D’aucuns s’étonnent : comment de grands Sages peuvent-ils exprimer une opinion politique ou porter un jugement sur un phénomène de société alors qu’ils ne sont affairés qu’à l’étude de la Torah jour et nuit ? Pour éclaircir ce sujet, un texte assez célèbre du Talmud (Chabbath 33b) nous raconte qu’un jour, plusieurs Rabbanim se réunirent et discutèrent de l’apport de la civilisation romaine en terre d’Israël. L’un des Sages vantait leurs constructions de grande beauté et de praticité, mais Rabbi Chim’on Bar Yoh’aï voyait les choses sous un autre angle. “Tout ce qu’ils ont bâti, ce n’est que dans un but intéressé : des marchés pour y proposer des femmes de mauvaise vie, des bains pour le plaisir du corps et des ponts pour prélever des impôts !” s’exclama-t-il. Les Romains eurent vent de sa critique et décidèrent de le condamner à mort. Rabbi Chim’on se sauva et trouva refuge dans une grotte en compagnie de son fils Rabbi El’azar pendant 13 ans, ne se nourrissant que de caroubes et d’eau et étudiant continuellement la Torah. Le Talmud rapporte qu’il sortira de cette expérience en Maître incontesté, dominant les autres Sages de son époque.
Dans toutes les communautés juives, nous fêtons Lag Ba’omer (le 33ème jour du ‘Omer) qui correspond à la date du décès de cette sommité rabbinique. Or nous savons qu’en général, l’anniversaire de la disparition d’un grand Sage est un jour de pénitence et de jeûne (Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm §580). La Tradition nous rapporte que c’est à la demande de Rabbi Chim’on que ce jour est fêté du fait qu’au Ciel, on lui permit de dévoiler le Sod de la Torah, c’est-à-dire ses secrets. Il existe effectivement plusieurs degrés de compréhension de nos textes saints, en partant du Pchat (le sens textuel) et jusqu’au au Sod - constituant la partie la plus profonde de notre héritage. Mais il ne s’agit pas d’explications distinctes, car en réalité, derrière sa lecture “superficielle”, chaque texte renferme une compréhension plus profonde. Et plus on approfondit, plus l’on découvre un sens nouveau à cet enseignement, car la Torah d’origine divine n’a pas de réelle limite de compréhension. Grâce au dévoilement de cette science Kabbalistique, on parvient, lorsqu’on approfondit son étude, à savoir vers où converge le texte, et l’on évite ainsi des non-sens ou des explications erronées.
Rabbi Chim’on Bar Yo’haï a mérité de dévoiler la partie ésotérique de la Torah, le Zohar, qui était resté jusque-là l’apanage d’une élite de Sages qui se la transmettaient - par allusion - de Maître à élève. Sachons que tout notre Judaïsme est basé sur cet enseignement qui sera plus tard repris par le Arizal, puis nous parviendra sous une forme plus populaire avec le Ba’al Chem Tov et la ‘Hassidout, avec le Ram’hal ou encore avec les élèves du Gaon de Vilna. Or c’est ce même Rabbi Chim’on qui décèlera dans les innovations des Romains quelque chose de malsain et d’immoral. Car sa vision ne portait pas sur l’aspect superficiel des choses, mais savait pénétrer ce qui se dissimule derrière.
Du reste, le Talmud (‘Avoda Zara 2b) rapporte qu’à la fin des temps, D.ieu jugera les Nations. Rome (l’Occident) se défendra alors en argumentant que tout ce qu’elle a créé ne le fut que dans l’intérêt d’Israël. Ce à quoi Hachem apportera la même réponse que Rabbi Chim’on : tout ne fut conçu que pour satisfaire leurs plaisirs et leurs pulsions. En d’autres termes, ce grand Sage avait su voir vrai, en dépit des apparences.
La Sagesse de la Torah, d’origine divine et d’une profondeur insondable, permet effectivement de dévoiler ce que cache la façade par une vision juste et parfaite. C’est cela l’héritage de Rabbi Chim’on, que son mérite nous protège !