Nos souffrances ont- elles un sens ? Une raisons d’être ? Du rhume à la perte d’emploi, en passant par une entorse au poignet, nos douleurs ont-elles un but ? Et si oui, lequel ?
La Guémara, au traité Arakhin (page 16), nous enseigne que toute souffrance est décrétée par le tribunal céleste. La Guémara va dans le détail en nous révélant que lorsqu’une personne achète un habit qui n’est pas à sa taille ou qu’elle se sert un café froid, elle est soumise au décret divin. Nous l'aurons compris, le hasard n’existe pas, mais cela ne répond pas encore à notre question : dans quel but ces épreuves s’abattent-elles sur nous ?
La Torah nous révèle que toutes les souffrances d’un homme, qu’elles soient physiques ou psychologiques, sont décrétées par le Ciel, et à chaque souffrance son but particulier. Nous allons essayer de comprendre les différents aspects de chacune de ces catégories selon la tradition de nos maîtres.
Les tourments d’amour
Tout d’abord, il y a ce que le Talmud appelle « les tourments d’amour » (Traité Bérakhot, page 5). La Guémara nous apprend que si une personne, après une sérieuse introspection de ses actes, ne trouve pas en elle de fautes qui justifieraient ses souffrances, doit savoir que ce sont des tourments d’amour que D.ieu lui envoie dans le but de grandir ses mérites (Rachi). Autant dire que ce principe ne s’applique qu’aux Tsadikim (Justes).
Cependant, une petite question subsiste tout de même dans ce procédé. Comment faire souffrir une personne sans qu’elle n’ait commise la moindre faute ? Le Chla Hakadoch, dans son œuvre Assara Maamarot, ainsi que le Chomer Emounim, expliquent tous deux qu’en réalité, ces Justes expient les fautes de la génération tout entière. Et c’est précisément par cela qu’ils décuplent leurs mérites. Comme l’explique le Ben Ich ‘Haï dans le Ben Yéhoyada (Bérakhot, page 5) : « Le Juste, par son endossement des souffrances du peuple d’Israël, éloigne l’attribut de rigueur et attire la miséricorde divine qui permettra au peuple la rédemption. Et ce Juste s’élève par les mérites du peuple qui, grâce à lui, a fait Téchouva. »
Les souffrances de l’épreuve
Il y a aussi une autre catégorie de souffrances qui sont le lot des grands hommes. Ce sont les souffrances dont le but est la mise à l’épreuve. On retrouve cela chez Avraham qui traversa dix épreuves (Avot 5, 3) dont, à la survenance de la dernière, le verset affirme que « D.ieu éprouva Avraham » (Genèse 22, 1), ou encore Iyov (Job) à propos duquel il est dit « L’Eternel éprouve le Juste » (Psaumes 11, 5)
Là aussi, une question fondamentale se pose. Dans quel but D.ieu soumet-Il à l’épreuve ces Justes, étant entendu qu’Il sait pertinemment le véritable niveau de ces hommes et même leur succès à venir ? Les commentateurs médiévaux nous proposent trois explications différentes et complémentaires.
Le Ramban (Cha’ar Hagmoul, chapitre 2) explique que D.ieu sait parfaitement le niveau du Juste, mais il est nécessaire de concrétiser son potentiel en réel pour lui octroyer une rétribution. Cela nous évoque l’histoire du roi qui mandata deux tisserands dans le but de lui confectionner un bel habit. Après un certain temps, l’un d’eux tomba malade et l’autre acheva seul la tâche qui incombait aux deux. A la date prévue, le roi paya quelque peu le premier pour ses efforts et se montra très généreux avec l’autre qui confectionna pratiquement seul son habit. Car, bien que le roi connaisse les bonnes intentions du premier tisserand, son salaire est incomparable à celui qui s’évertua à achever concrètement l’habit.
Le Ménorat Hamaor (section 3, chapitre 3) explique que la raison pour laquelle Hachem met à l’épreuve un Juste c’est de faire connaître son véritable niveau à ceux qui ne le connaîtraient pas.
Et enfin, le ‘Hovot Halévavot (Cha’ar Habita’hon, chapitre 3) explique que l’épreuve chez le Juste est une leçon pour le public. Lorsque les gens simples voient le Juste rester fidèle à sa foi dans l’épreuve et qu’il continue de plus belle dans son service divin, ils apprennent que l’épreuve ne légitimise pas la remise en question des fondements de la foi.
Les souffrances du repentir
Après avoir passé en revue les souffrances des grands de ce monde, explorons à présent les raisons de nos souffrances, à nous. Il y a des souffrances dont le but est de pousser l’individu à l’introspection, au repentir. La Guémara que nous avons cité au début de cet article affirme que « si un homme voit que des souffrances s’abattent sur lui, qu’il examine ses actes. » Là aussi, une question est nécessaire : en quoi la souffrance conduit-elle l’homme au repentir ?
Notre maître, le Ran (10e Drouch), explique que lorsqu’un homme prospère, sa vision du monde est mêlée à ses ambitions et à ses rêves, il vit dans ses projections imaginaires, tandis que lorsque la souffrance s’installe dans la vie d’une personne, sa vision de la vie devient plus claire, plus essentielle. Il devient apte à saisir la vérité avec clairvoyance. On raconte qu’en Israël, pendant de la guerre des six jours, lorsque les soldats se faisaient bombarder par l’ennemi, même les habitants les plus athées du pays se mettaient à réciter les Téhilim, les psaumes du roi David. Car il est des situations où les fantasmes du mauvais penchant n’ont plus d’effets sur la personne.
D’après cela, si un homme est dans un état de lucidité total sur son niveau spirituel et corrige ses actes en conséquence, il n’y a nul besoin de le rappeler à l’ordre par des petits tracas superflus…
Les souffrances expiatoires
Rabbi Aharon Halévi, le Réa, explique dans son commentaire sur le traité Bérakhot (page 9) « qu’un homme doit être heureux de chaque souffrance car il doit savoir qu’elles expient ses fautes. » Rachi aussi, dans son commentaire sur les Psaumes (107, 11), déclare que « les souffrances ne s’abattent sur l’homme qu’en vertu de ses fautes ». Même le Michna Beroura (chapitre 222, alinéa 4) affirme : « Toutes les souffrances, qu’elles soient physiques ou financières, sont toutes expiatrices des fautes de l’homme. »
Ces maîtres semblent dire que les souffrances viennent dans le but d’expier les fautes d’une personne. Pourtant, nous avons vu plus haut qu’il y a d’autres raisons qui les justifient, comme encourager l’homme au repentir par exemple. Comment donc décréter aussi formellement qu’elles viennent pour le rachat des péchés ?
En réalité, chaque souffrance que l’on éprouve peut avoir un double rôle mais sa fonction première est avant tout l’expiation de nos fautes, exception faite des Justes parfaits dont les tourments ne sont qu’amour, comme expliqué plus haut. Les individus dont les actes oscillent entre le bien et son contraire sont toujours sujets au perfectionnement, à l’expiation et à la rédemption. Les souffrances pour eux sont un catalyseur d’élévation spirituelle. C’est le sens même du verset du prophète Jérémie dans Eikha qui, suite à la désolation d’une Jérusalem assiégée et meurtrie, dira « Examinons nos voies, scrutons-les et retournons à l'Eternel ! » (Lamentations 3, 40)
Et c’est est en soi l’une des facettes de la miséricorde d’Hachem, qui rappelle l’homme à Lui tout en expiant ses fautes.
La carte d’identité des souffrances
Les souffrances sont également porteuses d’un message pour l’homme. Elles le mettent sur la piste du changement en lui révélant les causes de leurs venues. La Guémara dans Sota (page 9) dit que « Samson s’est laissé dominer par ses yeux, par conséquent les philistins les lui crevèrent. Avchalom s’est enorgueilli de sa chevelure, par conséquent il se fit pendre par les cheveux. » Et Rabbénou Yona (Avot 3, 16) d’expliquer « On sanctionne l’homme à pleine conscience, comment ? Lorsque le châtiment s’abat sur lui, il sait en vertu de quelle faute cette punition lui est infligée et se repent ». Et le Avi Ezer (Lévitique 26, 21) de préciser « Les punitions infligées à l’homme sont semblables aux fautes qu’il a commises, pour qu’il sache que cela n’est nullement le fruit du hasard et se repentisse. »
Le Rambam (Avot 2, 6) affirme que cette conduite divine est valable « en tout temps, en toute époque et en tout lieu ». Attention toutefois à ne pas tirer de conclusion trop hâtive et superficielle des raisons de nos souffrances, car leur analyse est très subtile et souvent floutée par nos intérêts personnels et nos états d’âme. On rapporte à ce titre que le ‘Hazon Ich était assez circonspect quant à ces analyses comportementales prétextant que nous n’avons plus réellement le niveau de maturité de nous auto-analyser avec impartialité. Cependant, il est clair qu’il y a des évidences qui ne trompent pas et que chacun doit s’efforcer, autant que faire se peut, de reconnaître ses erreurs dans le but de les corriger. Puisse Hachem nous aider à nous parfaire et nous rapprocher de Lui…
Il existe d’autres souffrances, communes à tous les hommes Il s’agit de conséquences des circonstances, comme les souffrances de l’exil ou de l’air pré messianique, qui touchent le peuple dans son ensemble. Elles nécessitent une étude appropriée. Puisse Hachem nous aider à nous parfaire et nous rapprocher de Lui dans la sérénité…