieux du centre d’accueil.
‘Alei Sia’h ne reçoit que des jeunes de familles religieuses ?
En fait, la structure a été pensée pour répondre aux besoins de jeunes qui seraient pratiquants. Tout a été mis en place pour cela : niveau de Cacheroute, mixité, respect des Mitsvot (prières journalières, respect du Chabbath, etc.), donc, automatiquement, ce sont des familles religieuses qui se tournent vers nous. Par contre, nous proposons deux services, le Nofchon et la colonie de vacances, qui sont ouverts à tous, religieux et non-religieux.
On connaît beaucoup d’associations d’éducation spécialisées s’occupant d’enfants ou d’adolescents avec des handicaps et des retards. Quelle est la spécificité de l’association ? En quoi est-elle différente d’un autre centre qui accueillerait des jeunes handicapés mentaux ?
Tout d’abord, dans l’âge : ‘Alei Sia’h accueille des adultes après leur scolarisation dans des établissements d’éducation spécialisés. Nous louons des appartements que nous mettons à leur disposition, bien sûr séparés garçons - filles, dans lesquels ils vont vivre, intégrés à la communauté, avec un travail, des horaires à respecter, des tâches, des obligations, un salaire, des voisins. Comme tout le monde ! La logistique est très complexe, car, par exemple, à Jérusalem, les appartements doivent se trouver dans des quartiers religieux, parfois proches de l’habitation des parents, pour que les pensionnaires ne se sentent pas dépaysés. Chaque appartement peut accueillir six jeunes, à savoir deux par chambre. Un Madrikh (moniteur) est sans arrêt sur place. Les jeunes sont répartis selon la gravité de leur situation : on ne mettra pas un jeune au retard profond avec un autre souffrant d’un léger retard ; leur journée est organisée du matin au soir comme pour une personne normale, avec, au lever, la prière, puis la préparation à tour de rôle du petit-déjeuner, accompagné du Madrikh, puis des petites tâches ménagères (rangement de sa chambre, vaisselle) également à tour de rôle et enfin, le départ au travail. Là également, selon les possibilités du jeune, soit par ses propres moyens en bus s’il peut, soit par un transport organisé. Chaque pensionnaire travaille le matin et reçoit un salaire.
Une équipe de psychologues, assistantes sociales, coordinatrices se rendent régulièrement dans les appartements et font le point avec les pensionnaires pour répondre à leurs besoins. Un jeune ne se trouve pas bien dans son appartement ? On va lui trouver une solution. Un autre n’aime pas une tâche au travail ? On en parle.
Un mot sur le “Nofchon” et les colonies de vacances de l’été… De quoi s’agit-il ?
Nous proposons un service appelé “Nofchon”, ouvert à tout public, pratiquant ou non, qui propose aux parents d’un enfant handicapé, une formule particulière, où ils peuvent nous confier le jeune dans un bel appartement, protégé et encadré par une équipe professionnelle pour quelques jours. Cela permet aux parents qui veulent quelques jours de repos (parfois pour respirer, parfois pour une urgence familiale, médicale ou autre) de bénéficier d'un service d'accueil pour le jeune et de savoir que l’enfant est entre de bonnes mains. (Les parents ne paient rien, le Misrad Haréva’ha (équivalent de la sécurité sociale en Israël) finance 15 jours par an, et, dans les cas difficiles, 30 jours.) Cela est valable pour enfants et adultes. Le Nofchon d'Alei Sia’h est ouvert toute l'année et est continuellement rempli !
Il y a aussi une colonie de vacances au mois d'août, pour enfants et adultes (de 3 à 120 ans !), ouverte à tous et pas seulement aux personnes qui habitent dans les appartements d'Alei Sia’h. Chaque participant est accompagné par un (ou une) volontaire, en plus de l'équipe professionnelle, et profite de quelques jours de magnifiques vacances, avec activités et ambiance en toute sécurité. Ce service est aussi pris en charge, les parents n'ont rien à payer, et est ouvert au public religieux ou non.
Un jeune intéressé à travailler tout en restant chez ses parents peut-il opter pour cette formule ?
Bien sûr ! Nous avons presque 400 jeunes qui travaillent sans pour autant vivre dans nos appartements. Toutes les solutions sont modulables et l’essentiel est que la famille et le jeune trouvent leur compte.
Combien de pensionnaires compte ‘Alei Sia’h aujourd’hui ?
Nous avons 372 jeunes dispersés dans 74 appartements dans tout le pays.
Où ces jeunes travaillent-ils ?
Il y a plusieurs possibilités. ‘Alei Sia’h lui-même propose six centres de travail pour les handicaps plus lourds. Les travaux seront simples, comme du tri, du remplissage, la fabrication d’objets et donnent énormément de satisfaction au jeune, et, cela, par une activité à sa portée. La rémunération est très gratifiante pour eux et leur donne un sentiment d’utilité, ce qui est aussi une thérapie.
Mais nous avons également des employeurs, dans tous les domaines, qui sont intéressés à employer ces jeunes, comme par exemple une usine d'électronique, des crèches, une laverie, des salles de fête (préparation d'événements, de soirées...), une pâtisserie, un grossiste de vaisselle jetable, un atelier de reliure de livres, les cuisines de Yéchivot etc. Tous les jeunes sont suivis par une personne responsable de leur bonne intégration dans le lieu de travail et qui les aide à régler les éventuelles difficultés auxquelles ils sont confrontés.
Après le travail, les jeunes rentrent dans leur appartement. Quel genre d’activités les attend ?
Les après-midis sont réservés à la détente, avec chaque fois deux activités proposées : travaux manuels, peintures, musique, etc. C’est également à ce moment que l’équipe les visitera et fera le point. Puis, on prépare le repas du soir, toujours accompagnés du Madrikh, qui restera dans l’appartement pour le coucher.
‘Alei Sia’h est sur le point d’ouvrir une branche française dont vous êtes l’initiatrice. Vous avez senti une demande ?
Oui. Je rencontre des parents perdus dans le quotidien de la vie en Israël avec un enfant spécial et qui cherchent une structure leur correspondant, où ils peuvent parler et s’exprimer dans leur langue (en l’occurrence, le français) ; les parents d’un enfant spécial ont tellement de choses à nous dire et le barrage de la langue peut être un gros handicap. Le fait qu’on puisse les comprendre, comprendre leurs attentes et leur demande est capital. Lorsqu’une famille sent le besoin de placer leur enfant dans un habitat protégé, c'est tellement différent d'être reçus et suivis par une équipe française, autant pour l'enfant que pour les parents. Comme me l'a dit une mère : « Tant que je n'étais en contact qu'avec des israéliens, je parlais le moins possible avec le personnel éducatif ou soignant, je me limitais à des choses techniques. A présent que j'ai une interlocutrice française, je peux m'exprimer, parler de mon fils, de son caractère, de ce que j'aimerais pour lui. C’est un autre monde ! ».
Aujourd'hui, dans toutes les écoles, vous avez des services pour les ‘Olim (nouveaux immigrants) de France : Oulpan, profs particuliers, groupes d'interaction sociale pour ados dans le cadre scolaire. Il semble évident que les enfants spéciaux et leurs parents aient le droit d‘être compris dans leur langue maternelle.
Comment ‘Alei Sia’h est-il financé ?
Le concept est complètement « personnalisé »et chaque pensionnaire ou apprenti est un monde en soi à qui nous voulons donner toutes les chances d’exprimer son potentiel, et, pour cela, le personnel compte aujourd’hui 700 employés. C’est un « challenge », mais Rav Perkal ne voit les choses que sous cette forme. « Tout pour ces jeunes », c’est sa devise. En général, quand un jeune vient chez nous, le le Misrad Hareva’ha couvre 70%. A part ça, nous recevons des dons. Mais je ne vous cache pas que les frais dépassent de très, très loin le financement et les dons.
Nous organisons une tombola annuelle qui nous permet de garder la tête au-dessus de l’eau.
Comment vous-même êtes-vous arrivée à ‘Alei Sia’h ?
Je cherchais moi aussi une structure religieuse en Israël pour une jeune fille trisomique. Je suis tombée sur ‘Alei Sia’h, j’ai été conquise et je n’ai plus quitté l’endroit. Je travaille ici comme coordinatrice (responsable de plusieurs appartements et de leur fonctionnement). J’ai une formation d’éducatrice spécialisée de la méthode Feurstein. L’idéalisme, le don de soi, l’amour de l’autre sont ici des valeurs contagieuses.
Quels sont les retours des parents et de la famille des jeunes ?
Les jeunes, pensionnaires ou apprentis, sont ici dans des conditions si optimales pour leur bien-être et leur développement, que la famille reste parfois ébahie devant les acquis du jeune. Il est métamorphosé, a appris à se responsabiliser, la discipline l’a construit, ainsi que la chaleur dont il est entouré.
Un grand merci Fridi pour cet entretien. Comment peut-on entrer en contact avec l’association ?
Avec grand plaisir. Le téléphone du secrétariat général est le 02 5022260 (demander la section française)
Le mail pour la branche française : [email protected]