Le bonheur qui règne dans les familles nombreuses a besoin d'un entretien émotionnel régulier, et ce n'est pas simple. Les mamans sont rapidement effondrées physiquement par le travail que cela demande, puis doivent s'arrêter pour donner de l'attention à un enfant. Est-ce possible de donner à chacun l'attention qu'il requière ?
Binyamin est un enfant normal, autant que les enfants peuvent l’être. Il mange bien, étudie comme il faut, se réveille à une heure raisonnable tous les matins, se dispute de temps à autre avec ses sept frères, et la majorité du temps accepte l’autorité de ses parents. Il y a une seule chose où il a du mal : aller dormir à l’heure. Il était 21h30, ce qui était déjà très tard.
Les sept enfants étaient déjà dans leur lit, douchés, pendant que Binyamin refusait encore de prendre sa douche et d’aller dormir. Ce processus épuisant se répète chaque soir : sa mère le supplie, lui explique, le câline, lui promet des récompenses, essaye d’être dure, le menace. Rien n’y fait.
Ce petit débat de chaque soirée se transforme en une guerre d’usure, où tous les partis perdent. Sa mère, en fin de journée avec huit enfants, a usé de toutes ses forces. Quand Binyamin commence sa série d’excuses pour ne pas aller se doucher, cette dernière a déjà perdu toute patience.
Elle a essayé de lui expliquer la stupidité de son comportement. S’il n’aime pas se doucher, n’est-il pas préférable de se débarrasser de cette tâche le plus vite possible ? Au lieu de faire quelque chose qui lui est difficile pendant seulement quelques minutes, il tourne autour de cela et se démène dans des tentatives de le repousser pendant deux heures. Lorsqu’elle m’a parlé de cela, j’ai compris qu’il y avait là quelque chose d’inhabituel.
Si l’on a une vue d’ensemble de son comportement, son refus pour la douche ne correspond pas au profil comportemental d’un enfant obéissant comme lui.
Pourquoi cela en particulier l’entraîne à user de tellement de force ? Pourquoi les promesses de récompenses ou de menaces de punitions ne marchent pas sur un enfant de seulement 9 ans ?
Je lui ai demandé de me décrire d’avantage son programme journalier avec ses enfants, et avec Binyamin en particulier. J’ai essayé de repérer avec elle la source de sa difficulté, le point central de la cause dérangeante, et lui ai proposé d’essayer autre chose. « Je vais dormir dans une demi-heure, lui a-t-elle dit, si tu te douches dans le quart d’heure qui suit, on pourra boire ensemble un verre de thé avant de dormir. » « Donne-moi une heure », lui demanda-t-il.
Je lui ai proposé de tenir tête. De lui mettre une limite dans le temps. « C’est une proposition pour un temps limité. Dans un quart d’heure, le temps aura expiré. » A cette occasion, elle lui a expliqué la notion d’ « expiration ». L’image du lait caillé a eu de l’effet, il s’est levé et est allé se doucher.
Vingt minutes après, ils se sont assis à côté d’une petite table avec des verres de thé chaud et sucré et ont échangé une agréable discussion. Binyamin a même bu un deuxième verre. Lorsqu’il finit, il la remercia et lui dit qu’il allait dormir. Comme ça. De lui-même. Le miracle s’est également produit les nuits suivantes.
Il savait que la douche était importante pour elle, à tel point que tant qu’il s’y oppose et réussit à gagner du temps, il obtient un moment de plus avec elle. Juste elle et lui. Et en particulier après que tout le monde soit déjà au lit. Tout ce dont il avait besoin, c’était de quelques minutes de traitement spécial pour lui. Dix minutes, deux verres de thé, et même pas de supplément de gâteau.
Et en réalité, ce n’est pas un miracle. Binyamin, comme de nombreux autres enfants qui partagent l’attention de leur parent avec leurs nombreux frères et sœurs dans les familles bénies (nombreuses !), avait du mal à s’endormir à cause du manque qu’il ressentait. Il ne pouvait pas aller dormir avec un « cœur vide », de la même manière qu’il nous est difficile de nous concentrer avec un vendre vide. Il s’est avéré qu’il n’était pas contre le fait de se doucher, mais c’était son moyen à lui de passer du temps avec sa mère.
Le programme journalier des enfants est rempli de partage. Ils sont une petite partie d’un plus grand système et sont contraints de partager chaque détail de leur vie. Chaque enfant a besoin de savoir de temps à autre qu’il sort de l’ordinaire, qu’il est spécial, et que pour quelques minutes, sa mère n’est que pour lui. De nombreux enfants tournent avec une sensation semblable à la sienne, mais ne la développent pas assez pour exprimer cette détresse, ou ne sont pas assez créatifs pour arriver à une solution intermédiaire et à des chemins détournés pour combler ce manque.
Cela ne demande pas beaucoup de nous : juste quelques minutes chaque jour pour chacun d’eux. Lorsque tu sors pour demander à une voisine quelque chose, c’est l’occasion de prendre un enfant et lui dire : viens, maintenant je ne vais qu’avec toi. Lorsque tu tries une machine, choisis un autre enfant, et au moment où vous séparez ensemble les couleurs du blanc, ferme la porte et montre-lui que, pour le moment, vous avez un monde qui n’est qu’à vous.
Rivka Shapira