Rachel est l’une de mes meilleures amies. Nous habitons dans le même quartier, allons souvent ensemble à des cours, passons certaines de nos après-midis ensemble au parc. C’est notamment grâce à elle que j’ai fait Téchouva, depuis quelques années déjà.
J’ai toujours su qu’il y a une quinzaine d’années, à l’époque où nous ne nous connaissions pas encore, Rachel a été victime d’un grave accident et a eu ce que l’on appelle une EMI (expérience de mort clinique), mais je n’en savais pas plus. Je voyais bien qu’elle évitait soigneusement d’évoquer le sujet. Chaque fois que j’avais essayé d’en parler avec elle, Rachel s’était esquivée, l’air de dire : « Un jour, on s’installera avec un bon café et on en parlera ». J’ai attendu et attendu, jusqu’à ce que ce jour arrive enfin.
Un endroit inconnu
Ce jour-là, nous nous sommes installées à la terrasse d’un café, dans un coin, à l’abri des regards. « Par où commencer ? », demanda-t-elle en soupirant en guise d’introduction. « Cela fait tellement longtemps… Je me souviens que ce soir-là, j’étais en route pour une Bar-Mitsva », dit-elle en s’agitant nerveusement sur sa chaise. « Vers Beer Ya’acov, avant l’intersection de Richon Létsion, c’est arrivé. Je me souviens avoir vu les phares d’un poids-lourd arriver en face de moi à toute vitesse. C’est tout ce dont je me souviens », finit-elle par lâcher.
« Et quand tu t’es réveillée, que s’est-il passé ? », demandai-je. « Justement, je ne me suis pas réveillée. Ce n’est que par la suite qu’on m’a appris que j’étais restée plusieurs minutes sans battement de cœur, sous respiration artificielle. »
« … Et tout ce temps-là, que s’est-il passé ? T’en souviens-tu ? », essayai-je de demander, avec toute la délicatesse possible. « Oui. Je me souviens avoir atterri dans un endroit inconnu où était dressée une table très longue. Y étaient attablés des hommes saints, tous ornés d’une grande barbe blanche. » La voix tremblante, Rachel a poursuivi son récit : « J’ai compris que l’on m’avait ôté la faculté de m’exprimer. Je ne pouvais rien dire. Pendant un certain temps, je ne peux pas dire exactement combien, on a dénombré mes actions, les bonnes et les mauvaises, en les citant une par une. A l’époque, j’étais croyante, mais je n’avais aucune idée de ce qu’était le monde futur. »
Tout en écoutant Rachel, je me suis dit que si, par le passé, il m’était arrivé de me demander à quoi ressemblait le monde futur, j’étais désormais bien heureuse d’être là, sur terre, parmi les miens. J’avais encore le temps d’amasser des bonnes actions, de réparer ce qui pouvait encore l’être…
« L’une des choses dont je me souviens parfaitement, c’est que l’on m’a expliqué la gravité de dire du Lachone Hara’ (médisance). On m’a dit : “La convoitise et la jalousie excluent l’homme du monde”. Cette phrase continue de résonner en moi jusqu’à aujourd’hui. »
J’ai senti des frissons me traverser. Combien de fois avais-je moi-même posé mon regard sur ce qui ne m’appartenait pas ? Combien de fois m’étais-je plainte de mon sort ? Comment avais-je pu être tellement ingrate et ne pas remercier le Créateur pour les inestimables cadeaux dont Il m’avait gratifiée, au lieu de lorgner sur l’herbe du voisin ?
« Tu sais Yaël, il y a beaucoup de choses que j’ai vues mais que l’on m’a interdit de dévoiler ici-bas. Ce que je peux te dire, c’est qu’il y a une justice en-Haut, il y a un monde futur et que tout homme devra y rendre des comptes pour ses actions sur terre », ajouta-t-elle, les yeux embués.
La vie, par le mérite du ‘Hessed
« J’ai supplié que l’on me laisse encore vivre. Baroukh Hachem, ma requête a été acceptée et je me suis réveillée sur la table d’opération de l’hôpital. On m’a précisé que c’était grâce aux actions de bonté envers les autres que j’avais accomplies de mon vivant que ma demande avait été exaucée. Je ne savais pas exactement de quels actes il s’agissait, mais je n’ai pas posé de question. J’étais simplement heureuse de revenir dans mon corps. Puis, un grand Rav, à l’apparence majestueuse (on m’a fait savoir qu’il s’agissait du Rav Chalom Charabi), m’a tendu un bouquet d’herbes odoriférantes qu’il m’a demandé de respirer. Tout de suite après, j’ai été projetée dans mon corps et me suis réveillée sur la table d’opération. Je ne comprenais pas ce qui m’était arrivé, je voyais les médecins s’affairer autour de moi et la seule phrase qui résonnait en moi était : “Où est ce grand Rav ?” Evidemment, la première chose qu’ils ont faite en entendant ça a été de dépêcher un psychiatre à mon chevet », a plaisanté Rachel. « A la suite de ça, je suis restée longtemps en rééducation. Toutes mes vertèbres avaient été déplacées dans l’accident et il m’a fallu longtemps pour me remettre sur pied », a-t-elle conclu.
Rencontre avec la fille du Rav
« Et comment en es-tu arrivée à faire Téchouva suite à cela ? », ai-je encore demandé. « Il s’est passé quelque chose d’incroyable », a répondu Rachel, avant de poursuivre. « Les mois qui ont suivi l’accident, je ne cessais d’interroger les autres au sujet du Rav Charabi, mais personne de mon entourage ne pouvait me renseigner. Tout le monde pensait que j’étais encore sous le choc suite à l’accident. Ce n’est qu’un an après environ, lorsque j’ai entamé des études de médecine alternative, que je me suis retrouvée en classe à côté d’une certaine jeune femme très agréable, du nom de Yémima. Crois-le ou non, mais il s’est avéré qu’elle était la fille du Rav Chalom Charabi ! Dès le lendemain, j’ai été introduite par Yémima chez le Rav, bien qu’il y avait des gens qui attendaient là depuis les petites heures du matin. Dès que je suis entrée dans son bureau, j’ai reconnu le grand Rav qui m’avait tendu le bouquet d’herbes dans le ciel. »
« Et lui, t’a-t-il reconnue ? », ai-je demandé. « ”J’attendais que tu viennes me voir, ma fille”, m’a-t-il dit en me voyant. Il m’a alors expliqué que l’une de mes missions sur terre était de guérir les femmes qui viendraient me consulter. Par la même occasion, il me fit jurer que je ne recevrais jamais d’hommes en consultation, vœu que je respecte jusqu’à ce jour. J’ai alors complètement changé ma manière de vivre. C’est toute ma vision des choses qui s’est transformée, je n’étais plus la même qu’avant. Et me voilà ici à te raconter tout ça, habillée comme une Rabbanite ! », dit-elle en riant, pour détendre un peu l’atmosphère.
En rentrant à la maison, j’avais des pensées plein la tête. Moi aussi, un jour, je devrai rendre des comptes. Moi aussi, un jour, je devrai affronter mes bonnes actions comme les moins bonnes. J’ai compris que si D.ieu avait mis Rachel sur mon chemin, c’était pour m’enseigner à moi aussi une leçon de vie, dans ce monde-ci et dans le monde futur…