Nous sommes fiers, à juste titre, de notre Na'assé Vénichma (Nous ferons et nous entendrons). Nous avons accepté toute la Torah avant d'en connaître les détails. À ce titre, chaque Juif a reçu deux couronnes décernées par 600 000 anges (Chabbath 88a). Cette affirmation était considérée comme un secret limité généralement aux armées du ciel (ibid.). Or, en examinant la situation, nous devons nous demander ce que cet engagement du Klal Israël avait de si spécial.
Nous avons quitté l'Égypte chargés d'or et d'argent (Brakhot 5b), et chaque membre de notre peuple a été guéri de toute maladie ou infection (Mé'hilta, Yitro 9). Nous mangions la manne du ciel et buvions une eau délicieuse du puits de Miriam, et nos vêtements étaient lavés par les Nuées de Gloire. Ces mêmes Nuées de Gloire pulvérisèrent des montagnes pour nous et soulevèrent des vallées, afin que nous puissions voyager facilement. Qui n'accepterait pas la Torah dans ces conditions merveilleuses ? De plus, les Richonim (voir Tossafot ibid.) se demandent : pourquoi Hachem a-t-Il dû lever la montagne au-dessus des Bné Israël alors qu'ils avaient déjà affirmé leur stricte adhésion ?
Une réponse : la Kabbalat Hatorah d'il y a 3331 ans comprenait toute difficulté future et catastrophe que nous rencontrions à l'avenir. L'époque horrible des Croisades et de l'Inquisition d'Espagne, l'énorme tragédie survenue en 1648-49, l'innommable souffrance du 'Hourban, de la destruction de l'Europe étaient toutes partie intégrante de la promesse de Na'assé Vénichma. Avraham Avinou avait déjà vécu ces afflictions lors de la Brit Ben Habétarim, l'Alliance entre les morceaux (Béréchit 15:12) lorsqu'il ressentit aussi la future souffrance de ses descendants. Tout comme il n'a pas fléchi, de la même manière, le Klal Israël a accepté la Torah pour toujours, en dépit des souffrances qui les menaçaient pour les milliers d'années à venir. Les conditions extraordinaires du Sinaï et des années dans le désert ont été tristement éphémères, comparé aux milliers d'années complexes de Galout (exil) et de tourments. Mais, en dépit de tout cela, le Na'assé Vénichma a été le leitmotiv qui nous a accompagné tout au long de nos périodes les plus tragiques.
C'est certainement l'un des 'Hidouch du Na'assé Vénichma, la promesse qui a aidé le Klal Israël à survivre spirituellement aussi bien que physiquement dans des conditions qui auraient détruit toute autre nation, même s'ils n'avaient souffert que des moments fugaces de leur histoire.
Un article du Rav Moché Bauer m'a rappelé une histoire récurrente que j'ai entendue de mes parents survivants de la guerre et de nombreux de leurs contemporains. Un groupe de Musselmen, les squelettes ambulants, prisonniers d'Auschwitz et d'autres camps de la mort, revenaient au camp suite à une « action» sadique des Nazis. Soi-disant pour être épouillés et désinfectés pour leur propre bien, les prisonniers, qui avaient été privés de leur maigre habillement, étaient restés debout pendant seize heures d'affilée dans le froid brutal de l'hiver polonais, tandis qu'un grand nombre d'entre eux mouraient en cours de route. Lorsqu'ils furent enfin autorisés à retourner dans leur bloc, ils réalisèrent que même leur litière de paille avait disparu, et qu'ils n'avaient plus rien pour atténuer leur douleur et réchauffer leur corps gelé. Ces hommes courageux et diligents résolurent de profiter de leur chaleur corporelle commune, certains citant même un passage de Kohélet (4:11). Ils formèrent plusieurs pyramides, avec quatre hommes en bas, trois sur le dessus, deux plus haut et un au sommet. Une petite partie de leur souffrance fut atténuée, tant qu'ils purent maintenir cet étrange monticule humain.
Un homme se tourna alors vers son compagnon d'infortune avec une proposition surprenante. Regardant droit dans les yeux ce Juif religieux qu'il ne connaissait pas, il lui murmura : « J'ai une idée. Tu n'es pas obligé de l'accepter, mais je serais très content que tu l'acceptes. »
Son compagnon fatigué accepta avec réticence de l'écouter.
« Je connais un volume entier de la Guémara, le traité Bétsa, par cœur, et chaque jour, j'ai révisé une page de Guémara. »
Son compagnon, à peine vivant, lui demanda sur un ton las : « En quoi cela me concerne ?» Il répondit : « Puisque Hachem nous a mis ici ensemble, serais-tu d'accord d'être ma 'Havrouta, mon compagnon d'étude ? Je réciterai la page de mémoire, puis nous pourrons en discuter en profondeur. »
Les yeux désormais brillants, le Juif enthousiaste accepta et un Beth Hamidrach fut créé dans les champs d'extermination d'Auschwitz.
C'est dans un moment tel que celui-ci que la promesse du Na'assé Vénichma fut attribuée au mérite éternel du Klal Israël.
Le roi Chlomo affirme (Kohélet 2:9) qu'en dépit d'avoir testé toutes les formes de plaisirs permis, «ma sagesse m'est restée comme appui.» Nos Sages (Yalkout Kohélet 2:9) réarrangent les termes hébraïques de ce verset : «Af 'Hokhmati Amdou Li» en « 'Hokhma Chélamadeti Béaf Amdou Li : la Torah que j'ai apprise dans des circonstances difficiles m'est restée comme appui. »
Rav Elazar Ména'hem Chakh était un jeune orphelin qui étudia pendant plusieurs années dans une synagogue gelée, avec très peu de nourriture. Mais il avoua plus tard que ce furent ses meilleures années d'étude, passées à étudier dans les circonstances les plus éprouvantes. Le Na'assé Vénichma du passé assista le Roch Yéchiva, l'aidant à devenir le Gadol Hador, le grand de la génération, qui dirigea le peuple d'Israël dans des périodes difficiles. En effet, le Rambam (Hilkhot Talmud Torah 3:12) codifie son approche de l'étude de la Torah en général : « Les paroles de Torah ne se fixent pas chez quelqu'un qui les prend à la légère, ni chez ceux qui étudient dans la gâterie, avec une abondance de nourriture et de boisson. Ils perdurent uniquement chez quelqu'un qui se tue dans la tente des érudits.» Le Lé'hem Michné commente : « Si vous abandonnez la Torah parce que vous êtes occupés ou souffrez de difficultés…la Torah ne demeure pas en vous. »
Le Rambam fait écho à cette interprétation dans son commentaire des Pirké Avot (5:22) : « La récompense est fonction de la souffrance.» Il écrit : « Il n'y a aucun intérêt à étudier la Torah dans la sérénité et le repos. » Le Taz (Ora'h Haïm 47:1) tranche aussi que la Torah ne peut s'acquérir dans des conditions de confort et de luxe. On pense immédiatement au modeste domicile du Rav Aharon Leib Steinman, où il étudiait sur une chaise sans dossier, pour accomplir le précepte de 'Hokhma Chélamadéti Béaf.
De manière intéressante, le Rav Chakh (introduction du Avi Ezri à Nachim) écrit qu'il semble y avoir une contradiction à cet avis du Rambam dans ses propos ailleurs dans son commentaire à Avot (6:5), où il cite que l'une des 48 méthodes d'acquisition de la Torah est le Yichouv, que le Rambam interprète comme le Yichouv Hada'at, la sérénité d'esprit. Ceci semble indiquer qu'il vaut mieux étudier la Torah dans des conditions qui permettent à l'homme de se concentrer sans distractions, ni frustrations.
Rav Chakh répond que l'étude de la Torah est différente des autres disciplines. Pour les sujets profanes, il sera peut-être préférable de trouver un endroit où l'on peut se concentrer et intégrer le sujet. Mais la Torah ne peut s'acquérir sans Siyata Dichmaya, assistance divine. En conséquence, on nous demande de créer une sérénité au milieu de l'adversité et des distractions. Nous avons bien entendu besoin de Yichouv Hada'at, mais nous devons créer une oasis de concentration, en dépit de ce qui se passe autour de nous.
Le Steipler (Birkat Pérets, p. 36) suggère deux raisons pour lesquelles la Torah subsiste chez ceux qui souffrent pour elle. Tout d'abord, il est naturel d'apprécier ce qu'on a obtenu avec difficulté. Deuxièmement, il nous rappelle que « chaque souffrance pour la Torah accomplit l'une des méthodes d'acquisition de la Torah et cimente la Torah en soi.»
Le 'Hafets 'Haïm (Rabbi Moché Méir Yacher : Le 'Hafets 'Haïm, p. 134) estima que c'était un grand mérite pour le Klal Israël lorsque des jeunes élèves quittèrent leur domicile confortable aux États-Unis pour se rendre à la Yéchiva de Radin. Il eut même recours à ce phénomène pour implorer Hachem d'aider le Klal Israël, par le mérite des jeunes gens choisissant d'étudier la Torah dans des circonstances difficiles.
Le 'Hatam Sofer ('Hochen Michpat 9) cite ce concept comme une Halakha, lorsqu'il s'agit de décider d'attribuer des fonds déposés dans une fondation pour de jeunes garçons brillants afin de les soutenir et les aider à devenir des Posskim (décisionnaires) et des Guédolé Torah (géants en Torah). Il émet cette mise en garde : le philanthrope veut certes qu'ils vivent «confortablement», mais il serait contreproductif pour eux de leur proposer des hébergements et services luxueux, ce qui détruirait leur chance d'accéder à la grandeur en Torah.
Mon maître, Rav Its'hak Hutner, a poussé cette idée plus loin, ce qui peut nous donner une nouvelle idée de l'engagement indéfectible du Klal Israël pour la Torah dans la difficulté. Son épouse, la Rabbanite, était décédée le 15 Kislev 5733 et le Roch Yéchiva, le cœur lourd, commença les Divré Torah au début de la fête de cette année-là. Ses premiers mots (Séfer Hazikaron, Pa'had Its'hak, p.60) furent : « Le roi Chlomo a dit : Af 'Hokhmati Amda Li, ce que nos Sages interprètent comme 'Hokhma Chélamadéti Béaf. Imaginez le Kal Va'homer (argument a fortiori). Si l'étude faite sous pression est si puissante, combien l'étude dans la joie vaut-elle dans des circonstances si difficiles ! »
Nous pouvons retenir de ses termes émouvants et profonds, qu'à chaque fois que nous avançons dans la Torah et la Avoda, le service divin, dans des conditions terribles, nous pouvons accéder à un résultat exponentiel, bien plus que nos réalisations effectuées facilement et naturellement.
Le Na'assé Vénichma résonne éternellement de nombreuses manières. On nous rappelle d'étudier la Torah tard le soir et tôt le matin, lorsque nous sommes restés éveillés tard le soir et devons nous lever tôt, lorsque nous aspirons à étudier ou sommes trop fatigués pour réfléchir. Chaque défi produit un nombre infini de brillants résultats. Acceptons la Torah à tout prix et dans toutes les situations. Ceci nous aidera à réaliser de grandes choses dont le Klal Israël a grandement besoin à notre époque.
Rabbi Yaakov Feitman / Yated, traduit par Torah-Box