Une fois nos esprits libérés de la consommation d’alcool à Pourim et avant la folie des préparatifs de Pessa’h, voici une énigme à méditer : qu’est-ce que le roi A’hachvéroch et le vil Bil’am ont-ils en commun ? Hum. Ils étaient tous deux ignobles. Ils ont tous deux formé le projet de détruire le peuple juif. Bil’am était marié à son ânesse et A’hachvéroch était marié à Vachti, qui avait également une queue. Quoi d’autre ? Ils avaient autre chose en commun qui peut nous ouvrir les yeux. « Lorsque le roi aperçut Esther debout dans la cour, elle éveilla sa sympathie, et le roi tendit à Esther le sceptre d'or qu'il tenait en main. Esther s'avança et toucha l'extrémité du sceptre. » (Esther 5:2). Nos Sages expliquent qu’Esther n’était pas suffisamment proche pour toucher le sceptre, mais un miracle se produisit. Rav Yirmiyah indique que le sceptre avait une longueur de deux Amot et il s’étendit sur douze Amot. D’autres sont d’avis qu’il s’étendit à seize Amot. Enfin, certains estiment qu’il s’étendit jusqu’à 24. Dans la Braïta, le chiffre de soixante est évoqué, et Rabba bar Ofra avance… deux cents Amot !
Ce fut bien entendu un miracle extraordinaire. Réfléchissons-y. Si je me trouvais dans cette situation : je tiens un objet et soudain il s’allonge dans ma main jusqu’à une telle distance, la première chose que je ferais serait de lâcher le sceptre et de crier. Puis, paniqué, je reculerais vite fait, ou m’évanouirais simplement. Mais d’après le récit de la Méguila, nous ne voyons aucune réaction de la part du roi. Il s’adresse à Esther comme si de rien n’était. Comment est-ce possible ?
Nous trouvons le même phénomène avec Bil’am. Alors qu’il chevauchait son ânesse pour se rendre chez Balak, celle-ci ne coopéra pas. Ayant aperçu un ange debout sur la route avec une épée en main, l’animal dévia sur le côté. Bil’am frappa l’ânesse, pour tenter de la faire revenir sur la route, mais voyant l’ange entre les vignes, l’animal se réfugia contre un mur et Bil’am continua à le frapper. A ce moment-là, « Hachem ouvrit la bouche de l’ânesse qui dit à Bil’am : "Que t'ai-je fait, pour que tu m'aies frappée ainsi à trois reprises?" Bil’am répondit à l'ânesse: "Parce que tu te joues de moi ! Si je tenais une épée, certes, je te tuerais sur l'heure!" » (Bamidbar 22:27-28).
Pélé Plaïm ! Quel miracle! C’est l’un des plus grands miracles de tous les temps. Un animal prend la parole et réprimande son maître ? C’est l’une des choses surnaturelles qui a été créée la veille de Chabbath à l’heure de Ben Hachémachot (entre le coucher du soleil et la tombée de la nuit). Quelle serait notre réaction si nous étions témoins d’un tel miracle ? Nos cheveux deviendraient blancs par l’énormité du choc ou nous nous évanouirions, ou pire encore. Or, Bil’am n’est absolument pas ému et se met à parler de manière ordinaire avec son ânesse, comme s’il parlait à son épouse. Comment est-ce possible ? Comment est-il possible d’être témoin d’un tel miracle et de rester indifférent ?
Nous apprenons ici un point fondamental sur la nature humaine. Le corps physique a un pouvoir immense d’aveugler l’homme et de l’empêcher de voir la vérité. Lorsqu’on est occupé à réaliser ses désirs, on est totalement sujet à cette recherche et incapable de voir autre chose. Bil’am était en chemin pour réaliser les souhaits de Balak, dans le but de s’attirer la richesse et les honneurs. Cette recherche avide de Mamon (argent) et de Kavod (honneur) avait une telle emprise sur lui et il était préoccupé par ses intérêts que l’énormité du moment lui échappa totalement, et il continua à tenir une conversation avec son ânesse. Même scénario avec A’hachvéroch. Dès l’instant où il aperçut Esther, il fut si absorbé par sa présence et ses propres intérêts à se trouver avec elle que le miracle du sceptre étendu lui passa au-dessus de la tête et il ne réagit pas du tout.
Nous retrouvons la même idée à la fin de la Méguila. « Ensuite le roi Assuérus imposa un tribut aux pays de terre ferme et aux îles de la mer. » (Esther 10 :1). Pourquoi ceci est-il mentionné dans le récit de Pourim ? Au départ, pour connaître les origines d’Esther, le roi avait baissé les taxes en son honneur. Il espérait ainsi que la populace parlerait d’elle et qu’il récolterait plus d’informations sur elle. A la fin de l’histoire, alors que le Klal Israël a vécu un immense éveil par une acceptation renouvelée de la Torah et une nouvelle reconnaissance de la Hachga’ha, la Providence de Hachem, qu’est-ce qu’A’hachvéroch en a tiré ? Rien de plus qu’une augmentation des impôts. Il est resté le même vil A’hachvéroch du début jusqu’à la toute fin.
En quoi le Klal Israël est-il différent ? A quel point sont-ils éveillés et conscients de la volonté de Hachem dans leur vie ? Le récit de Pourim nous indique que même dans l’obscurité du Hester Panim, le voilement de la Face, Mordékhaï Hatsadik a été en mesure de lire les messages envoyés du Ciel et de diriger le peuple vers une grande Yéchoua, délivrance.
Nous lisons actuellement les Parachiot de Torat Cohanim qui traitent des lois des sacrifices. Sur la Mitsva des Korbanot, le Midrach cite un verset : « Haben Yakir Li Efraïm - Ephraïm est-il donc pour moi un fils chéri, un enfant choyé ? » (Yirmiyahou 31 :19). Notre peuple a de nombreux attributs différents. Mais ici, il semblerait que nous avons mérité la Mitsva des Korbanot grâce au fait que nous ressemblons à de jeunes enfants. Quel est le rapport ?
Le Ramban, dans son introduction au Séfer Vayikra, explique qu’après avoir achevé le Livre de Chémot avec le Michkan, le sanctuaire et la sainte Chékhina, la Présence divine qui y régnait, le Livre de Vayikra traite des Korbanot (offrandes) et de la préservation du Michkan. En effet, si le sanctuaire devenait entaché de faute, la Chékhina le quitterait. Les Korbanot expient nos fautes. Ils nous maintiennent en étant de pureté, de fraîcheur et nous offrent un constant renouveau, permettant à la Chékhina de résider en notre sein.
Ce trésor tout particulier, avec toutes ses facettes, a été donné au Klal Israël. Car nous sommes un peuple en état constant de renouveau. Nous avons une soif et un désir d’apprendre toujours plus sur la crainte de Hachem et la manière d’observer Ses commandements. Dans la Brakha du Kiddouch Lévana, la sanctification de la lune, nous affirmons que notre peuple est comparé à la lune. En effet, tout comme la lune se renouvelle chaque mois, nous vivrons au final un renouveau avec la venue du Machia’h. Ce n’est pas simplement une parabole pour l’avenir, mais également pour notre état actuel. Nous sommes en état perpétuel de progression, recherchant toujours à nous rapprocher de Hachem.
C’est la caractéristique du jeune enfant. Il grandit et se développe. Son niveau actuel est loin de son potentiel total et de son devenir. Il a un grand avenir devant lui, avec de remarquables possibilités de croissance future. C’est l’essence du Klal Israël. Peu importe l’âge de notre peuple, il est semblable à un jeune enfant, apte à atteindre constamment des niveaux inégalés et à progresser régulièrement. C’est cet attribut particulier que Hachem vit en nous donnant la Mitsva des Korbanot, une opportunité pour le renouveau d’une nation qui se renouvelle constamment.
J’écris ces quelques lignes le cœur lourd, alors que je suis encore bouleversé par la triste nouvelle du décès soudain et prématuré du Rav Moché Goldberg zatsal de Toronto. Rav Moché était l’une des étoiles de la Yéchiva de Telzhe, un Beth Hamidrach avec un grand nombre de Talmidé ‘Hakhamim en herbe. Il était issu de l’illustre famille Goldberg de Chicago. Si son frère aîné, le défunt Rav ‘Haïm était l’un des grands piliers de ‘Hessed, de bonté de notre génération, Rav Moché était l’un des piliers de Torah. J’ai eu la chance de faire partie de son entourage et il a été un modèle pour moi et d’autres élèves plus jeunes de la Yéchiva.
Il ne serait pas exagéré de dire que chaque fibre de son être était imprégnée de Torah. Il était si vivant, si enthousiaste pour l’étude. Il était plein de Sim’hat ‘Haïm, de joie de vivre, car pour lui, la vie n’était que Torah. Son bonheur était contagieux. C’était un vrai plaisir et un honneur de parler avec lui d’étude.
Il écrivit de nombreux ‘Hidouché Torah, comme l’attestent les nombreux ouvrages à son actif, intitulés Bikouré Moché. Il était également toujours vif, vibrant, neuf. Il était la quintessence du jeune homme, dont le prophète dit : « Quand Israël était jeune, Je l’avais pris en affection. » Son décès est une immense perte pour nous tous, et nous nous associons à la douleur de son épouse la Rabbanite, sa merveilleuse famille et ses nombreux élèves. Puisse-t-il être un bon intercesseur pour nous tous.
Nous entrons dans Nissan, un mois spécial de Hit’hadchout, de renouveau. Ce mois renferme de nombreuses Ségoulot pour progresser sur le plan spirituel. C’est une période riche en Mitsvot et au cours de laquelle nous pouvons acquérir une immense Emouna en Hachem. Il y a bien entendu de nombreuses tâches physiques dont il faut se charger en préparation du Yom Tov. Mais ne perdons pas de vue le but ultime de tous nos efforts : vivre un renouveau dans notre relation à Hachem. A cet effet, il faut se plonger dans l’étude de cette fête. Investir du temps dans cette entreprise en vaut la peine, pour réaliser des progrès et atteindre notre propre Guéoula personnelle.
Rabbi Yitzchok Tzvi Schwarz / Yated Neeman, traduit par Torah-Box