La semaine dernière, nous avons défini le mensonge comme le fait d’induire les autres en erreur, et nous avons vu qu’il était interdit d’induire autrui en erreur, même si nos propos sont techniquement exacts. De plus, il n’y a rien de mal à énoncer des propos techniquement inexacts si le message véhiculé n’est pas trompeur[1].
Dans la catégorie d’induire en erreur, il existe deux niveaux de mensonge : l’un est interdit par la Torah et le second n’est interdit que par les Sages. Quelle est la différence ?
On ne transgresse l’interdit de la Torah du mensonge que si l’un des critères suivants est rempli.
1. L’orateur induit son interlocuteur en erreur sur des informations qu’il mérite ou doit connaître.
2. La personne à qui l’on ment sera affectée négativement par le mensonge.
Des exemples :
1. Jonathan souhaite acheter un objet appartenant à Ruben et ce dernier ment délibérément sur la qualité de l’objet afin que Jonathan le lui achète. En mentant, Ruben transgresse le commandement de la Torah de malhonnêteté, car son mensonge cause du tort à Jonathan.
2. Ruben doit de l’argent à Jonathan et le moment est venu de le rembourser. Ruben ne peut mentir en prétendant qu’il n’a pas la possibilité de payer Jonathan si, en réalité, il en a les moyens, car Jonathan est en droit de savoir que Ruben possède en réalité cet argent[2].
Mais si le mensonge n’affecte pas directement la vie d’autrui, et qu’il n’a aucun droit sur cette information, dans ce cas, l’interdit de mensonge de la Torah ne s’applique pas. Mais il demeure néanmoins interdit par les rabbins de mentir de cette manière sans raison valable. Or, à ce niveau de mensonge, il existe un certain nombre de circonstances atténuantes où les rabbins ont permis en réalité de mentir. Parmi les raisons valables de mentir lorsque notre interlocuteur n’a aucun droit sur cette information, on compte : le droit à la vie privée, l’humilité et le maintien de la paix.
En voici des exemples :
1. David rencontre une jeune fille en vue du mariage et ne veut pas que son ami Michaël en soit informé. Lorsque Michaël demande à David où il va, David aura le droit de mentir[3], sachant qu’il n’a aucun droit sur cette information qui ne le concerne absolument pas.
2. Sarah réussit très bien à l’université. Elle a le droit de diminuer ou même de mentir sur ses notes si elle ne veut pas que les gens la félicitent.
3. Il y a de nombreuses années, Dan a causé du tort sur le plan financier à Stéphane. Ces événements font partie du passé lointain et Stéphane ne retirerait aucun bénéfice de savoir ce que Dan lui a fait il y a fort longtemps, et cette information provoquerait uniquement une hostilité considérable. Dans un tel cas, Steve aura éventuellement le droit de mentir à Stéphane sur les agissements de Dan.
Il faut bien sûr relever que chaque cas doit être analysé séparément, car les détails spécifiques à une situation donnée peuvent affecter la règle. Si un tel cas où il semble permissible de mentir devait se présenter, il sera recommandé de consulter un Rav orthodoxe avant toute démarche.
Seconde catégorie de mensonge : lorsque le mensonge ne touche pas directement l’autre personne et ne lui cause aucun tort. Exemple : mentir sur un détail de notre vie personnelle qui ne concerne personne d’autre. Cette forme de mensonge n’est pas interdite par la Torah, mais les Rabbins l’ont néanmoins interdit. Il existe certaines circonstances dans lesquelles il est permis de mentir de cette manière. Par exemple, dans le but de conserver la paix, la vie privée ou pour éviter de atteinte aux sentiments d’autrui.
Quant à la forme de mensonge interdite par la Torah, il y a une circonstance spécifique dans laquelle on pourra être autorisé à mentir : lorsque notre interlocuteur tente de se jouer de nous ou de nous mentir, alors on sera autorisé à le tromper. Cette attitude permissive est déduite du récit de la Torah où Ya’acov trompe son père Its’hak. Its’hak a deux fils, Essav et Ya’acov, Essav était l’aîné et le préféré d’Its’hak. Its’hak pensait qu’il était vertueux et voulait accorder la bénédiction principale à Essav et non à Ya’acov. L’épouse d’Its’hak, Rivka, savait qu’Essav était en réalité un homme vil et avait trompé son père en lui faisant croire qu’il était vertueux. Elle savait que les conséquences seraient terribles si Essav recevait la Brakha. En conséquence, elle persuada son autre fils, Ya’acov de prétendre qu’il était Essav et de tromper ainsi Its’hak qui lui donnerait ainsi la bénédiction.
Les commentateurs se demandent comment il était permis à Ya’acov d’induire en erreur Its’hak de manière aussi flagrante. Ils expliquent qu’Essav lui-même avait passé toute sa vie à tromper Its’hak, et qu’il était permis d’avoir recours au mensonge afin de miner la supercherie qu’il avait perpétrée. Mentir pour vaincre un menteur n’est pas considéré comme une transgression du précepte de la Torah qui nous défend le mensonge.
Il est très important de relever que cette attitude permissive ne s’applique qu’à des cas très spécifiques et qu’il est très facile de décider que notre concurrent est un trompeur et qu’il est en conséquent permis d’avoir recours à des tactiques fallacieuses pour le vaincre. C’est généralement une forme de raisonnement invalide - il n’est permis d’avoir recours à de telles tactiques que lorsqu’il est très clair que notre interlocuteur agit trompeusement de manière flagrante, et même alors, il est fortement recommandé de consulter un Rav orthodoxe avant de trancher soi-même de telles questions.
[1] L’exemple que nous avons cité était l’annonce de l’horaire d’un mariage une heure avant l’heure où il commence réellement - ce n’est pas interdit si dans ce cercle, les mariages commencent généralement une heure en retard.
[2] Il y a un type de circonstance atténuante lorsqu’un homme peut être autorisé à mentir de cette manière : nous aborderons ce cas dans les semaines à venir.
[3] Il faut relever que même lorsqu’il est permis de mentir, il est néanmoins toujours préférable d’éviter techniquement de mentir lorsque c’est possible ; nous évoquerons davantage ce sujet dans les semaines à venir.