Nous sommes en 1930 en Pologne, lorsqu’on apprend que le président en personne s’apprête à faire une visite dans la petite localité de Mir, habitée essentiellement par des Juifs. Les élèves de la prestigieuse Yéchiva sont informés, s’habillent en conséquence et viennent à la rencontre de l’important personnage afin de l’honorer dans les règles de l’art.
Mais quelle ne fut pas leur surprise lorsqu’ils apprirent plus tard que le président ne fut pas satisfait de l'accueil qu’on lui réserva dans la petite ville ! Et quelle était la cause de son mécontentement ? Il déclara que généralement là où il se rendait, les citoyens lui exprimaient leurs doléances, allant jusqu'à s’allonger devant les roues de son carrosse afin de le retenir jusqu'à qu’il accède à leurs demandes ! Mais voilà qu'à Mir, point de plainte, de demande d’amnistie ou d’annulation de dette ; tout se déroulait comme si on ne se sentait pas dépendant du président et du pouvoir qu’il représentait. Le dirigeant percevait leur attitude, somme toute distinguée et protocolaire, presque comme un affront à son autorité.
Le Machguia’h de la Yéchiva, le fameux Rabbi Yérou’ham, tirera de cet épisode un enseignement important dans le service divin et le rapportera dans son discours hebdomadaire : “Le fait de ne pas supplier l’Éternel de nous délivrer de nos soucis et de nous accorder ce dont nous avons besoin, indique que nous ne sommes pas véritablement soumis et dépendants de Lui, et ne Lui accordons pas l’honneur qui Lui revient”.
Si durant toute l'année, cette réflexion du Rav Yérou’ham est à mettre en pratique, à plus forte raison à Ben Hamétsarim, quand on sait combien Hachem “attend” nos prières pour la reconstruction du Temple. En effet, lorsque nos Sages ont fixé une période particulière durant laquelle nous rappelons notre passé glorieux, leur intention n'était pas de rester figés sur de la nostalgie, mais bien de se projeter vers un avenir optimiste, persuadés que le salut viendrait avec la venue du Machia’h et que le Temple serait reconstruit.
“Tout celui qui s’afflige sur la destruction de Jérusalem méritera d’assister à sa renaissance”, affirme le Talmud (Ta’anit 30b). Le Messie, selon la Tradition, naîtra le jour du 9 Av, qui d’autre part est appelé Mo’èd (jour de fête). D’ailleurs, dans la prière de Min’ha de ce jour de deuil, on mentionne l’espoir de la reconstruction de Jérusalem et de la Présence divine qui y résidera en permanence. Croire à cet événement constitue même une obligation, comme le Talmud le rapporte (Chabbath 31a).
Plus que cela, le fait même d’attendre cet événement prodigieux est en soi une raison de précipiter l’arrivée du Messie, comme l’illustre l’anecdote suivante :
Il arriva que le ‘Hafets ‘Haïm et l’Admour de Gour (surnommé le Imré Émet) voyagèrent ensemble dans un train. Prévenus de son déplacement, des ‘Hassidim attendaient leur Rebbe à chaque station pour le saluer en liesse. Ce dernier, qui n’était pas jeune, devait chaque fois se lever et se déplacer à la fenêtre du wagon afin de répondre à leurs chaleureux saluts. Il expliqua au ‘Hafets ‘Haïm qui s'inquiétait de tous ces dérangements : “Ces personnes ont fait l’effort de venir me voir, je me sens donc obligé de venir à leur rencontre, c’est le minimum !” Le ‘Hafets ‘Haïm, ému, déclara alors que si nous aussi attendions impatiemment la venue du Machia’h à la manière de ces ‘Hassidim avec leur maître, il est évident qu’il se serait empressé de venir satisfaire nos attentes.
“De Ton lieu (de résidence), ô notre Roi, dévoile-Toi et règne sur nous car nous T’attendons,
Quand régneras-Tu à Tsion, pour très bientôt, (nous espérons que) Tu y résideras,
Tu seras grandi et sanctifié au sein de Jérusalem Ta ville, pour toutes les générations à venir, à tout jamais,
Et que nos yeux puissent voir Ton avènement (…)”
(Kédoucha de Cha’harit du Chabbath, Sidour ashkénaze)