"À ma chère, précieuse et sacrée synagogue.
Au cours des dix dernières semaines, tu m'as tellement manqué. J'ai désiré ardemment être avec nos amis communs, unis dans la prière dans ton sanctuaire, unis dans l'apprentissage dans ton Beth Midrach, célébrant de belles Sma’hot (festivités) dans ta salle communautaire. Je voulais tant amener mes enfants étudier entre jeunes dans tes salles et jouer sur ton terrain de jeux. Pendant dix semaines, j'ai voulu passer du temps avec des amis dans tes couloirs, discuter sur ta pelouse et m'attarder dans ton hall.
Depuis plus de deux mois, je rêve d'embrasser tes Sifré Torah, de chanter les douces mélodies provenant de nos merveilleux ‘Hazanim (ministre officiant), debout sur ta Bima. Mon doigt souffre de ne plus montrer la Torah levée pendant la Hagbaa, pour que tout le monde puisse la voir, et ma main me fait mal de ne pas donner de bonbons aux innombrables enfants venant souhaiter "Chabbath Chalom" vendredi soir. Mes pieds aspirent à danser avec les Bar Mitsva après qu’ils soient montés pour la première fois à la Torah, et ma tête languit de se faire frapper par des bonbons lancés sur des jeunes hommes célébrant leur Chabbath ‘Hatan. Mon bureau est vide des personnes qui viennent me voir, mais aussi te rencontrer, pour trouver du réconfort, de la force, du sens et du soutien dans tes murs, dans les symboles et les objets sacrés que ton mobilier contient.
Chaque jour depuis plus de soixante-dix jours, je me demande, quand ? Quand pourrons-nous revenir ? Quand cet exil prendra-t-il fin ? Quand cet isolement expirera-t-il ? Quand serons-nous de nouveau ensemble ? Quand ressentirons-nous enfin le confort et la confiance que tu nous apportes ? Nous n'avons jamais eu besoin de toi plus que lorsque nous ne pouvons pas t’avoir. Nous n'avons jamais voulu plus de toi que lorsque tu nous es inaccessible.
Notre prière n’était tout simplement pas la même. Combien donnerais-je pour entendre ceux qui prient parfois si fort qu'ils me distraient. Les choses ne sont plus les mêmes sans les traînards, les chuchoteurs, les hurleurs, et j'ose dire, même les bavards. Peut-être que nous n'avions pas tout à fait raison, mais nous y étions, nous étions présents, nous étions ensemble. Et maintenant, nous sommes si loin, si seuls, si distants. Notre prière est trop calme, trop isolé, trop loin de toi, cher sanctuaire. Le simple fait d'être avec toi a fait ressortir de nous le meilleur, nous a aidés à nous concentrer, et maintenant, nous nous sentons si perdus, si rejetés, si troublés.
Pour être tout à fait honnête avec toi, il a certainement été remontant d'être systématiquement à l'heure, de pouvoir prier à notre rythme ou de ralentir pour le bien des enfants avec lesquels nous prions désormais, de ne pas avoir à nous battre pour une place de parking ou un siège. Mais nous échangerions ces conforts et commodités immédiatement, juste pour être à nouveau avec toi.
Ma synagogue bien-aimée, je me languis de marcher derrière ta Torah depuis le Bima, serrant la main et étreignant des amis en cours de route. Mon âme crie d'avoir le privilège et l'honneur de transmettre les enseignements intemporels de notre Torah à une salle comble, hommes et femmes, jeunes enfants et survivants de l'Holocauste, dont la plupart ont soif de boire à la fontaine de la sagesse de notre Torah, et même à ceux dont les yeux sont fermés, car "plongés dans leurs pensées".
Il y a quelques mois à peine, ton tapis usé et les endroits ayant besoin d'une couche de peinture me sautaient à l’œil, alors que je me concentrais sur tes imperfections et tes défauts, mais maintenant, je ne peux plus remarquer de telles choses, parce que tu es belle à mes yeux, parfaite comme tu es, et je veux juste que nous soyons à nouveau ensemble.
Pour être honnête, notre séparation n'est ni de ta faute, ni de la nôtre. Tu t’es héroïquement sacrifié, en te fermant bien avant d’en être légalement obligé, tout cela pour nous protéger, même si cela signifiait que tu resterais seul, vide et peut-être même l'air abandonné.
Depuis des mois, je rêve de nos retrouvailles. J'ai visualisé notre première fois ensemble, la joie palpable, le bonheur effréné, les câlins affectueux, les Sé’oudot Hodaya (repas de remerciement) sincères, et les bénédictions de "Chéhé’héyanou" remplies d’émotion. J'ai imaginé comment nous te décorerions, comment nous pourrions chanter et danser avec tes Sifré Torah, embrasser tes Sidourim, embrasser tes ‘Houmachim. Nous nous installions sur tes chaises, poussions un soupir de soulagement et ressentions une vague de force, de foi et d'espoir. Nous étions de retour à l’endroit auquel nous appartenions.
Et maintenant que ce jour est enfin arrivé, nous nous sentons si proches, et, pourtant, nous devons rester si éloignés.
Cette semaine à venir, si tout se passe bien, nous reviendrons près de toi, mais nous ne pourrons toujours pas entrer dans tes locaux. Nous serons ensemble dans des Minyanim improvisés, mais nous serons toujours séparés d'au moins deux mètres. Au lieu d’embrassades ou de poignées de main, nous aurons la chance de nous dire bonjour. Au lieu de sentir que nous sommes de retour, nous aurons toujours l'impression de ne pas savoir où nous sommes. Au lieu de danser, nous prendrons de la distance. Plutôt que de voir dans les cœurs les uns des autres, nous regarderons les masques les uns des autres.
Bien que nous voulions que les choses reviennent à la normale et nous soient familières, ma chère synagogue, nous acceptons que ce ne soit pas encore le moment. Il y a quelques semaines, nous avons terminé le troisième livre de la Torah et déclaré "Hazak". Nous ne pouvions pas le crier avec toi, mais, néanmoins, nous le voulions plus que jamais quand nous nous sommes tournés les uns vers les autres et avons dit : "Hazak ‘Hazak Vénit’hazèk" "Soyez forts, soyez forts, et ensemble nous serons renforcés". Et lorsque nous avons commencé le quatrième livre de la Torah (nous aurons tellement de choses à faire quand nous reviendrons enfin chez toi), Bamidbar ("Dans le désert"), nous avons reconnu qu'une personne doit être comme un "Midbar", un désert, pour vraiment recevoir la Torah. Nous avons prouvé notre volonté de vivre ainsi, et, par ce mérite, nous espérons désespérément rentrer à la maison.
Notre chère synagogue, notre amour et notre nostalgie pour toi ne se faneront jamais. Bien que nous ne puissions toujours pas entrer, nous serons bientôt un peu plus près d'être ensemble.
Avec amour et nostalgie,
Ton cher ami, Efrem"
Rabbi Efrem Goldberg