C’est l’histoire de Jonathan, 35 ans, cadre sup’ dans une grosse boîte à la Défense, Magali 25 ans, secrétaire en cabinet dentaire et Mickaël, 22 ans, étudiant en droit à la Sorbonne. Leur point commun ?
Tous les trois sont de confession juive et s’affichent comme étant « traditionalistes » sur leur page Facebook. Ils jeûnent à Kippour, mangent des Matsot à Pessa’h, mais pour eux, la religion est une affaire de « religieux ». Très attachés à Israël pourtant, et à leur identité juive, nos trois amis ne connaissent de leur religion que le flot narratif des émissions de télé laïques qui associent le judaïsme aux comportements parfois controversés de certaines minorités des communautés ultra-orthodoxes.
Pourtant, dans leur cœur, ils se sentent très attachés à D.ieu ; ils ressentent Sa présence, se tournent vers Lui dans leurs moments d’isolement et cherchent à faire de leur mieux « pour Lui faire plaisir »… Lorsque Jonathan est en chemin pour aller au travail et qu’il croise un mendiant sur son passage, il sort systématiquement une pièce qu’il lui tend en se disant que « c’est sûrement la volonté de D.ieu ». Magali, elle, lorsqu’elle est assise derrière son bureau, occupée à prendre les rendez-vous pour des patients, sent souvent les regards de certains hommes mariés se poser sur elle, et se dit alors que « D.ieu n’aimerait pas qu’une femme attise les passions d’un père de famille ». À la fac, tous les amis de Mickaël mangent au Crous – la cantine des étudiants où des plats bien garnis sont vendus à très bas prix –, mais lui, évite les rendez-vous entre amis en se disant « Je mange Cachère pour faire plaisir à D.ieu ».
En dépit de la proximité ressentie, ils se sentent loin de la pratique du judaïsme. Secrètement, ils aimeraient en faire plus, comme « ces religieux » qui se vouent corps et âme à D.ieu, mais ils n’y arrivent pas. En réalité, ils n’arrivent pas à le vouloir vraiment…
La société les a conditionnés à suivre un chemin qu’elle a défini comme étant la norme, où le travail est la valeur suprême. Vient ensuite l’équilibre et les distractions mondaines. Alors, s’enfermer dans une Yéchiva à Bné Brak ou étudier en séminaire et se déconnecter du monde, c’est totalement hors de leur portée. Nos trois amis se sentent pourtant parfois « mal aimés » par D.ieu parce qu’ils ne correspondent pas au modèle religieux qu’ils s’imaginent que D.ieu aurait choisi pour Son peuple. Veste trois-quarts pour ces messieurs, longue jupe évasée pour ces dames… alors ils gardent, le vague à l’âme, l’idée que la Torah et les Mitsvot sont le lot d’un certain groupe de gens, mais pas le leur… Puis, ils se font une raison et enfouissent leurs élans pour D.ieu bien profondément dans leurs cœurs. Les barrières sociales ont eu raison d’eux : ils n’arriveront pas à être « religieux ».
Mais D.ieu nous demande-t-Il de nous habiller en noir et blanc, de porter un chapeau et d’épais collants noirs pour le servir ? La pratique de la Torah dépend-elle de notre apparence extérieure ?
Demandons-Lui…
Qu’est-ce qu’Hachem nous demande ?
« Et maintenant, Israël, qu’est-ce qu’Hachem, ton D.ieu, demande de toi, si ce n’est craindre Hachem, ton D.ieu, pour marcher dans toutes Ses voies, et L’aimer, et servir Hachem, ton D.ieu, de tout ton cœur et de toute ton âme » (Deutéronome 10, 12).
Pourquoi le verset ne dit pas que D.ieu demande aux Juifs de s’organiser socialement en portant les mêmes vêtements, en vivant dans les mêmes quartiers ? Pourquoi n’est-il pas question ici de porter un costume et un chapeau noir pour les hommes ou des collants en laine opaque pour les femmes ?
Vous savez pourquoi ? Parce que ce n’est pas cela qu’Hachem nous demande...
Cela ne veut pas dire que cela soit vu d’un mauvais œil, mais ce n’est pas du tout là, dans l’apparence, que se situe le lien avec Hachem. Ceux qui choisissent de s’habiller de cette façon pour créer un effet d’homogénéité qui faciliterait leur cohésion à un même club, dont le but est de servir Hachem à l’unisson, sont louables, mais cela n’est qu’une aide extérieure, un système de reconnaissance sociale. Ce n’est ni une condition à la pratique de la Torah, ni la marque d’une primauté quelconque. Juste une aide extérieure.
Alors, la religion, c’est quoi au juste ?
La religion est l’application de la volonté de D.ieu qu’Il a transmise dans un livre, qu’Il a Lui-même rédigé par le biais de Moïse, Son prophète. Cette volonté est précédée par un sentiment de respect profond pour l'Être suprême qui a pour but de nous amener naturellement à sa réalisation. Comme le verset suivant le dit justement : « afin de garder les Mitsvot d’Hachem, et Ses statuts, que Moi-même t’ordonne aujourd’hui, pour qu’il te soit fait du bien » (Ibid. 10, 13)
La Torah n’est donc pas une question de mode vestimentaire, chacun peut être habillé selon ses goûts et atteindre des niveaux considérables. Il n’est mentionné nulle part que les jeans empêcheraient l’érudition en Torah, ni que les petites bottines empêchent la piété des jeunes filles d’Israël… La Torah, c’est l’application de la volonté de D.ieu suivant la sensibilité de chacun.
Il est bien vrai que les Mitsvot nous demandent de l’effort, de l’obéissance, de la retenue, parfois même de l’argent, mais n’est-il pas dit qu’elles sont là « pour qu’il te soit fait du bien » ? De plus, ne sommes-nous pas tous ravis à l’idée de réaliser la volonté de Celui qui nous aime infiniment ? Au fond, tout le monde veut « faire plaisir à D.ieu », comme le dit le Rambam dans l’une de ses lettres (Iguéret Téman) ; c’est dans le patrimoine génétique de ceux dont les parents se sont tenus au pied du mont Sinaï. Mais l’ampleur de la tâche, le changement et la contrainte sont parfois trop difficiles à assumer et l'on a tendance à se décourager, à capituler… Après tout, on se dit que D.ieu attend de nous que nous réalisions toutes Ses Mitsvot et on n’y arrive pas, alors autant ne rien faire !
Le fameux "tout ou rien"…
Voyons si c’est vraiment comme cela qu’Hachem conçoit les choses ?
Le verset dit « trop précipiter ses pas, c'est manquer le but. » (Proverbes 19, 2) Le Gaon de Vilna explique sur place : « L’homme doit aller de palier en palier comme sur une échelle et ne pas sauter vers un palier qui lui serait inapproprié. Celui qui sauterait plus haut que son niveau est un fauteur, car il tomberait. » Alors, il est vrai que D.ieu aimerait que nous soyons au niveau d’accomplir totalement Sa volonté, il n’y a pas de doute la dessus, mais Hachem tient compte de notre niveau, de notre nature, de chacune de nos avancées, de chacun de nos efforts envers Lui.
Le Rav Yé’hezkel Sarna rapportait au nom de son maître le Rav Israël Salanter (dans Daliot Yé'hezkel, 3ème partie, page 143-166) que D.ieu attend de nous que nous « empruntions une bonne voie » sans nécessiter de changements drastiques pour être agréée - une volonté sincère liée à des efforts adaptés à chacun suffisent à réaliser la volonté de D.ieu, chacun selon son niveau.
Ainsi, que ce soit le Chabbath où Jonathan décide de faire un « peu plus » pour Hachem et de ne pas allumer la télé, ou Magali qui choisirait le haut le plus sobre pour se tenir derrière son bureau lorsque des hommes seraient susceptibles de s’installer en face d’elle, ou encore Mickaël qui souhaiterait porter un Talith Katan en dessous de sa chemise « pour Hachem »… Ces efforts sont tous agréés aux yeux d’Hachem de la même manière que celui dont le niveau personnel requiert d’étudier la sainte Torah dans la plus grande piété… Car le but est de réaliser la Volonté de D.ieu, chacun selon son niveau et suivant le contexte mis à sa disposition.
Dans les dernières lignes du Messilat Yécharim, Rabbi Moché ‘Haïm Luzzato écrit : « Il n’est pas question que la piété se transforme selon les cas, elle est égale pour tous, puisque son but consiste à satisfaire son Créateur. Cependant, puisque les positions sont différentes, il est impossible que les moyens qui permettent à parvenir à ce but ne changent pas en conséquence. Il est donc évident que celui qui ne cesse d’étudier la Torah parviendra à la piété absolue au même titre que l’employé qui exerce un travail simple ».