Tout le monde sait ce qu’est un ricochet.
On lance une pierre dans l’eau ; l’action a l’air apparemment anodine, et pourtant, dès l’instant où la pierre touche la surface de l’eau, des ondes commencent à se créer, d’abord petites, puis de plus en plus grandes. Et même quand la pierre disparaît sous l’eau, on en perçoit encore son effet à la surface qui s’étend bien au-delà de l’endroit où elle a disparu.
Azaria Tsarfati était devenu une personnalité dans cette ville du sud. Il était arrivé une quinzaine d’années auparavant, s’était très vite adapté et son intégration lui valut l’estime des habitants, si bien qu’ils considéraient ce jeune homme comme un des piliers de la ville.
À quoi consacra-t-il son temps pendant cette dernière décennie ?
Dès son arrivée dans la ville, le jeune marié se rendit compte qu’il n’existait pas de « gan » pour le public de « baalé téchouva » qui allait en se développant. En moins de six mois, après avoir couru d’un bureau de Jérusalem à l’autre, et réglé méticuleusement les procédures et règlements auprès des employés nonchalants parfois, le gan « Afiké hanégev » put enfin voir le jour. En quelques années, ce petit gan se transforma en une chaîne de ganim s’étendant à tous les quartiers de la ville.
Une fois les années de gan terminées, les parents qui voulaient continuer dans ce même chemin étaient maintenant à la recherche d’un Talmud-Torah. Azaria Tsarfati, toujours animé de sa volonté de fer, mit tout en œuvre pour fonder un Talmud-Torah. Il ne lésina pas sur les moyens qu’il utilisa pour arriver à ses fins. Ce n’était pas une tâche facile ; il était de nouveau confronté au flegme de l’administration, mais savait quels arguments mettre en avant pour atteindre son but.
En un clin d’œil, il trouva une caravane qui pourrait être séparée en deux classes. Il la meubla et l’arrangea du mieux possible, installa l’électricité et contacta joyeusement les parents pour leur annoncer qu’ils pouvaient déjà inscrire leurs enfants.
Lorsque les responsables de la mairie imposèrent la destruction immédiate de la caravane, Azaria Tsarfati s’adressa directement au maire de façon catégorique : « Si vous n’activez pas l’obtention d’un permis de construire pour la caravane, et si vous n’attribuez pas dans les plus brefs délais un terrain pour la construction du Talmud-Torah, en deux ans cela se retournera contre vous comme un boom-rang, et vous cèderez votre place à quelqu’un de plus compétent que vous ».
La détermination d’Azaria Tsafati et son regard lançant des éclairs eurent leur effet. Le maire comprit tout de suite que ce jeune homme avait tout d’un leader et qu’il était dans son intérêt de trouver un compromis avec lui s’il ne voulait pas perdre sa place en moins de deux ans et se retrouver à chercher du travail comme un débutant.
Azaria Tsarfati prenait à peine le temps de souffler. Tout de suite après avoir fondé le Talmud-Torah, il mettait déjà en place l’infrastructure de la yéchiva kétana qui allait bientôt voir le jour. Après quoi il prit contact avec le ministère des Affaires sociales et fonda un centre pour enfants attardés. Mais tout cela ne lui suffisait pas encore. Son incroyable ascension lui permit une rencontre fructueuse avec l’un des représentants d’une grande association de bienfaisance. Il put mettre en place dans sa ville une grande annexe, qui distribuait des centaines de paniers de nourriture aux familles nécessiteuses. Il apprit également comment tirer habilement profit de chaque situation.
Pour être clair, l’ascension d’Azaria Tsarfati dans cette ville du sud ces dix dernières années fut fulgurante…de quoi faire des jaloux, et Baroukh Hachem, les jaloux ne manquent pas.
Entre-temps, il devint également papa de six enfants. Sa femme vertueuse ne se plaignait pourtant jamais d’être surchargée de travail. Au contraire, elle permettait à son audacieux mari d’aller au bout de ses rêves et d’atteindre des sommets de Torah et de bonté. Elle avait bien compris que le temps qui nous est imparti est compté et que la tâche est grande, mais Azaria Tsarfati était un travailleur zélé, et il n’était nul besoin de le rappeler à l’ordre.
Un jour, il rentra à la maison très fatigué, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Cette fatigue persista deux ou trois jours jusqu’au moment où il s’écroula. Une ambulance le transporta à l’hôpital Soroka à Beer-Shéva. Après lui avoir fait subir des examens approfondis, le Docteur Andrey Foksman sortit de la salle avec un visage grave, se dirigea vers Azaria et sa femme Orit et leur annonça : « Je suis désolé Azaria, vous souffrez d’une dégénérescence musculaire… »
Il n’y avait pas besoin d’en dire plus. Azaria avait tout de suite compris que ses années à vivre étaient comptées. Avec son sixième sens, il comprenait maintenant pourquoi il avait réussi à fonder tout cela, car il était indéniable que ses œuvres relevaient du miracle, quelque 2000 élèves étudiaient dans ses institutions et ses aspirations n’étaient pas encore assouvies…
« Orit, cette maladie ne m’affecte pas plus que ça. Il y a un Maître du monde, et Il sait exactement quand me rappeler à Lui, mais le travail à accomplir est encore considérable. Arme-toi de forces et de courage, il faut fonder un séminaire de jeunes filles et une yéchiva guédola et si D-ieu veut, nous créerons une maison d’accueil importante ».
Ses ambitions se concrétisèrent. Malgré sa maladie qui l’affaiblissait de jour en jour, Azaria Tsarfati réalisa ses rêves les uns après les autres comme s’il était en parfaite santé.
Trois jours avant sa mort, le rav de la ville Na’hchon Argaman s’assit près de lui, lui caressa affectueusement la main et lui demanda : « Azaria, mon ami, toi qui a bâti des mondes, tu ne m’as jamais raconté comment tu as fait téchouva et ce qui t’a amené à prendre sur toi le joug divin ».
Les lèvres asséchées d’Azaria esquissèrent un sourire timide.
« J’étais attablé dans un restaurant de ‘Haifa avec mes amis par un après-midi. Nous buvions de la bière, nous mangions, nous chantions et étions joyeux. Dans cette ambiance puérile, nous ne parlions que de futilités. En face du restaurant, nous pouvions apercevoir la vitrine d’un « magasin d’abominations », qui affichait ses photos indécentes, que D-ieu préserve. Tout à coup, un jeune avrekh passa, vêtu de son costume noir et son chapeau sur la tête. Il marchait de façon déterminée sur le trottoir d’en face. Quand il aperçut l’abominable vitrine, il tourna la tête, ferma les yeux avec force, baissa son chapeau le plus bas possible sur son front et s’éloigna rapidement. Tous mes amis riaient et se moquaient de lui, mais moi, j’ai senti une flèche m’atteindre en plein cœur. Je me suis demandé au fond de moi comment il était possible qu’un jeune homme ne soit pas attiré à regarder. S’il n’était pas soumis à cet instinct, il était forcément conquis par d’autres tendances, apparemment meilleures et plus nobles. Il était incontestable que ses choix lui donnaient la force surhumaine de résister à la tentation et de préserver la pureté de ses yeux. Pendant trois jours, les idées se bousculèrent dans ma tête, je revoyais devant moi la scène de l’avrekh qui baissait la tête, se protégeait de son chapeau, fermait les yeux et refusait délibérément de s’exposer à l’indécence. Peu de temps après, j’ai téléphoné à la yéchiva « Nétivot téchouva », et là-bas, j’ai étudié la Torah, et j’ai reçu les réponses à toutes mes questions. Et ensuite, je me suis lancé avec assiduité dans le chemin, kavod harav, dont vous connaissez l’aboutissement… »
Devant des milliers d’habitants de la ville, devant la veuve et les six orphelins, le rav Argaman, dans un discours à fendre le cœur, racontait la grandeur d’âme et le dévouement exceptionnel d’Azaria, z"l pour tout un chacun comme pour la communauté.
« Nos yeux ne peuvent que contempler l’œuvre de notre tsadik Azaria… Il y a trois jours seulement, Azaria m’a raconté ce qui l’a poussé à faire téchouva, à revenir à la tradition de nos Pères… Réalisez-vous mes chers amis que le simple fait d’avoir vu un jeune avrekh fermer les yeux, baisser la tête et rabattre son chapeau pour préserver la pureté de ses yeux il y a quinze ans de cela à ‘Haifa permit à Azaria de faire une téchouva complète ! Cela mérite d’être médité ; rendez-vous compte de l’impact que peut avoir un acte anodin de kidouch Hachem, de pudeur, accompli par un juif pieux. De petits actes anodins peuvent créer des mondes infinis de Torah et de bonté.
« …Et cet avrekh de ‘Haifa ne se doute probablement pas ce qui a découlé de ce formidable moment. Je vous propose de prendre sur vous un acte de kidouch Hachem pour l’élévation de l’âme de ce pilier de la Torah et de la bonté qu’était Azaria. Cet acte sera bien sûr de préserver la pureté de vos yeux… » Nous implorons Hachem que cela porte ses fruits.
Nous parlons de ces actes apparemment anodins, mais desquels découlent des bienfaits infinis pour toute la communauté d’Israël. Ces mêmes actes qui créent des mondes, et rapprochent de notre sainte Torah les âmes égarées.
L’IMPACT DE LA PURETE
« …Si les bné Torah étudient avec sincérité, ils ont le pouvoir de sauver le peuple de la faute, de l’hérésie et par conséquent, déversent sur le monde une abondance de pureté ».
Ceux qui recherchent la compagnie des érudits en Torah bénéficient de leur influence positive ; cette simple compagnie ayant plus d’impact parfois qu’un acte concret. (Le ‘Hazon Ich, zatsal)
Extrait du livre "Le Journaliste", de Koby Levy