Steeve, juif de 18 ans, ne connaît pas de limite ! Il a tout pour réussir mais préfère passer son temps à enquiquiner les autres. Suite à un bouleversement dramatique et une rencontre improbable, son destin prend une nouvelle dimension totalement à l'opposé de ce qui était prévu. Steeve va devenir peu à peu Shimon.
Je vous laisse découvrir cette histoire, inspirée d’une histoire vraie, belle, forte, et qui vous surprendra sur bien des points. Bonne lecture !
Tout commence dans les années 90, lors d’un jeux de devinette, un jeune homme est en train de faire sa propre description à son meilleur ami, David.
– J’ai 18 ans, je suis dans ma dernière année de lycée. Je passe mon BAC à la fin de l’année. J’agis souvent sans réfléchir. Mes profs, les adultes, et surtout mon père n’arrêtent pas de me dire que je suis borné, têtu et insolent. Je suis particulièrement beau. Je me considère comme un vrai don du ciel, mais les gens autour de moi pensent carrément le contraire. Je…
– Stop ! C’est bon j’ai trouvé, pas besoin de continuer. Il est évident que tu parles de toi, mon cher ami. C’était trop facile ! Personne n’arrive à s’auto-décrire avec autant de justesse. J’ai mon point, et c’est à ton tour de deviner maintenant : je suis le 42ème Président des États-Unis, je suis brun…..
Après cette mini-intro, il vaut mieux que je me présente complètement pour vous raconter mon histoire :
Je m’appelle Steeve et je viens d’une époque où les téléphones portables ne servaient qu’à appeler ou à texter. En ces temps-là, personne n’avait les yeux rivés en permanence sur son smartphone (si on peut appeler cela « smart »). Personne ne passait plus de deux minutes à le consulter, et il était impensable d’y passer même ses journées comme aujourd’hui.
Je vivais dans un monde où Facebook, Youtube et Instagram n’existaient pas encore. Steeve Jobs était au même moment dans son garage en train d’élaborer et de dessiner sa pomme pour l’une des plus grande invention de notre siècle qui allait changer le quotidien de millions de gens. Je me souviens encore que lorsque l’on avait rendez-vous avec quelqu’un et que cette personne était en retard, on appelait d’une cabine téléphonique pour s’entendre dire : “David est déjà parti depuis un moment, il ne va pas tarder”. Et on attendait.
Les plus avancés d’entre nous manipulaient timidement Internet sur les tous premiers ordinateurs. Chez mes parents, nous étions équipés, comme quelques familles chanceuses, d’un minitel. C’était très pratique si vous étiez un bachelier, car vous pouviez vous connecter et connaître vos résultats à l’avance avant que le postier ne vous les mette dans votre boîte aux lettres. C’était un atout pour les plus stressés d’entre nous. Mes oreilles se souviennent très bien du cri que ma soeur avait poussée losrqu’elle avait été reçue avec mention. Mes parents étaient très fiers de Beverly (oui, mes parents adoraient les prénoms américains), ce qui faisait un parfait contraste avec ce qu’ils pensaient de moi.
Avec David, on aimait bien trainer devant la télé et ne rien faire. Au lycée, nous étions les rois du n’importe quoi. Pas un jour ne passait sans que le directeur ne passe un coup de fil à mon père pour le menacer que si je ne changeais pas, il serait dans l’obligation de me renvoyer… définitivement ! Maintenant, je sais qu’une partie de moi provoquait ces appels, parce que je savais que la plupart du temps, mon père quittait son travail plus tôt pour venir me chercher. Quand j’entrais dans sa voiture, il me répétait toujours cette même phrase en soupirant : “Mais qu’est-ce que je vais faire de toi ?”. Je ne répondais généralement rien, car au moins je passais du temps avec lui.
C’était un homme très occupé qui n’avait pas beaucoup de temps à nous consacrer, nous, les enfants, et à ma mère aussi. D’ailleurs, ils se disputaient beaucoup à ce sujet. Elle lui reprochait de ne jamais être là et de devoir tout assumer, toute seule et tout le temps, surtout moi, « le problème Steeve », comme ils m’appelaient. Elle n’arrêtait pas de me dire que je lui donnais des cheveux blancs avant l’âge. Après une énième dispute, ils étaient arrivés à un accord que dorénavant c’était papa qui s’occuperait de mon cas si le lycée appelait.
Un jour où j’avais franchement dépassé les limites avec mon prof de physique (je l’avais insulté parce que je n’aimais pas son jogging), j’avais été viré du cours sur le champs. Mon père furax m’avait privé de sortie. Il avait seulement autorisé David à passer me voir afin de me donner mes devoirs.
Comme mes parents étaient au travail et que j’étais d’humeur particulièrement exécrable, j’ai demandé à Dav’ s’il voulait boire un peu le vin que papa aimait bien boire à de grandes occasions. “Ok, mais si tu as du whisky, je préfère, parce que cela ressemble à du jus de pomme.”
Trop occupé à ruminer sur mon renvoi, je n’avais même pas tilté que David était venu jusqu’à chez moi en voiture… Si seulement j’avais été moins bête…
Et après 1, 2, 3, 4 verres engloutis, nous étions en train de rire comme des fous sans nous soucier des yeux de ma soeur, Beverly, qui nous jetaient des éclairs (et ils n’étaient pas au chocolat ceux-là). Et puis, d’un coup, ne sachant pas ce qui m’est passé par la tête (sans Kippa à l’époque), j’ai proposé malgré ma punition qu’on aille manger un bout dehors. Dav’ a tout de suite dit ok, même quand ma soeur a essayé de nous en dissuader.
On a démarré, on riait beaucoup, je ne faisais pas attention que mon ami zigzaguait dangereusement sur le périf. Je le laissais gérer jusqu’à ce qu’il loupe une bretelle de sortie et qu’il décide de tourner sans prévenir. Avec le taux d’alcool dans le sang, nous n’avions aucune chance de nous en sortir quand le camion nous a percuté de plein fouet. Enfin… moi, j’ai eu de la chance, puisque j’ai survécu, mais pas lui, pas mon ami…
La suite a été tellement chaotique que je ne peux pas exactement tout vous raconter parce que j’étais trop rongé par le regret et le chagrin, avec mon impossibilité à accepter que mon meilleur ami n’était plus là, par ma faute.
Après notre accident, par le choc, je suis rentré dans une sorte de mutisme : pendant cinq semaines, je n’ai plus du tout parlé. Les médecins ont dit à mes parents qu’à part mes jambes plâtrées, neurologiquement, tout allait bien, il fallait juste me laisser un peu de temps. Quelques semaines plus tard, on m’a retiré les plâtres et j’ai dû me rendre trois fois par semaine chez un kinésithérapeute pour ma rééducation.
Quand je suis arrivé la première fois, j’étais un peu étonné que le Rabbin de ma synagogue soit aussi kiné dans la vie. Tout le monde l’appelait Rav Elnathan, mais moi je ne voulais pas l’appeler du tout. Je refusais de lui parler comme les autres.
Au début de nos séances, il a commencé à me poser des questions sur mon accident, sur ma vie, sur l’école que je fréquentais, mais je m’obstinais à ne rien répondre.
Et puis, un jour, il m’a expliqué en plein milieu d’un exercice qu’il devait faire une pause parce que nous avions changé d’heure et que la prière de l’après-midi - Min’ha - était désormais plus tôt et qu’il ne pouvait pas rater l’heure.
En regardant mon Rav/kiné interrompre sa journée pour prendre son livre de prière et priait dans un angle bizarre de la fenêtre, cela m’avait beaucoup énervé. Je trouvais cela scandaleux qu’il me laisse en plan sur la table.
Depuis ma propre Bar Mitsva, je n’avais pas ouvert un livre de prière et je m’en portais très bien. Je ne comprenais pas pourquoi je passais après ce livre.
Quand il eut finit au bout de cinq minutes (un rapide le monsieur), il me demanda si je voulais, à mon tour, faire ma prière. Je n’ai pas pu m’empêcher de rire : “Tu veux que moi, je fasse la prière, t’es pas sérieux ?!”.
Cela m’a fait très bizarre d’entendre ma propre voix en stéréo, mais le plus étrange c’est que je me suis mis à rire. J’avais carrément oublié l’effet que ça faisait. Maintenant que je repense à nos premières discussions, je ne peux m’empêcher d’avoir très honte de la façon avec laquelle je m’étais adressé à cet imminent Rav.
– Oui, je veux que toi, mon garçon, tu te lèves de ma table et tu me lises un passage. Baroukh Hachem, tu as retrouvé l’usage de la parole, je veux que lorsque tu t’adresses à moi, tu me vouvoies. Ce n’est pas parce que je te masse tes mollets que cela te donne le droit de me tutoyer. Donc je te le redis, Steeve, lèves-toi et ouvre ce livre.
– Non.
– Pourquoi ?
– Pourquoi ? Je ne sais même pas si D.ieu existe. Parce que s’Il existait vraiment, Il n’aurait pas laissé mon ami mourir à ma place.
– Ouvre-moi ce livre et crie à D.ieu à quel point tu es triste, en colère, secoué de l’intérieur. Fais sortir toute cette rage que tu gardes en toi et parle-Lui.
– NON !
– Très bien, alors laisse-moi te raconter comment Avraham Avinou, notre premier patriarche, est parti à la recherche d’Hakadoch Baroukh Hou…
C’est ainsi qu’à chacune de mes visites, dès que Rav Elnathan me faisait faire mes exercices de rééducation, il me racontait un bout de l’histoire juive, ou plutôt de mon histoire… Bien sûr, j’avais quelques notions qui me restaient du Talmud Torah, mais jamais je n’avais vraiment suivi ce que le Monsieur Marciano disait. Avec David, on préférait s’envoyer des petits mots volants, mais maintenant que j’étais seul en tête à tête avec mon kiné, je n’avais pas d’autre choix que d’écouter, et de m’imprégner de ses paroles.
Un jour, alors qu’il me racontait l’histoire de Yossef et ses frères, il m’a demandé si je pouvais à l’avenir me munir d’une Kippa, car, pendant qu’il poursuivait le récit de la Paracha, je me devais d’en porter une :
– Je vous arrête tout de suite, je ne porterai jamais ce bout de tissu. Je veux juste retourner chez moi, m’enfermer dans ma chambre et regarder la télé.
– Et te pourrir le cerveau avec des choses qui ne vont rien t’apporter ! Perdre des heures précieuses de ta vie, alors qu’un juif comme toi peut mettre à profit son temps pour accomplir des Mitsvot.
– Quelles Mitsvot ? Je ne fais rien de bien.
– Sottises ! Chaque semaine depuis un mois, quand tu viens ici, tu ne fais qu’apprendre la Torah, et je vois mon garçon que dans tes yeux et dans ton coeur, c’est en toi.
– Mouai… Je ne suis pas sûr de ce que vous dites. Bon, j’attends la suite… Parce qu’à la place de Yossef, j’aurais tabassé mes frères ! Ou pire, je leur aurais mis plein de sable de partout et je me serais enfui. Quoi que… Je serais probablement mort de soif dans le désert.
Plus les jours passaient, et plus je recommençais à reparler par petites touches aux membres de ma famille. Surtout quand j’entendais mon père et ma mère se disputer une fois de plus, les paroles du Rav Elnathan me revenaient en tête comme un boomerang, et je leur racontais à mon tour la Paracha de la semaine pour faire diversion. Ils étaient tellement surpris que je me remette à parler qu’ils en oubliaient carrément l’objet de leur dispute.
Je commençais aussi à prêter plus attention à mon petit frère, Dylan, qui avait 8 ans à l’époque. Dès qu’il rentrait de l’école, il s’affalait devant la télé, avec exactement le même rituel que j’avais chaque jour. En le voyant comme ça, je ne pouvais m’empêcher de penser que lui aussi prenait le même chemin que moi, et… je le redoutais. Un soir, n’en pouvant plus, j’avais éteins la télé et lui avais proposé de jouer avec moi. A ma grande surprise, il en était fou de joie. On aurait dit qu’il n’attendait que ça.
Auparavant, il ne me serait même pas venu à l’idée de passer même 3 minutes avec lui tellement que ça me soulait, mais aujourd’hui, tout est différent. Je vois les choses sous un oeil totalement nouveau.
La plupart du temps, quand je quittais le cabinet du Rav, je me surprenais à me poser des questions, parfois même à voix haute. J’ai dû arrêter de le faire parce que nos voisins commençaient sérieusement à s’inquiéter de m’entendre parler tout seul. Mais s’il y avait bien une chose que Rav Elnathan m’avait appris, c’est que, désormais, je n’étais plus jamais seul, puisque j’avais Hachem qui était avec moi. Je recommençais à aller à l’école, et comme le BAC était dans un mois, je m’étais mis à fond dans mes révisions.
Certains moments, j’avais besoin de m’isoler pour répondre à mes conversations-questions qui me travaillaient sans cesse. Surtout quand j’étais triste ou en colère. Je ne le savais pas encore, mais ce que je faisais porter un nom qui n’est autre que la Hitbodédout (isolement).
Et puis, il y a eu ce fameux Chabbath juste avant la semaine de mon BAC.
Un samedi matin, alors que chacun vaquait à ses occupations pas du tout chabbatiques, quelqu’un tapa fort à la porte. Ma mère alla ouvrir pour découvrir avec stupeur que Rav Elnathan était venu en personne pour lui parler ainsi qu’à mon père. J’ai mis quelques secondes à capter que c’était le même homme que j’avais vu la veille.
J’étais très déstabilisé parce que je l’avais toujours vu dans sa tenue de kiné, et, là, je le voyais dans notre entrée en chapeau et redingote. Mais ce n’était pas seulement ma seule surprise du jour, puisqu’il n’était pas venu seul…
Derrière lui, se trouvait une jeune fille, qui, à en juger avec sa ressemblance frappante avec l’homme qui l’accompagnait, j’en déduisais que c’était purement et simplement la fille de mon Rav ![1]
Ma mère appela mon père pour qu’il vienne nous rejoindre. J’étais très mal à l’aise parce que, bien que se fut l’heure du repas de Chabbath, il n’y avait rien sur la table, pas même un verre de Kiddouch qui trainait.
Mon père proposa au Rav de passer au petit salon, mais le Rav Elnathan déclina l’offre, car il ne voulait pas rester. Il était tout simplement venu demander l’autorisation de me laisser aller manger chez lui après l’office de la synagogue. Il invita évidemment mes parents à se joindre à sa famille, mais mon père, trop mal à l’aise, refusa sans ménagement. Il se tourna vers moi pour connaître ma réponse :
– Alors Steeve, tu es d’accord pour aller chez le Rabbin la semaine prochaine ?
Un peu hésitant, je mis quelques secondes à répondre, car côtoyer Elnathan pendant mes séances, ça allait, mais de là à carrément aller chez lui, je ne savais pas trop…
Tous les regards se tournèrent vers moi, je ne savais pas quoi répondre, ni quoi dire, mais quand je croisai le regard tout timide de la jeune fille qui l’accompagnait, ma curiosité me piqua et je m'entendai répondre : “Oui, avec plaisir”.
Ce Chabbath-là, j’allais prendre une décision qui allait changer à jamais ma vie d’homme, de juif…
À suivre… chaque mercredi !