Le premier des dix commandements que nous avons reçus au pied du mont Sinaï est le suivant : « Je suis l’Éternel Ton D.ieu Qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte. »
En cet unique verset sont mentionnées les deux idées fondamentales qui sont à la base de tout le judaïsme ; à savoir l’existence de D;ieu en tant que Créateur de l’univers (Je suis l’Éternel) et son intervention décisive dans l’histoire humaine pour amener le peuple juif d’abord (Qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte), puis l’humanité entière à un but très précis qui est celui de la reconnaissance universelle du Créateur.
Qu’est-ce que la Émouna ?
Comment pourrait-on définir la Émouna ? Au sens premier, la Émouna est la capacité que possède l’être humain à reconnaître l’existence du Créateur. Comment peut-on arriver à cette reconnaissance ? La discussion entre Rabbi 'Akiva et l’hérétique, telle que rapportée par le Midrach, nous éclaire à ce sujet. L’hérétique avait demandé à Rabbi 'Akiva de lui prouver l’existence de D.ieu Ce à quoi Rabbi 'Akiva avait répondu : « Qui a fait ton habit ? » Et l’hérétique de répondre : « le tailleur ». Rabbi 'Akiva lui demanda alors de prouver ses dires. L’hérétique déclara alors : « L’existence même de l’habit prouve qu’il a été fait par un tailleur. » Rabbi 'Akiva lui rétorqua alors : « De la même manière que l’habit témoigne pour le tailleur, ainsi le monde témoigne de l’existence du Créateur. »
L’argumentation de Rabbi 'Akiva est d’une logique imparable et seul un esprit faible ou malhonnête serait à même de la réfuter. Personne ne peut nier l’évidence selon laquelle tout habit est fait par un tailleur. Il ne viendrait à l’esprit de personne d’affirmer que l’habit s’est créé tout seul. Et pourtant il existe des esprits fantaisistes pour affirmer que le monde s’est créé tout seul.
À ce propos nous allons rapporter une anecdote avec Rabbi Yéhouda Halévi, grand Sage de l’époque espagnole, auteur du célèbre livre « le Kouzari ». Rabbi Yéhouda Halévy avait un voisin qui possédait une fenêtre mitoyenne avec lui, c'est-à-dire une fenêtre qui donnait à la fois sur leurs deux appartements. Ce voisin était un poète réputé mais connu également pour son athéisme et qui affirmait avec beaucoup d’outrecuidance que le monde s’était créé tout seul.
Un beau jour, Rabbi Yéhouda Halévi remarqua que son incroyant de voisin était en train d’écrire un poème. Puis le poète s’interrompit quelques instants et s’absenta. Rabbi Yéhouda Halévi ouvrit la fenêtre et lut le poème qu’il trouva d’ailleurs très réussi. Désireux de donner une bonne leçon à cet esprit insolent, il ajouta quelques lignes au poème qui n’était pas encore achevé.
Le voisin revint et fut extrêmement surpris de voir son poème achevé en son absence. Ce faisant, il alla toquer à la porte de son illustre voisin et lui montra le poème achevé en lui faisant part de son étonnement. Rabbi Yéhouda Halévi lui rétorqua avec beaucoup de finesse : « Mais enfin mon cher voisin, très certainement la bouteille d’encre a dû se renverser et le poème s’est écrit tout seul…
- Voyons Rabbi, vous savez bien que c’est impossible… Un aussi beau poème ne peut pas s’écrire tout seul !
- Comment mon cher ami ! Vous n’admettez pas l’idée qu’un poème s’écrive tout seul ; par contre, affirmer que l’univers entier s’est créé seul ne vous dérange pas… »
Le débat fut clos à l’avantage de Rabbi Yéhouda Halévi. Son voisin n’eut d’autre choix que de reconnaître l’inanité de ses propos et la véracité des dires de Rabbi Yéhouda Halévi.
La raison de l’athéisme
Rav El’hanan Wasserman, dans Kovets Maamarim, explique la raison de l’athéisme. Il affirme d’abord qu’étant donné que la Émouna est une Mitsva de la Torah, tout jeune garçon de treize ans ainsi que toute jeune fille de douze ans y sont astreints. Par conséquent, cela implique qu’il n’est nul besoin d’être un grand philosophe ou un esprit très éclairé pour y parvenir.
Comment expliquer alors que des esprits pourtant brillants tels qu’Aristote, à qui il ne manquait que la prophétie, selon les dires de Maïmonide, n’y soient pas arrivés ? La raison en est un phénomène qui se dénomme le Cho’had (la corruption). Quelle est la mesure du Cho’had d’après la Torah ? Il s’agit d’une Prouta, plus petite unité monétaire en cours. Cela implique que si un plaignant donne à un juge une Prouta et que le juge prenne cette piécette pour son compte personnel, le juge n’est plus apte à juger « Car la corruption aveugle les yeux des Sages et détourne les paroles des Justes » (Dévarim 16,19). Cela implique que si un plaignant a donné une Prouta, même à un juge de l’envergure de Moché Rabbénou, cela rend le juge inapte à juger.
Or, s’il en est ainsi pour des personnages aussi grands que Moché Rabbénou et les Sages d’Israël qui étaient des hommes d’une envergure et d’une sainteté exceptionnelles, à plus forte raison en est-il ainsi pour des philosophes non-juifs, plongés dans les plaisirs de ce monde… En effet, il n’existe pas de plus grande corruption que les plaisirs de ce monde qui empêchent même l’esprit le plus brillant d’arriver à la conclusion pourtant évidente que le monde a un Créateur.
Contrairement aux idées reçues, parvenir à la Émouna ne demande pas de faire montre d’une intelligence exceptionnelle, mais bien plutôt d’une droiture d’esprit. Celui qui n’y arrive pas doit savoir qu’il est comme un ivrogne sous l’emprise de l’alcool. Il lui faudra d’abord dessoûler puis subir une cure de désintoxication ; s’éloigner des plaisirs de ce monde, manger strictement Cachère, mener une vie juive au sens authentique du terme… Arriver à la Émouna constitue un acquis spirituel indiscutable ; cependant la Émouna authentique s’accompagne du Bita’hon qui en constitue l’application pratique. Qu’est-ce que le Bita’hon ?
Le Bita’hon : définition
Rabbénou Yona dans son commentaire sur Michlé définit cette notion : « la Mitsva du Bita’hon, c’est qu’il sache en son cœur que tout est entre les mains de D.ieu. Cela signifie que D.ieu peut changer la donne et par conséquent la destinée de la personne. Rien ne peut empêcher Hachem de secourir un individu, pour les petites comme pour les grandes choses. Et même si une personne pressent un danger, elle doit savoir que le secours est proche car D.ieu peut tout et rien ne Lui est impossible. Dans toute situation difficile, il faudra avoir confiance en D.ieu et savoir que la délivrance divine peut intervenir en un clin d’œil. Ainsi que le verset le dit : « Ayez confiance en Lui en tout temps » (Téhilim 62,9), même si l’homme se trouve dans une situation dans laquelle il ne voit pas d’issue. Il est dit également : « Ayez confiance en D.ieu à tout jamais, car D.ieu est l’auteur des mondes » (Yécha’yahou 26,4). En effet, Hachem a créé ce monde-ci ainsi que le monde futur. Par conséquent, tout est entre Ses mains et nous devons placer notre confiance en Lui. »
Ces paroles de Rabbénou Yona nous permettent de comprendre que si la Émouna est la croyance en l’existence de Hachem, le Bita’hon en est l’application concrète, c'est-à-dire le fait de croire en Sa providence. Se pose alors une question : dans quelle mesure l’homme doit-il s’efforcer d’agir et dans quelle mesure doit-il au contraire s’abstenir d’agir et mettre sa confiance en Hachem ?
Bita’hon et Hichtadlout
Le monde dans lequel nous vivons est décrit dans le langage de nos Sages comme le monde de l’action. Dans le livre Béréchit, chapitre 2, verset 3, il est dit : « D.ieu bénit le septième jour et le sanctifia car Il S’était reposé en ce jour de toute l’œuvre qu’Il avait réalisée pour la parfaire ». Le rav Ya’acov Galinski, dans son ouvrage « Véhigadta » sur le livre de Béréchit, explique que les termes « pour la parfaire » (La’assot en hébreu) ne désignent pas ici l’œuvre divine à proprement parler, mais bien l’œuvre de l’homme. Autrement dit, après avoir créé le monde, Hachem attend de l’homme qu’il agisse concrètement, ce qu’on désignera en hébreu par Hichtadlout.
L’équilibre à atteindre entre Bita’hon et Hichtadlout est assez délicat et va dépendre du niveau spirituel de la personne. Plus le niveau spirituel de la personne sera élevé, moins la Hichtadlout attendue d’elle sera importante. Prenons un exemple concret, celui de Yossef Hatsadik (le Juste). Yossef Hatsadik était le fils chéri de Ya’acov Avinou (le patriarche Ya’acov) et à l’âge de dix-sept ans, il fut vendu par ses frères à une caravane d’Ismaélites qui l’amenèrent en Égypte et le vendirent comme esclave à Poutiphar, un haut dignitaire égyptien.
Yossef réussit brillamment chez son nouveau maître. En effet, la bénédiction de D;ieu l’accompagnait. Son maître remarqua ses talents et ne put que constater sa réussite. À la suite de quoi, il décida de faire de lui son intendant. La femme de Poutiphar remarqua ce jeune Hébreu à qui tout souriait. Et rejetant toute morale, elle décida de séduire ce charismatique jeune homme. Bien entendu, Yossef rejeta ses avances jusqu’au jour où elle lui tendit un piège. C’était un jour de fête pour les païens, la maison était vide de ses employés. Yossef décida de venir travailler, nullement concerné par cette fête idolâtre.
La femme de Poutiphar, profitant de la situation, attrapa Yossef par ses habits pour l’inciter à fauter avec elle. Yossef décida alors de s’enfuir, en abandonnant sa tunique dans les mains de cette pécheresse. Ce que voyant, cette dernière poussa les hauts cris et affirma à qui voulait l’entendre que Yossef avait tenté de la violenter. À la suite de ce malencontreux épisode, Yossef fut jeté en prison. Dix années s’écoulèrent pour lui dans les geôles égyptiennes, au cours desquelles Yossef fit la connaissance de hauts dignitaires égyptiens, notamment le maître panetier et le maître échanson qui, avant leur disgrâce, exerçaient leur spécialité à la cour de Pharaon.
Au cours de ces dix années, Yossef fit preuve d’une Émouna et d’un Bita’hon extraordinaires. D’ailleurs, dès le début de cette longue épreuve, Yossef avait toujours fait preuve d’une confiance en D.ieu remarquable. Lorsqu’il fut vendu à Poutiphar et tout au long de son séjour chez ce notable égyptien, le Nom de D.ieu ne quittait pas ses lèvres. Yossef savait que tout ce que faisait Hachem était pour le bien. En prison aussi, il ne s’était jamais départi de sa foi. Le Midrach Béréchit Rabbah au chapitre 6, nous dit au nom de Rabbi Bérékhia que Yossef était surnommé : « Un homme dansant ». Cela signifie que du fait de sa foi en D.ieu qui était intense, non seulement Yossef n’avait pas sombré dans la tristesse, mais davantage encore, il rayonnait de joie au point de danser… C’est l’exemple typique d’une Émouna et d’un Bita’hon de très haut niveau.
Au cours de son séjour en prison, Yossef interpréta les rêves du maître panetier et du maître échanson de manière parfaitement exacte et ses prédictions se réalisèrent entièrement ; le maître panetier fut pendu et le maître échanson rétabli dans ses fonctions. Avant qu’intervienne la libération du maître échanson, Yossef le pria d’intervenir pour lui auprès de Pharaon et de plaider sa cause afin de mettre fin à son séjour en prison pour une faute qu’il n’avait pas commise.
Quel fut le résultat de cette Hichtadlout ? Le maître échanson ne réalisa aucune démarche auprès de Pharaon. Yossef au moment de la libération du maître échanson avait déjà séjourné dix ans en prison. Sa libération n’intervint finalement que deux ans plus tard, à la suite du rêve de Pharaon sur les vaches maigres. Nos Sages nous enseignent qu’à la suite de la Hichtadlout de Yossef vis-à-vis du maître échanson, deux années de séjour supplémentaires en prison lui furent rajoutées par décret céleste.
En d’autres termes, Yossef Hatsadik n’aurait pas du demander au maître échanson d’intervenir en sa faveur auprès de Pharaon. Si Yossef Hatsadik s’était abstenu de réaliser cette démarche, il serait sorti de prison au bout de dix ans. Preuve en est que nos sources rapportent que Pharaon, à partir de la libération du maître échanson, faisait le même rêve tous les soirs et l’oubliait, rêve que Yossef interprètera deux ans plus tard brillamment, après sa libération. Dès que Yossef Hatsadik prit conscience de son erreur et se rendit compte que par rapport à son niveau spirituel élevé et notamment son niveau d’Émouna et de Bita’hon, il n’aurait pas du demander au maître échanson d’intervenir pour lui, Pharaon se rappela de son rêve et fit appel à Yossef.
Conclusion
Si la Émouna est une Mitsva accessible à chacun, comme l’a brillamment démontré Rav El’hanan Wasserman, au point qu’on puisse exiger d’un jeune homme de treize ans (Bar-Mitsva) et d’une jeune fille de douze ans un niveau réel d’Émouna, il en va tout autrement du Bita’hon qui est, comme on l’a vu, l’application concrète de la Émouna. Savoir comment agir en ce monde, quelle place laisser à l’initiative personnelle, la Hichtadlout, et quelle place laisser au Bita’hon demande une grande réflexion et beaucoup d’étude de la Torah.
Ainsi lors de la traversée de la mer des Joncs (Yam Souf), après la sortie d’Égypte, il a fallu pour obtenir concrètement l’ouverture de la mer, que les Juifs se jettent à l’eau et avancent dans la mer jusqu’à ce que l’eau leur arrive au cou ; ce n’est qu’ensuite qu’Hachem fendit la mer à leur intention…
Quoi qu’il en soit, la Émouna et le Bita’hon sont les outils indispensables du Juif pour se mouvoir en ce monde et réaliser la volonté de Son Créateur. À chacun d’en étudier les nuances nombreuses et variées et d’en trouver les applications concrètes dans tous les domaines de la vie.