Il y a quelques semaines, j’ai pris la parole à un Chabbath plein pour hommes et femmes divorcés. J’ai ensuite livré aux lecteurs mes impressions sur ce week-end qui a été une source d’inspiration.
Je m’adresse à des audiences pratiquement tous les jours dans des synagogues, au sein d’organismes et d’universités (et bien sûr dans le cadre de l’organisme Hinéni, où j’enseigne régulièrement), mais je n’écris pratiquement jamais sur ces prises de parole. À cette occasion, j’en ai fait le sujet d’un article, mais j’ai aussi publié l’une des lettres que j’avais reçues suite à ce Chabbatone.
J’ai choisi de faire une exception ici, car je pense que nous ne sommes pas suffisamment conscients et sensibles à la souffrance des divorcés.
Il est très douloureux d’avoir eu un foyer et un conjoint - pour voir ensuite tout ceci s’évaporer sous nous yeux. Votre famille, même si elle a été déchirée par l’hostilité et l’animosité, était tout de même une famille et désormais, tout est fini.
Ensuite, il y a les nombreuses batailles juridiques et financières qui font partie du processus de divorce. Un divorce n’est presque jamais un accord simple à l’amiable visant à se séparer.
Les enfants vont une semaine chez papa, l’autre semaine chez maman. Le père peut avoir une nouvelle épouse ou une femme qu’il fréquente régulièrement, et la mère peut s’être remariée ou voir régulièrement un homme.
Et lorsque les enfants grandissent et sont prêts à se marier, les recommandations seront toujours ponctuées de ces termes tranchants « Parents divorcés » - un signal d’alarme.
On peut pousser un soupir de soulagement une fois le divorce finalisé, mais le cœur est lourd et il saigne. Oui, il y a eu des conflits. Oui, il y a eu une guerre froide qui a créé une atmosphère glacée à la maison. Mais la solitude est très difficile à porter.
Avec un peu de chance, les divorcés ont de bons amis et des parents et frères et sœurs affectueux qui sont là pour les soutenir et les aider. Mais la solitude subsiste comme une ombre sinistre. Personne ne peut remplacer un mari ou une femme.
Il y a une différence entre devenir veuf/veuve et devenir un/e divorcé/e. Ceux qui sont devenus veufs suscitent la compassion. Nous avons de la sympathie pour eux. Nous les invitons pour Chabbath. Nous tendons la main à leurs enfants. (Bien sûr, au bout d’un certain temps, les choses changent ; ce sont des nouvelles anciennes et le veuf/la veuve doit se débrouiller seul.)
Mais lorsqu’il est question de divorce, l’empathie n’est pas vraiment la même. Il n’y a ni enterrement, ni Chiva’ (7 jours de deuil), ni Chlochim (30 jours de deuil) pour se rappeler de la vie de la personne défunte.
Les divorcés souffrent différemment. De nombreux commérages circulent à voix basse. Les gens choisissent leur camp. Et qui peut dire qui a raison ? Cela ressemble à cette histoire ancienne :
Un homme souffre de l’animosité constante de sa femme qui menace de briser son foyer. Il va voir son Rebbe et épanche son âme : « Ma femme est hors de contrôle. Elle crie. Elle hurle. »
Le Rebbe hoche la tête en exprimant sa sympathie et lui donne une bénédiction.
Une heure plus tard, sa femme entre dans le bureau du Rebbe. Elle pleure et raconte ses malheurs. « Mon mari est méchant et ignoble. Je n’en peux plus. » Une fois de plus, le Rebbe hoche la tête en exprimant sa sympathie et lui donne aussi une bénédiction.
Lorsqu’elle part, la Rabbanite entre dans le bureau. « Je ne comprends pas, dit-elle. Tu compatis avec le mari et ensuite tu compatis avec la femme, et tu leur donnes à tous deux une bénédiction. S’il a raison et elle aussi, qui a raison ? »
Ce à quoi le Rebbe acquiesce et répond : « Toi aussi tu as raison ! »
C’est une jolie histoire, mais le message est profond. Chaque individu pense avoir raison.
À ce stade, j’aimerais ajouter un avertissement. Certains conjoints sont méchants et égoïstes. Certains peuvent lever la main et attaquer physiquement. Et d’autres sèment la destruction par un langage abusif et détruisent une famille entière. Dans de telles circonstances, le divorce peut apporter un grand soulagement.
Mais la douleur et la solitude demeurent. Or, malgré tout, il subsiste toujours un désir de se remarier et de trouver une âme sœur capable de guérir ces affreuses cicatrices qui continuent à saigner dans le cœur.
C’est pourquoi j’ai décidé d’évoquer ce Chabbath plein pour les divorcés orthodoxes. Nous sommes un peuple à qui a été confiée la charge de se montrer responsables les uns envers les autres. Nous avons la responsabilité de tendre la main pour aider ceux qui ont rêvé de fonder un foyer juif authentique et qui ont vu leur rêve partir en fumée.
Comment ? En invitant les divorcés avec leurs enfants à notre table du Chabbath. En leur donnant le sentiment qu’ils font partie de notre famille au sens large. En tendant la main au petit garçon qui doit aller seul à la synagogue et en devenant son « Papa de Chabbath ». En offrant à la petite fille dont la maman est absente de se joindre à nos filles dans leurs activités.
Lorsqu’une fête approche, certaines familles n’ont pas où aller. Invitez-les à se joindre à votre table, que vos enfants apprennent le sens de la Hakhnassat Or’him, l’accueil des invités, l’un des piliers de notre Torah. Ma mère, la Rabbanite Miriam Jungreis, avait toujours des casseroles pleines. Il n’était jamais problématique de convier un invité à notre table. Nous, enfants, ne pouvions jamais imaginer notre table sans invités, et j’ai élevé mes enfants exactement de la même façon.
C’est un héritage de notre ancêtre Avraham, dont la tente était ouverte de tous côtés pour que tout passant puisse y entrer, manger, et se restaurer. Bien entendu, il ne leur procurait pas seulement un abri matériel, mais également un abri spirituel. Il leur apprit à élargir leurs Néchamot (âmes) pour se hisser toujours plus haut et respirer l’air de la foi.
Enfin, quelque chose peut faire toute la différence lorsqu’il est question de guérir des cœurs brisés. Nous pouvons devenir des Chadkhanim (entremetteurs). Mon révéré père, le Rav, Gaon et Tsadik Avraham Halévi Jungreis, ne quittait jamais sa maison sans son petit carnet noir.
« On ne sait jamais, disait-il. Vous pouvez rencontrer quelqu’un qui serait parfaitement adapté à untel ou unetelle. » Mon père assistait aussi à mes cours à Hinéni même lorsqu’il était très malade et avait du mal à se déplacer. « Peut-être puis-je trouver un Chiddoukh pour quelqu’un. Peut-être puis-je donner une Brakha à quelqu’un pour l’aider à trouver son Basherte, son âme sœur. »
Ne devrions-nous pas l’imiter ?