Un ami Dayan (juge) siégeant au Grand Tribunal rabbinique de Jérusalem m’a raconté dernièrement un fait qu’il m’a semblé important de partager. Dans le cadre de ses fonctions, il s’occupe avec ses collègues d’actes de divorce (Guèt) et constate un nombre non négligeable de couples qui décident de se séparer alors qu’ils se sont mariés très récemment. Évidemment, les juges essayent de leur faire changer d’avis en leur proposant leurs conseils ou en les envoyant chez des thérapeutes de couple. Très souvent, les couples arrivent à être sauvés, sauf lorsque les parents s’en mêlent. Dans ce cas, en général, il n’y a plus rien à faire.
Un jeune couple est fragile. Jusqu’au jour du mariage, chacun vit pour soi, sans devoir rendre de comptes à personne. Une fois marié, il faut apprendre à partager, à faire de la place à l'autre, afin de parvenir petit à petit à fusionner. Investissement oblige, la Torah ordonne à l’homme de ne pas quitter sa maison durant toute la première année de mariage, même pour des raisons primordiales comme la subsistance ou pour se battre à la guerre. “Il restera libre de toute charge afin de se consacrer à sa maison pendant un an et de réjouir sa femme” précise la Torah (Dévarim 24, 5). Il n’est donc pas étonnant que certains couples “triment” dans leur début de vie commune, sans que cela ne remette nullement en question le choix du conjoint.
Aujourd’hui, les problèmes de Chalom Bayit ont énormément augmenté. Les raisons sont nombreuses : on ne se marie pas très jeune, pas forcément avec la fille de son village ; on ne sait plus ce que surmonter des difficultés, être patient, conciliant et généreux signifient. Lorsque cela ne marche pas comme on le voudrait, on pense que la seule solution est la rupture, sans prendre conscience que la plupart des problèmes vont resurgir à l’avenir avec n’importe quel autre conjoint. Toutes ces données nous permettent de bien mesurer la fragilité d’un jeune couple moderne. Si de surcroît, les parents prennent parti, attisent la haine et la colère et laissent entendre à leur enfant que cela ne vaut pas la peine de continuer à vivre avec un tel conjoint, le Guèt est inévitable. “Terrain en construction, entrée interdite !” devrait être le panneau de mise en garde posté à la porte de tout jeune ménage qui démarre.
Les raisons pour lesquelles les parents agissent ainsi sont nombreuses. Pour certains, leur progéniture demeure “leur propriété” et ils se réservent le droit de décider de leur avenir, sans peser les conséquences de leurs dangereuses interventions. D’autres pensent sincèrement agir pour leur bien. Ils observent chez le conjoint de leur enfant des comportements insupportables ou abusifs : dépenses injustifiées, désordre, retards, repas pas prêts, linge pas lavé, horaires du lever et du coucher décalés, exploitation de son enfant, comportement égoïste, etc. “Comment peut-on se taire devant de tels agissements ?!” se disent-ils.
Mais il faut savoir que chaque couple a ses codes. Ce qui est inconcevable pour certains peut être la norme pour d’autres. En réalité chaque individu, qui choisit de se marier avec un autre, le fait car il ressent en lui son complément, celui qui va lui permettre de se réaliser et de construire ensemble. Cette intuition se trouve au fond de nous et ne nous trompe pas. Il est vrai que la personne choisie a ses défauts, mais dans le fond, cela ne dérange pas vraiment le conjoint, jusqu’au jour où l'on vient lui susurrer à l’oreille : “Ton mari (ta femme) vraiment exagère…” C’est pourquoi toute ingérence dans un couple est une infraction qui ne fait que provoquer des remous inutiles.
Il est vrai que dans certaines situations, il y a des débordements qui allument une lumière rouge et qui réclament une intervention. Mais quand on sait que ce sont souvent les parents qui sont la cause du divorce de leurs enfants, on se doit de réfléchir dix fois avant de réagir et ce, avec 1000 précautions.