Ambiance feutrée, lustre étincelant, croupiers gominés, whisky on the rocks sur la table verte, cliquetis de jetons plastiques, et (lorsque c’était encore permis…) cigare entre le pouce et l’index pour volutes grises planant au ralenti dans le hall enfumé de la salle de jeu : à l’époque, on venait en smoking et robe de soirée perdre des fortunes à Macao, Las Vegas ou Monte-Carlo. 

Aujourd'hui, chez soi en pantoufles, devant le net, c’est tout aussi faisable. L’élégance en moins…

“Rien ne va plus!”“Rien ne va plus!”

Même l’immense Balzac dans son célèbre roman, “La Peau de Chagrin”, met en scène un jeune héros venant jouer son dernier franc dans un tripot façon 19ème siècle, avant que le Satan ne le récupère au bout du toboggan, après la grande dégringolade. 

L’attrait du jeu est en effet diabolique et renferme l'une des pulsions les plus fortes qui habitent l’homme. Quelque chose de bien au-delà du gain facile, tous les joueurs vous le diront. À partir d’un certain stade, gagner ou perdre n’a plus d’importance car l'excitation trouve sa source dans le virtuel. C’est peut-être pour cela qu'elle est tellement dangereuse, en effet aucune substance ne rentre dans le corps, si ce n’est notre propre adrénaline qui s’affole. Le jeu ressemble alors plus à l’ivresse du coureur de Formule 1, qu’à la dépendance aux drogues. Ceux qui ont connu les deux (so sad !!), témoignent que l’addiction au jeu est la pire, car inégalée dans sa puissance et dans l’esclavage auquel elle mène. Famille ruinée, divorce, dettes, Balzac avait vu juste : le diable attend le joueur au bas du tapis vert, pour un contrat démoniaque… Et allez faire une cure de désintox avec un fantôme abstrait, mais tellement aliénant, qui se trouve dans la tête…

“Rien ne va plus!”

D’honorables mères de familles, des maris respectables, des citoyens rangés qui ont été happés par cette fièvre, disent tous la même chose : c’est plus fort que vous, ça vous envahit, ça devient le centre de votre vie, obsessionnel, incontrôlable. 

« Et si vous avez le malheur de gagner, votre bras est alors entraîné dans cette machine à broyer les êtres. »

La banque ou le site auxquels vous êtes connectés feront d’ailleurs tout pour vous faciliter le gain… au début seulement !

“The Kid” inégalé au poker

Le plus grand joueur de poker de tous les temps, Stu Ungar, Juif new-yorkais, qui remporta les plus prestigieux tournois de Poker et de Gin Rami du monde contre des « maîtres » qui étaient 3 fois plus vieux que lui, fut surnommé « The Kid », à cause de son jeune âge, mais aussi pour son aspect de “gringalet”, si singulier dans ces milieux. On lui refusa plus d’une fois l'accès aux salles où il devait se confronter aux vieux gamblers endurcis, ignorant qui il était, c'est-à-dire le grand favori du tournoi auquel il devait participer. 

“Rien ne va plus!”

Ungar utilisait ses talents cognitifs extraordinaires, dont une mémoire inouïe, pour calculer, selon les cartes tirées, quelles étaient les probabilités que celles restantes sortent, et jouait en fonction. Il misait très haut dès le début, déstabilisant ses adversaires. Psychologue né, il savait détecter le moindre tic, battement de cil, pincement de lèvre, qui lui permettait de lire le jeu de l’autre, et enfin, il avait le don de faire croire à l'assemblée qu’il avait une main impayable.

Soit dit en passant, on trouve dans les 15 meilleurs joueurs de poker du monde, 9 noms juifs, dont un, et pas des moindres, célèbre vedette de la chanson française. 

Vertigo

Certains dérivatifs permettent de fuir la réalité. Ce sont les paradis artificiels dont parlait Baudelaire. 

Le jeu, pas du tout. Il pianote sur une autre corde de l'âme. On ne s’échappe pas de la vie devant un tapis vert ou devant 5 cartes de poker, mais au contraire, on y entre, speedé à 10.000 km/h. C’est vécu comme un “surclassement” de l’existence. On nous avait donné une Suzuki Baleno en location, et soudain, on nous propose de l’échanger avec la dernière Audi. 

La table de jeu avec ses risques, ses défis, sa complexité, ses rencontres avec la chance et la malchance donne alors le grand frisson qui semble manquer à l’existence et que les futurs accros remplissent par des rendez-vous de plus en plus fréquents au casino. Une femme seule avoue : “Désœuvrée après mon divorce, je ne pouvais pas aller seule au café. Mais dans une salle de jeu, personne ne faisait attention à moi. J’y étais bien”. La solitude, l'oisiveté, une vie vide de couleurs et de sens, peuvent être le terrain idéal d’une accoutumance au jeu. 

Les tentures écarlates s’ouvrent comme dans les grandes tragédies classiques, et dans une unité de temps - l’instant du jeu -, de lieu - le casino - et d’action - les mises parfois rocambolesques -, le spectacle peut commencer.

“Rien ne va plus!”

Le plus vieil Ennemi du monde

Mais l’ennui n’explique pas tout pour comprendre cet engouement qui devient maladif, et qui dévore celui qui se trouve sur son passage.  

Jouer, miser, c’est défier le Hasard en personne, et être dans l’illusion de le contrôler et finalement de le battre. Le jeu devient une expérimentation spirituelle, une joute cosmique contre cette écrasante détermination dont chaque homme veut se défaire, et sous la tutelle de laquelle nous sommes tous : à savoir le tracé de notre destin. 

Notre vieil ennemi, le Serpent, nous l’avait prédit : « …le jour où vous en mangerez, vos yeux se dessilleront et vous serez comme D.ieu qui connaît le Bien et le Mal. » (Béréchit 3;5)

C’est ça, la véritable fascination du jeu : devenir D.ieu, le temps d’une mise et sublimer le sort.

“Rien ne va plus!”

Pas étonnant que le Juif se trouve si bien placé dans le palmarès des “flambeurs” : lui, réceptacle de la Volonté divine, témoin de l'Éternel sur terre, qui porte dans son ADN la mission de faire connaître le Maître de la Création à l'humanité, possède parallèlement, le plus grand penchant à vouloir maîtriser et dominer la Providence…

Joueurs de blues

Nous chérissons tous l’illusion de “faire les jeux” en ce bas monde, de pouvoir contrôler les gains, les pertes et le déroulement des évènements.

Un peu d’humilité, Messieurs les humains !

"Richesse et honneur sont devant Toi et Tu gouvernes tout. Dans Ta Main, puissance et gloire, par Ta Main, Tu élèves et Tu renforces chacun."

La petite boule d’ivoire, lancée il y a des millénaires, commence à ralentir et tourne de plus en plus lentement pour bientôt, au bout de sa trajectoire, s'immobiliser dans la rigole qui fera tomber le jackpot.

C'est le moment ou jamais de miser sur le bon numéro, avant que les Jeux ne soient définitivement faits.

Il y a des défis qu’on n’a pas le droit de rater !

 

 

“Rien ne va plus!”“Rien ne va plus!”