Une recherche sur Internet de la phrase « confiance en soi » produit des pages et des pages de résultats, et ce sont tous des articles sur l’idée de relever sa faible estime de soi. Au bout de la troisième page, je trouvais enfin un titre qui semblait porter sur la haute estime de soi, et une fois de plus, c’était une mauvaise piste. Le titre de la section était : « Niveaux d’estime de soi », qui visait à aider le lecteur à « reconnaître les extrêmes de votre estime de soi » ne définissant que la « faible » et « saine » estime de soi, expliquant qu’« il est difficile d’en avoir en excès. Se vanter et se sentir supérieur aux autres n’est pas un signe d’une trop grande estime de soi. C’est plus certainement une preuve d’insécurité et de faible estime de soi. »
Visiblement, nous avons plus tendance à manque de confiance en nous-mêmes que l’inverse.
Ce combat n’est pas nouveau. Nous le trouvons également chez nos héros bibliques, dont un grand nombre d’entre eux expriment une incertitude sur leurs aptitudes - bien qu’ayant été choisis par D.ieu Lui-même pour ces aptitudes.
Par exemple, Avraham demanda : « Que me donnerais-Tu, alors que je m'en vais sans postérité ? » (Béréchit 15,2) et « comment saurai-je que j’en suis possesseur ? » (Ibid, 8), bien qu’il eût déjà reçu la promesse d’avoir des enfants et d’hériter de la terre plus d’une fois. De nombreux prophètes expriment des sentiments similaires à celui du prophète Yirmiyahou, après que D.ieu lui a assuré le connaître intimement et l’avoir choisi comme prophète : « Je ne sais point parler, car je suis un enfant! » (Yirmiyahou 1, 6)
Et le plus célèbre sans doute et celui qui a poussé ce trait le plus loin, Moché, présente un argument après l’autre remettant en cause son aptitude et ses chances de succès : « Qui suis-je, pour aborder Pharaon ? (Chémot 3, 11) ; « Que leur dirais-je ? » lorsqu’ils voudront savoir qui Tu es ? Et même : « ils ne me croiront pas et ils n'écouteront pas ma voix, parce qu'ils diront (4 :1) juste après que D.ieu lui a dit qu’ils l’écouteraient (3 :18) : Je ne suis pas habile à parler… Donne cette mission à quelque autre ! (4 :10-13). Il continue à exprimer des doutes dans ses facultés, même après avoir réussi à faire sortir le peuple d’Egypte. « Où vais-je obtenir de la viande pour tous ces gens ? » (Bamidbar 11 :13) C’est trop dur pour moi » (Ibid, 14).
Nous serions tentés de voir ce manque de confiance en soi comme un trait de caractère positif ; après tout, nous apprécions l’humilité. Moché, en réalité, est tenu pour être un modèle d’humilité (Bamidbar 12 :3).
D’un autre côté, il y a une raison pour laquelle tous ces articles suggèrent de booster la faible estime de soi plutôt que de l’apprécier. Lorsqu’une telle « humilité » est en réalité un manque de confiance en soi, on court le risque de paralysie et d’être empêché d’atteindre nos objectifs. Moché était extrêmement humble, mais il dut puiser en lui des forces et développer sa confiance en lui pour réaliser sa mission.
Alors comment nos héros ont-ils mis fin à leurs incertitudes et accompli leur mission, sans céder à leur insécurité ? Pouvons-nous nous inspirer d’eux pour surmonter nos propres faiblesses ?
En réalité, dans ces exemples et la plupart des situations bibliques, l’individu ne trouve pas sa propre force intérieure.
D’où trouvent-ils alors la confiance pour avancer ?
Avraham, ne t’inquiète pas, oui, tu auras un descendant biologique et voici un rituel pour sceller cet accord.
Yirmiyahou, ne dis pas ça sur toi ! Ne crains rien ; Je serai avec toi.
Moché, ne t’inquiète pas, voici ce que tu vas leur dire, et voici comment ça va se passer, et voici de nombreux miracles que tu peux accomplir pour attirer leur attention, et oui, ils vont t’écouter, je te dirai comment t’exprimer. Aharon va t’aider…Même lorsque Hachem a exprimé Sa colère, c’est aussi rassurant. Moché, Je vais t’aider, allez, pars !
Alors si quelqu’un d’entre nous reçoit des instructions prophétiques pour réaliser une tâche, avec l’assurance personnelle que nous en sommes capables, nous pouvons en effet regarder ces héros comme source d’inspiration pour échapper au doute de soi, s’appuyer sur la parole de D.ieu et se mettre au travail. Car vous savez, vous le savez. Il est présent à chaque étape.
Mais combien d’entre nous avons-nous entendu la voix de D.ieu nous décrire notre tâche unique dans ce monde et nous rassurer que nous sommes suffisamment doués pour la mener à bien ? Combien d’entre nous avons vécu des miracles ciblés pour nous convaincre qu’Il le pense vraiment et qu’Il sera présent pour combler les écarts dans notre efficacité ?
Heureusement, un personnage dans le Tanakh réussit à surmonter ses propres doutes, nous indique comment chercher la voix de D.ieu, nous rassure que nous en sommes capables, même lorsque la voix n’est pas claire ; qu’il vaut la peine de prendre des risques de faire ce que nous « entendons » D.ieu nous dire, même si nous ne sommes pas certains de « L’entendre » correctement.
Lorsque nous rencontrons Esther pour la première fois, c’est une enfant, une enfant extrêmement obéissante. La Méguila nous répète plus d’une fois qu’Esther fit exactement ce que Mordékhaï lui demanda, et au départ, cela ressemble à une louange. Mais d’après le cours naturel des choses, les enfants grandissent et deviennent plus indépendants : s’ils restent bloqués dans un schéma de faire uniquement ce qu’on leur dit, « tout comme si elle était encore sous sa tutelle » (Esther 2 :20), comment construiront-ils leur confiance en eux pour affronter une situation et déterminer la marche à suivre appropriée sans qu’on leur donne d’indications ?
La nature obéissante d’Esther présente un problème particulier lorsqu’une suite de directives entre en conflit avec une autre ; Mordékhaï lui demande de se rendre chez le roi, bien qu’elle n’ait pas été convoquée, mais il y a une règle au palais !
Que l’hésitation d’Esther soit due à la peur pour sa propre vie, la certitude qu’elle sera convoquée dans les jours prochains, ou que ce soit simplement sa nature innée de suivre les règles - Mordékhaï doit l’extirper de cet état. Mais il le fait de manière étrange, en lui disant qu’il ne sait pas si sauver le peuple juif relève vraiment de son rôle.
« Car si tu persistes à garder le silence à l'heure où nous sommes, la délivrance et le salut surgiront pour les juifs d'autre part, tandis que toi et la maison de ton père vous périrez. Et qui sait si ce n'est pas pour une conjoncture pareille que tu es parvenue à la royauté ? » (Esther 4 :14)
Comment ce manque de connaissances est-il censé la motiver, en particulier si quelqu’un d’autre pourrait se charger de cette tâche ?
En lui enseignant à reconnaître l’incertitude et à accepter la responsabilité d’agir en dépit de cette incertitude.
Hachem n’est pas explicitement présent dans la Méguila. Il ne prescrit jamais à Esther une manière d’agir, et n’envoie aucun signe miraculeux évident la rassurant qu’Il l’aidera à agir. Implicitement, Il est partout, mais les signes sont moins évidents, et sans une communication ouverte dont d’autres héros ont bénéficié - qui sait?
Mais un manque d’incertitude ne constitue pas une permission de rester passif.
Nous ne pouvons savoir avec certitude pourquoi Hachem nous place où Il nous place, ou nous donne les outils spécifiques et aptitudes dont Il nous gratifie. En l’absence de communication prophétique - et comme nous l’avons vu ci-dessus, peut-être même avec - nous ne pouvons avoir une totale confiance en nous-mêmes.
Le message de Mordékhaï à Esther est que nous devons agir malgré tout.
Il n’est pas question de certitude, ni d’être la seule personne pour réaliser une tâche. Il est question de prendre ce qui nous a été donné et d’agir le mieux possible dabs notre situation, nos outils - même s’il est difficile d’être sûr des outils que nous possédons, même si nous ne sommes pas certains de la manière de les utiliser.
La grandeur d’Esther réside dans le fait qu’en dépit de ses habitudes d’une vie d’avoir laissé les autres prendre des décisions à sa place, elle est capable d’entendre la dernière instruction de Mordékhaï et de faire volte-face. Elle prend conscience des avantages offerts par sa position de reine (évidents pour un observateur extérieur, mais difficiles à percevoir par elle-même) et la possibilité qu’elle est peut-être précisément là à cet effet, et conçoit un plan détaillé. Et dans le même temps, elle accepte aussi l’incertitude.
« Qui sait ? » demanda Mordékhaï et Esther répond : « Si je suis perdue, je suis perdue. » Nous avons peut-être torts ; peut-être vais-je échouer. Nous interprétons peut-être de manière erronée la raison de ma présence ici, ou peut-être que c’est juste, mais je suis désemparée et je vais tout bâcler. OK. Je vais tenter le coup quand même.
Nous ne savons pas, nous risquons peut-être d’échouer. Mais nous avons chacun la responsabilité d’analyser notre vie, de prendre en compte les ressources et aptitudes qui nous ont été conférées et de concevoir ce que nous pourrions faire avec ces outils, ce que Hachem avait à l’esprit en nous les donnant. Nous devons agir et accepter les possibilités dans toutes les directions. « Si je suis perdue, je suis perdue. »
Le risque d’échec est présent. Mais si nous ne faisons même pas l’effort d’essayer - si nous laissons aux autres ce privilège - eh bien Hachem a Ses plans, et a d’autres moyens de les réaliser ; le salut viendra d’ailleurs. Dans ce cas, nous pouvons être assurés d’une seule chose : « tandis que toi et la maison de ton père vous périrez. » Pas une destruction physique, peut-être (pourquoi périraient-ils si le salut était assuré pour les Juifs dans leur totalité ?), mais la destruction d’une responsabilité personnelle. Quelqu’un d’autre accomplira la tâche, car D.ieu a des moyens infinis à Sa disposition - mais toi, tout ce qui t’a conduit jusqu’à ce point et tout ce que tu aurais pu faire avec les moyens dont tu disposais, seras perdue.
Sarah Rudolf