Je vous envoie une histoire très spéciale, une histoire qui a commencé il y a soixante-dix ans, et qui n’est toujours pas finie. Elle est non seulement captivante, émouvante et surprenante, mais elle contient également un élément de justice qui aurait dû être rendue depuis longtemps.
Je suis un père d’une famille israélienne typiquement orthodoxe, avec un grand nombre d’enfants. Il y a six ans, nous avons commencé à entendre des propositions de Chidoukh pour notre second fils, et comme c’est un garçon exceptionnel qui étudiait bien, possédant de bons traits de caractères et une bonne allure, nous avons reçu de très bonnes offres.
Comme c’est l’usage, nous avons l’habitude de faire des recherches non seulement sur la fille ou le garçon suggéré pour notre enfant, mais également sur sa famille. Nous ne sommes pas à la recherche de la lignée la plus prestigieuse, mais comme les Sages nous recommandent de nous renseigner sur les frères d’une future fiancée, il est sage de prendre des renseignements sur la famille.
Notre fils rencontra plusieurs jeunes filles et décida qu’elles ne lui étaient pas adaptées, puis nous reçûmes une nouvelle proposition d’une merveilleuse fille issue d’une excellente famille. D’après nos premières enquêtes, nous eûmes une très bonne impression, et un de nos proches qui connaissait personnellement la jeune fille chanta ses louanges, alors nous décidâmes de donner notre feu vert.
Ils se rencontrèrent quatre fois, et tout se passa très bien. À la fin de la quatrième rencontre, ils étaient prêts se fiancer. Il ne restait que la rencontre entre les parents et annoncer le Vort (engagement) au domicile de la jeune fille. Les amis du ‘Hatan et de la Kalla arrivèrent, il y eut beaucoup de Mazal Tov et de chants, et nous commençâmes à élaborer des plans pour une fête de fiançailles la semaine suivante.
Puis quelque chose d’inattendu se produisit. Le lendemain, lorsque notre fils retourna à la Yéchiva, il fut accueilli par les traditionnels chants et danses. Mais ce soir-là, un jeune Ba’hour vint le trouver et lui dit : « Tu sais que c’est une Guiyoret (convertie), n’est-ce pas ? »
Il eut l’impression d’être frappé en plein visage.
« Une Guiyoret ? Mais de quoi tu parles ? dit mon fils. Son père est un Avrekh. Son frère aîné est un Avrekh. Ses jeunes frères sont des élèves de Yéchiva. Tu dois te tromper. »
« Non, je ne me trompe pas, insista le jeune homme. Tu ferais bien de vérifier. »
Notre fils accourut à la cabine téléphonique et nous appela, alarmé. Je dois dire que nous étions également alarmés. Si nous n’avions pas réussi à découvrir un élément aussi élémentaire, qui sait ce que nous n’avions pas découvert d’autre ?
Nous téléphonâmes au Chadkhan (entremetteur). Il avait l’air très surpris (ça n’était pas forcément une indication, car les Chadkhanim savent feindre la surprise). Une demi-heure plus tard, il nous rappela et déclara : « Cette information est fausse. La jeune fille n’est pas une Guiyoret, ses parents ne sont pas des convertis, et aucun des grands-parents n’est converti, non plus. Mais l’arrière-grand-mère du côté du père a été effectivement une convertie. »
Ok, c’était une autre histoire. Si nous avions des soucis sur la validité de la ligné juive de la jeune fille, nous n’avions rien à craindre. Même s’il pouvait y avoir le moindre doute sur la validité de cette conversion, comme le fils de cette convertie, le grand-père de la jeune fille, avait épousé une femme juive de naissance, ces enfants étaient juifs sans le moindre doute selon la Halakha. Donc, de mon point de vue, il n’était pas nécessaire de rechercher plus loin.
Mais mon fils avait encore un mauvais sentiment à ce sujet. Je pense que ce qui le troublait, ce n’est pas tellement le fait qu’il y ait eu une convertie dans le background de la jeune fille, mais le fait que les gens le sachent. Il était encore à l’âge où le prestige, même aux yeux de personnes à l’esprit étroit, avait de l’importance pour lui.
Nous arrivons à la partie de l’histoire qui ne peut être expliquée que par l’intervention divine. Ma mère, qui vit avec nous, était impliquée dans toute l’histoire du Chidoukh et savait ce qui se passait. Elle vit que notre fils était troublé et nous demanda de nous renseigner sur la famille de la Kalla - surtout, qui était la convertie, d’où venait-elle et pourquoi s’était-elle convertie ?
Nous demandâmes au Chadkhan d’obtenir ces informations pour nous. Hésitant au départ, il se sentait mal à l’aise de remuer profondément tout ça, mais j’insistai. Dans tous les cas, nous étions au courant, et cela n’allait pas remettre le Chidoukh en péril, mais nous voulions connaître tous les détails.
Il nous rappela et nous relata le récit suivant : « Les parents de l’arrière-grand-mère de la Kalla étaient des paysans d’Ukraine. Leur nom était Vityuk. Le père portait un prénom juif, Chimon, mais apparemment, ils n’étaient pas juifs. »
Lorsque ma mère entendit ce nom, elle commença à pleurer sans s’arrêter. Elle pleurait trop pour nous expliquer, et je devinai que ça devait avoir rapport avec la Shoah, puisque ma mère était une survivante. Mais je ne savais pas si ses pleurs signifiaient que nous ne pourrions jamais nous lier par mariage à cette famille.
Nous attendions, en plein suspens, et finalement ma mère me dit : « Asseyez-vous, et je vais vous parler de Shimon Vityuk. »
Nous nous assîmes, attentifs et voici ce qu’elle nous relata :
Chimon Vityuk était un fermier ukrainien, un non-Juif qui vivait dans le village de Varshuka lors de la Seconde Guerre mondiale.
Contrairement à tous les antisémites autour de lui, Chimon Vityuk aimait les Juifs. Il disait souvent à sa famille que les Juifs sont un peuple saint qu’il faut respecter. Lui et sa femme lisaient beaucoup la Bible, et à un moment de leur existence, ils respectèrent même le Chabbath.
Puis la Shoah commença. Les Nazis occupèrent l’Ukraine, et lorsqu’il s’agissait des Juifs, ils avaient beaucoup de volontaires heureux de faire le travail pour eux. Il leur suffisait d’annoncer qu’ils étaient libres de prendre la vie des Juifs et tous les coups étaient permis pour attaquer les Juifs. Les Ukrainiens ont traqué les Juifs -hommes, femmes et enfants - et les ont assassinés par toutes sortes de moyens cruels. Ils ne se sont pas contentés de les tuer, ils ont déployé d’immenses efforts pour rechercher tout survivant de leurs massacres ou tout Juif qui se cachait, pour les assassiner également. Les quelques civils qui aidèrent les Juifs vivaient dans la peur constante d’être dénoncés et punis sévèrement pour leurs bonnes actions.
Chimon Vityuk et son frère Martin fabriquèrent une cave sous le grand four à briques de leur maison, et y cachèrent dix Juifs. Chimon se chargea de les approvisionner en nourriture et en boisson, et Martin fabriqua d’autres cachettes pour y cacher d’autres Juifs.
Un soir, Chimon entendit son chien aboyer follement autour du champ qui entourait sa maison. Il tenta de réduire le chien au silence, mais sans succès. Il décida de voir ce qui se passait et sortit dans le champ. Il y trouva une femme juive qui fuyait la bête nazie et ses collaborateurs ukrainiens.
La femme l’implora d’avoir piété et de ne pas la tuer. Chimon la rassura qu’il n’avait aucune intention de la tuer. Elle se détendit un peu, puis sortit une bague avec un diamant et dit : « Je vous donne cette bague si vous me trouvez une cachette. »
Chimon, de manière surprenante, prit la bague, puis conduisit la femme dans la cachette sous son four.
C’est ainsi qu’elle survécut, recevant à boire et à manger avec les autres Juifs qui se cachaient - jusqu’à ce qu’un jour une rumeur se répandit selon laquelle Chimon abritait un groupe de Juifs sous sa maison. Sous peu, les Nais allaient venir et les découvrir.
Chimon n’eut d’autre choix que de demander aux Juifs de se chercher un autre abri, et son frère Martin ferait de son mieux pour les aider. Ils quittèrent la cachette, le remerciant du fond du cœur.
La dernière à leur dire au-revoir était la femme. Elle le remercia et l’inonda de bénédictions. Puis Chimon sortit la bague de sa poche. « C’est à vous », lui dit-il. « Je l’ai gardée pour vous pendant ce temps. »
Elle le regarda, ahurie. « Si vous aviez l’intention de me la rendre, pourquoi l’avez-vous prise au départ ? » lui demanda-t-elle.
« Si vous insistez, je vais vous l’expliquer », dit-il. « Je voulais que vous vous sentiez le mieux possible ici. Je voulais que vous mangiez la nourriture que je vous donnais en sachant que vous l’avez payée. Et maintenant, je veux vous la rendre, car je pense qu’elle peut vous aider à l’avenir. »
Après l’avoir comblé de bénédictions, les Juifs quittèrent Chimon et chacun partit de son côté.
Quelques heures plus tard seulement, les Nazis arrivèrent. Ils attrapèrent Chimon et commencèrent à le torturer pour qu’il révèle la nouvelle cachette qu’il avait trouvée avec Martin.
Chimon savait qu’il ne pourrait résister à la torture, mais heureusement, il se remémora une stratégie qu’il avait apprise de son étude de la Bible, du Roi David.
Il se souvenait du chapitre où David fuyait Chaoul. Il avait cherché refuge chez Akhich, le roi philistin, mais les serviteurs du roi le reconnurent et en informèrent le roi. Ce dernier allait tuer David.
Plus tôt, David s’était demandé pourquoi le Saint béni soit-Il avait créé la folie. Il réalisait à présent que la seule manière d’échapper à la mort était de feindre la folie, pour qu’Akhich ne le considère pas comme menaçant.
David pria : « J’ai remis en question Ta création de la folie - de grâce, exauce-moi à présent avec cette folie. »
Hachem entendit sa prière et frappa David de symptômes de folie : « Il changea sa manière d’être en leur présence, en contrefaisant le fou au milieu d’eux, il traça des dessins sur les battants de la porte et laissa sa salive se répandre sur sa barbe.
Akhich dit à ses serviteurs : " Vous voyez bien que cet homme a perdu la raison ; pourquoi le faites-vous venir chez moi ? N’ai-je pas assez de fous, sans que vous ameniez celui-ci pour se livrer à ses actes de folie devant moi ?" »
David fut libéré et renvoyé, et il remercia profusément D.ieu d’avoir créé la folie.
Chimon Vityuk, qui était l’un des rares non-Juifs à avoir étudié le Tanakh à cette époque, décida de recourir à la tactique de David. Il commença à rouler des yeux et à marmonner des mots dénués de sens.
« C’est l’histoire que j’ai entendue sur Chimon Vityuk » dit ma mère. « Et savez-vous d’où je la tiens ? De la femme qu’il avait cachée. Qui était-elle ? Ma mère !
« Elle parlait constamment de Chimon et de son frère Martin, qui avaient sauvé sa vie pendant la Shoah. Elle disait qu’il fallait qu’elle le retrouve pour le remercier, mais c’était l’époque du Rideau de Fer, et il était impensable de retrouver quelqu’un en Union Soviétique. Mais à présent, la Hachga’ha de Hachem nous a guidé vers lui. Et je voudrais vous dire, poursuit-elle en se tournant vers mon fils, que je considère comme un immense mérite que ta Kalla soit l’une de ses descendantes. Un tel ancêtre ne se trouve pas dans toutes les familles. Et j’aimerais urgemment rencontrer un membre de la famille qui me raconte ce qu’il est advenu de Chimon par la suite. »
Nous étions assis, stupéfaits et émus. Je remarquai que l’état d’esprit de mon fils avait complètement changé. À nouveau, nous appelâmes le pauvre Chadkhan, qui était devenu si embarrassé qu’il était prêt à abandonner le paiement pour ses services, mais à sa grande surprise, notre ton était totalement différent. Nous lui expliquâmes que la grand-mère du ‘Hatan voulait à tout prix rencontrer un membre de la famille de la Kalla.
Il s’avéra que l’arrière-grand-mère de la Kalla, la fille de Chimon Vityuk qui s’était convertie, était encore en vie. Les deux femmes décidèrent de se rencontrer avant la fête des fiançailles dans la salle où elles devaient se tenir. Nous fûmes aussi de la partie.
Elle nous raconta que son père avait été atterré et avait eu honte de ce que son peuple avait fait aux Juifs. Il aurait aimé se convertir, mais il n’en avait pas la possibilité. Avec ses encouragements, elle se rendit en Erets Israël et passa une conversion selon la Halakha. Elle se maria et éleva une belle famille juive, et son fils est le grand-père de notre Kalla.
Son oncle Martin, poursuivit-elle, a disparu juste après la guerre. Ce ne sont pas les Nazis qui l’ont arrêté, mais les communistes. Elle soutient qu’il a été arrêté suite à une remarque qu’il avait faite, qui reflétait un manque d’adulation envers Staline : « Et alors s’il a une moustache - j’ai une moustache, aussi ! » Cette remarque était suffisante pour sceller son sort sous le régime de Staline, et la famille ne sut jamais ce qu’il advint de lui.
Son fils, le grand-père de la Kalla, a s’était adressé à Yad Vachem pour reconnaître officiellement le rôle de Chimon Vityuk en tant que « Juste des nations. » Mais pour une raison ou une autre, cela n’avait rien donné. J’espère qu’une fois cette remarquable histoire publiée, quelqu’un va se réveiller et lui accorder la reconnaissance que son souvenir mérite, bien qu’en ce qui me concerne, le fait que l’un de ses enfants soit devenu une femme juive est le plus grand honneur qu’un homme tel que lui peut recevoir.
Des invités commencèrent à affluer pour la fête des fiançailles. Alors que nous étions sur le point d’écrire les Tnaïm (accord), ma mère arrêta son petit-fils, le ‘Hatan et lui demanda : « Dis-moi, as-tu déjà acheté à ta Kalla une bague de fiançailles ? »
« Pas encore, répondit-il, nous allons l’acheter plus tard dans la semaine. »
« Ne l’achète pas, dis ma mère. Attends une minute. »
Elle ouvrit son sac à main et en sortit un petit paquet. Il contenait une bague avec un très beau diamant. La bague n’avait pas l’air neuve, mais c’était une pièce plus belle que nous aurions pensé acheter.
« C’était la bague de ma mère », dit-elle. « Celle qu’elle a donné à Chimon Vityuk dans le champ cette nuit-là, lorsqu’il la prit sous sa protection. La bague qu’il avait gardée pour qu’elle conserve sa fierté, et qu’il lui avait rendue lorsqu’il ne pouvait plus l’abriter. Donne cette bague à ta Kalla. Que ce soit un rappel de la Hachga’ha d’en-Haut qui a réuni la descendante du sauveteur avec le descendant de celle qui a été sauvée. Cette bague vous appartient à vous deux, et elle restera chez vous. »
Je vous ai livré mon histoire. J’ai une photo de Chimon Vityuk en ma possession, ainsi qu’un enregistrement de sa fille, l’arrière-grand-mère de la Kalla, qui parle de lui. Que cette histoire soit portée au souvenir de cet homme, dont les descendants sont de bons Juifs animés de la crainte de D.ieu. Je suis très fier d’être pour toujours lié à eux.