Question de Réouven L.

Bonjour Rav Scemama, 

Je suis marié depuis 2 ans et nous n’avons toujours pas d’enfants.

Ceci entraîne que les discussions et les échanges avec ma femme tournent autour de notre couple, qui ne « marche » pas très bien.

Ma femme me reproche souvent d’être très égoïste et me dit qu’elle en souffre beaucoup.

Pourtant, je me trouve assez attentionné avec elle, je suis à son écoute, je lui offre des cadeaux et lui propose de sortir ensemble. En fait, je ne comprends pas ce qu’elle attend de moi.

Alors, faute de solutions, nous passons nos soirées l’un à côté de l’autre, mais chacun vaquant à ses occupations (lire, téléphoner, chatter...).

C’est assez triste, mais j’espère qu’avec l’arrivée d’un enfant - que nous espérons tant -, naîtront dans notre couple joie et amour.

Je dois préciser qu’on ne parle pas du tout de divorce, mais cette incompréhension réciproque pèse sur notre couple.

Qu’en pensez-vous ? Que me conseillez-vous en attendant ?

Bien cordialement.

Réponse du Rav Daniel Scemama

Bonjour Réouven,

Il est certain que, dans chaque couple, l’arrivée d’un enfant apporte beaucoup de joie et permet de rapprocher, voire de souder, un couple, puisqu’il est le fruit de cette relation. Mais l’expérience nous apprend que des problèmes de Chalom Bayit peuvent ressurgir même après une naissance, s'ils n’ont pas été traités à temps. C’est pourquoi, il est fortement conseillé de vous en occuper.

Commençons par le début : votre femme vous reproche d’être égoïste, ce qui est un mauvais trait de caractère, mais qu’on peut, avec une prise de conscience et de la volonté, arranger.

Mais, et c’est là un point très important, sachez qu’il y a deux « départements » distincts dans l’égoïsme : il y a ce qu’on appelle l’égoïsme de façon générale et l’égoïsme dans le cadre d’un couple.

Nous allons dans un premier temps aborder le problème de l’égoïsme « courant ».

1. Tout d’abord, ne confondons pas l'égoïsme qui est un défaut, avec le sentiment d'être et d’exister, qui est nécessaire. En effet, nous avons tous besoin de protéger notre domaine privé. Pour reprendre le langage de nos Sages, chaque être possède ses « 4 Amot » autour de lui (surface d’environ 2 mètres de rayon autour de la personne).

Le Talmud (Baba Métsia 10a) y fait référence comme lieu d’acquisition dans un domaine public, et cela a une conséquence dans la loi. En effet, tout objet sans propriétaire se trouvant dans cet espace de 4 Amot autour de quelqu’un, lui appartient automatiquement, comme si l’objet en question se trouvait dans sa maison.

Par extension, nous avons tous un lieu métaphysique de 4 Amot autour de nous, dont l’accès est interdit à tout étranger. Même dans le cadre d’un couple très uni, il existe des domaines d’intimité, des objets qui nous appartiennent, qui constituent notre « jardin secret » et qui ne sont qu’à nous.

Cela est nécessaire à l’âme, pour son équilibre psychique, et c’est tout à fait normal.

On sait qu’une des grandes souffrances des Juifs dans les camps nazis était aussi le fait de ne pouvoir garder même des objets sans valeur intrinsèque (lettre, photo...), mais qui avait une valeur sentimentale et affective immense pour leur propriétaire, comme rapporté dans le livre de Primo Lévi “Si c’est un homme”.

Cette attitude est nécessaire et légitime, et celui de chez qui elle est absente, souffre forcément de troubles psychologiques, car il manque à cette personne le sentiment d’être et d’exister. Notre « moi » doit s’exprimer à travers des objets personnels ou des souvenirs.

2. Par contre, l’égoïsme, lui, est un défaut à bannir, car il pousse l’homme à ne satisfaire que ses plaisirs personnels, même au détriment de son prochain. L’égoïste ne s’intéresse pas aux besoins de l’autre et ne fera des efforts pour son entourage, que s’il pense en récolter un avantage ou un intérêt.

La Torah, par ses commandements concernant l’homme envers son prochain, lui permet de surmonter ses mauvais traits de caractère et l’oblige à donner de lui-même et de ses biens à son entourage : par exemple, par les Mitsvot de Guémilout ‘Hassadim (réjouir de jeunes mariés, rendre visite aux malades et endeuillés, s’occuper d’un mort, etc.), Tsédaka (don financier aux démunis), ou en donnant une partie de sa récolte (Ma’asser ‘Ani, Lékèt, Chikhékha, Péa...), etc.

La Torah l’exprime par un principe général : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Mais si, au-delà de l’accomplissement de ces Mitsvot, quelqu’un se reconnaît comme particulièrement égoïste, il devra faire un travail supplémentaire en lisant des livres de Moussar, et surtout en agissant par des actes de dons, car l’acte marque l’homme plus fortement que la parole ou la pensée (cf. Soucca 14b).

C’est pourquoi, il faudra s’efforcer tous les jours de faire des actions opposées à l’égoïsme : par exemple, donner régulièrement de la Tsédaka, se proposer de raccompagner en voiture ceux qui n’auraient pas de moyens de locomotion, offrir boisson et nourriture à ceux qui restent étudier après la prière, et toutes actions qui vont dans ce sens. Le principal : persévérer dans leur accomplissement.

3. Dans le cadre du couple, il est possible que, derrière le reproche qu’une femme fait à son mari d'être égoïste, elle exprime une tout autre détresse.

Car dans l’absolu, une femme peut ne pas du tout être dérangée par un mari égoïste ; elle peut même être très heureuse auprès de lui. Il y a des gens détestés par leur entourage (des mauvais voisins, voire des voleurs, des criminels et même des dictateurs) qui s’avèrent être de très bons maris.

D’un autre côté, on peut voir des personnes délicates et raffinées, appréciées de leur entourage, bons voisins, qui s’occupent même de Guémilout ‘Hassadim (aide aux nécessiteux), et dont les femmes sont malheureuses.

On peut dès lors se poser la question : pourquoi les premiers, dotés d’un mauvais caractère, ont des épouses épanouies et les seconds, tout le contraire ?

La réponse est que cet homme égoïste, lorsqu’il a connu et choisi sa compagne pour la vie, il l’a « englobée » dans son domaine et dans sa propre personne. En fait, cet égocentrisme qui fait partie de son être n’a pas disparu, mais tout simplement, il ne concerne pas sa femme, car elle fait partie de lui-même. Il n’a fait qu’élargir sa personne en faisant pénétrer une femme dans ce lieu privilégié, sur lequel tous ses sens sont concentrés. L’épouse ne souffre nullement de ce défaut, au contraire, elle en profite.

La deuxième catégorie de mari, les « gentils », sont peut-être des gens agréables, sympathiques, pleins de qualité, mais ne savent pas, ou ne veulent pas, intégrer leur compagne à leur être et, forcément, ont à côté d’eux une personne qui souffre. Nos Sages expriment cette capacité d’ ”intégration” par des mots simples, mais tellement profonds : « Ichto Kégoufo » - sa femme est comme sa propre personne, c’est un même corps (Brakhot 24a).

Et c’est là, la clef du bonheur dans un couple.

Beaucoup d’hommes en se mariant agissent ainsi instinctivement et effectuent cette opération (d’intégrer leur femme à leur personne), car ils comprennent que, de même qu’il faut satisfaire et s’occuper de tous les membres de son corps sans en négliger aucun, de même il faut saisir et satisfaire les besoins de son épouse pour que le couple soit en bonne santé. D’autres ne l’ont pas compris et il faut le leur expliquer.

C’est pourquoi, j’ai dit au début de mes propos qu’il existe un tout autre sens au reproche de l’épouse envers son mari : quand elle lui dit : “Tu es un égoïste”, il faut comprendre : “Tu dois quitter ta vie de célibataire pour assumer ton rôle de mari et m’intégrer à toi”. D’ailleurs, en hébreu, un époux s’appelle “Ba’al” (propriétaire) qui exprime bien cette notion de possession de la femme, dans le sens le plus noble du terme, à savoir, se soucier de son bien-être et agir concrètement pour la rendre heureuse.

Entre parenthèses, on remarquera que les renseignements que l’on prend en vue d’un Chiddoukh sur un garçon ou une fille pour connaître leur caractère s’avèrent parfois insuffisants. Car un garçon peut être un bon copain, mais un mauvais mari, et une fille, une mauvaise compagne de chambre, mais une excellente épouse. En effet, les rapports homme-femme sont d’un tout autre ordre que celui des relations humaines du même sexe.

En conclusion, il n’y a que vous, Réouven, qui puissiez être capable de cerner dans les propos de votre femme ce qu’elle vous reproche. Et si vous vous reconnaissez dans nos derniers propos, alors il faut se mettre en contact avec un bon thérapeute conjugal qui vous indiquera la conduite à adopter.

Sachez qu’il s’agit d’un problème répandu aujourd’hui et qu’avec une prise de conscience et une approche différente, tout va s’arranger, avec l’aide de D.ieu.

Béhatsla’ha.