Choisir le prénom de son enfant peut sembler parfois ne relever que d’une convention sociale. Pourtant la Torah nous enseigne que le choix du prénom, au-delà d’une simple affinité ou d’un choix commun des parents, revêt une importance que peu de parents soupçonnent. À nous d’en découvrir les enjeux…
Qu’en dit le Talmud ?
Le traité Brakhot du Talmud de Babylone (page 7b) nous rapporte l’opinion de Rabbi El’azar qui nous enseigne que le prénom a une influence sur le destin de l’enfant. Rabbi El’azar s’appuie sur un verset des Téhilim (46,9) qui énonce la chose suivante : « Venez contempler les œuvres de l’Éternel qui a opéré des ruines sur la terre ». Le mot ruine se dit en hébreu « Chamot » et Rabbi El’azar dans le cadre d’une Dracha (explication homilétique de la Bible), affirme qu’il faut lire ici, non pas « Chamot » mais « Chémot », à savoir les noms. Si donc, l’on relit le verset en incluant la Dracha, cela donne : « Venez contempler les œuvres de l’Éternel, qui donne des noms sur la terre ».
Hachem donne des noms aux êtres humains ; déjà au premier d’entre eux, Adam, comme il est écrit dans Béréchit (5,2) : « Il les créa mâle et femelle, Il les bénit. Il les appela du nom d’Adam le jour de leur création ». L’on voit une deuxième occurrence dans Béréchit (16,11) : « L’ange de Hachem lui dit [à Hagar] : « Te voici enceinte, et tu vas mettre au monde un fils. Tu l’appelleras Yichma’el car Hachem a entendu ton appel ». Une troisième occurrence apparaît dans Béréchit (17,19) : « D.ieu dit : mais Sarah ton épouse te donnera un fils et tu l’appelleras Yits’hak. Je conclurai une alliance avec lui et avec sa descendance, une alliance éternelle ». Si Hachem lui-même donne les noms, c’est donc incontestablement qu’ils revêtent une grande importance.
En effet, le prénom n’est pas consensuel, issu des conventions sociales. Dans la mesure où il est exprimé en Lachon Hakodech (langue sainte), il exprime l’essence de la personne et par conséquent son rôle en ce bas-monde. Ainsi par exemple, Adam signifie « tiré de la terre », qui se dit « Adama ». Par conséquent, le nom d’Adam, emblématique pour l’humanité, rappelle à l’homme son origine terrestre et le ramène à des notions d’humilité.
On a également plusieurs cas dans la Torah où D.ieu change le nom de différents personnages bibliques. Ainsi Hachem a changé le nom d’Avram en Avraham comme il est dit : « Ton nom ne sera plus Avram. [Désormais] ton nom sera Avraham car J’ai fait de toi le père de nombreuses nations. » (Béréchit 17,5). On voit ici clairement que le changement de nom implique un changement de destinée. Avram était le père d’Aram, peuplade locale ; Avraham acquiert un statut universel, père de nombreuses nations.
Nous avons aussi le cas de Saraï, femme d’Avraham qui devient Sarah. Dans Béréchit (17,15), il est dit : « D.ieu dit à Avraham : « Tu n’appelleras plus ton épouse du nom de Saraï car [désormais] elle s’appellera Sarah. » » Rachi (commentateur de la Torah) en s’appuyant sur le traité Brakhot 13a, explique que Saraï veut dire « ma princesse », ce qui implique une certaine restriction, alors que Sarah veut dire « princesse » au sens large du terme. Cela signifie qu’Hachem a donné à Sarah une royauté très étendue.
Nous avons aussi le cas de Ya’acov Avinou, dont le nom a été changé en Israël, ainsi que le rapporte le verset (Béréchit 32,29) : « Ton nom ne sera plus Ya’acov mais Israël car tu as affronté des puissances célestes et des êtres humains et tu as vaincu ». Ce verset fait suite au combat victorieux de Ya’acov contre l’ange tutélaire d’‘Essav et vient exprimer un changement de statut de Ya’acov Avinou. En effet, le nom de Ya’acov exprime d’un certain point de vue une idée de ruse, puisque c’est bien par la ruse que Ya’acov a obtenu les bénédictions de son père, au détriment de son frère ’Essav. Le combat de Ya’acov Avinou à visage découvert contre l’ange d’‘Essav et sa victoire lui permettent d’avoir accès à un nouveau statut, celui d’Israël qui exprime tout à la fois une noblesse et un caractère victorieux.
La Torah nous rapporte également un autre cas de figure, où un personnage de la Bible donne lui-même un nom à son enfant, en étant inspiré par Hachem. Ainsi Léa, femme de Ya’acov Avinou donne à son premier fils le nom de Réouven qui signifie « Voyez mon fils » (« Réou » signifiant « voyez » et « Ben » signifiant « fils »). Léa exprime ainsi la louange de Réouven, qui bien qu’étant l’aîné, ne jalousera pas Yossef, amené pourtant à jouer un rôle prépondérant, contrairement à ‘Essav, aîné lui aussi, qui sera amené à jalouser son frère Ya’acov, après que celui-ci lui aura racheté le droit d’aînesse.
Léa appelle son deuxième fils Chim’on. Le Midrach nous explique que ce nom est une allusion au fait que Hachem a entendu les gémissements du peuple juif puisque Chim’on vient de la racine « Chama’ » qui veut dire entendre.
Ensuite Léa appelle son troisième fils Lévi. Le Midrach explique que ce nom rappelle le fait que Hachem s’est associé (Lévi vient de la racine « Lava » qui signifie accompagner) à la souffrance du peuple juif, ainsi que cela apparaît dans la symbolique du buisson ardent.
Une importance décisive
Nos Sages nous enseignent (Vayikra Rabba 36) que nos ancêtres furent sauvés d’Égypte par le mérite de quatre choses : « Malgré l’esclavage, les enfants d’Israël ne changèrent pas leurs prénoms, ils ne changèrent pas non plus leur langage [c'est-à-dire qu’ils continuèrent à parler en Lachon Hakodech], ils ne se livrèrent pas à la médisance et ne tombèrent point dans la débauche ».
Ce Midrach nous permet de prendre conscience de l’importance extrême des prénoms hébraïques, puisque le simple fait de les conserver et de n’avoir pas cédé à la pression sociale environnante en adoptant des prénoms égyptiens, a constitué une raison suffisante pour mettre un terme à l’oppressant exil égyptien. En effet le prénom hébraïque est à lui seul une évocation de la mission spécifique du peuple juif, en tant que vecteur du message d’Hachem et en tant que lumière des nations. L’assimilation commence bien souvent par l’adoption des prénoms locaux qui parfois n’est qu’un prélude à l’adoption des mœurs et de la culture environnante.
Prénoms locaux : permis ou interdit ?
Le Maharam Shiq (décisionnaire hongrois 1807-1879) affirme que la Torah interdit d’utiliser des prénoms non-juifs et ceci afin de se distinguer des idolâtres, selon les injonctions de la Torah, comme il est dit dans (18,3) : « Vous ne suivrez pas leurs lois ». Le Rogatchover (Rav Yossef Rosen) (1856-1936) interdit également l’emploi de tels prénoms. Cependant le Rav Moché Feinstein, un décisionnaire de renom, autorise le recours à de tels prénoms à notre époque puisque nous nous situons après le don de la Torah ; or le fait que nous ayons déjà reçu la Torah suffit à nous distinguer des non-juifs. D’autres grands décisionnaires partagent l’opinion de Rav Moché Feinstein, comme le Maharachdam et le Maharit. Cependant tous les décisionnaires s’accordent sur le fait que cette utilisation de prénoms non-juifs n’est permise que Bédi’avad (a posteriori), c'est-à-dire qu’il est souhaitable d’éviter cela a priori. Par ailleurs, si l’adoption de prénoms non-juifs est faite dans un but assimilationiste, elle est strictement interdite. De plus, cette autorisation n’inclut pas évidemment l’emploi de noms d’idoles, totalement prohibé, ainsi que celui prohibé au même titre, de noms d’impies, tel que celui de Nimrod. En effet, dans Michlé (10,7) il est dit : « Le souvenir des justes est une bénédiction et le nom des impies tombera en pourriture ».
L’inspiration divine
Le verset que nous avons cité (Téhilim 46,9) exprime le fait qu’Hachem inspire les prénoms aux parents, puisque dans les faits, ce sont les parents qui choisissent les noms de leurs enfants. Le Rav Ben Tsion Moutsafi reprend cette idée dans son ouvrage Mévasséret Tsion (I, Drouch Chem Haadam). Il explique qu’Hachem détermine l’essence et les caractéristiques spirituelles de l’âme destinée à venir dans ce monde et inspire aux parents un prénom correspondant à ces caractéristiques spirituelles. Les parents conservent malgré tout un libre arbitre et s’ils décident de donner à leur enfant le prénom d’un Tsadik (Juste), ils offrent à leur enfant un potentiel spirituel plus fort et plus élevé.
La nomination se fait au moment de la Brit-Mila du fait qu’Avraham reçut son nouveau nom (Béréchit 17,5) et l’ordre de faire la Brit-Mila dans la même apparition d’Hachem, ainsi qu’il est mentionné dans Béréchit 17, versets 10 à 14 : « Ceci est Mon alliance que vous garderez entre Moi et vous et ta descendance : circoncisez tout mâle ». Au cas où la Brit-Mila est repoussée pour des raisons médicales, on n’attendra pas plus d’un mois pour nommer l’enfant.
S’il s’agit d’une fille, le père la nommera devant l’assemblée des fidèles lors d’une Alyah à La Torah (en étant appelé à la lecture de la Torah), le lundi ou le jeudi ou encore le Chabbath qui suit la naissance. Là non plus, on ne devra pas laisser passer plus d’un mois sans nommer l’enfant.
Nous avons vu qu’il est interdit de donner à son enfant un nom d’idole ou d’une personne impie. Il est également déconseillé de donner le nom d’une personne ayant eu une fin tragique. Rav Zamir Cohen explique que cela part souvent d’une bonne intention qui est celle de perpétuer le nom et la mémoire de la personne défunte ; mais il affirme que cela peut avoir pour conséquence de lier le destin de l’enfant à celui de la personne défunte et lui faire subir le même sort, qu’à D.ieu ne plaise.
Il est également déconseillé de donner à des garçons des noms de fille et inversement, comme Danièle qui est un nom masculin, faisant référence au prophète Daniel de la Bible et qui est utilisé à tort comme nom féminin. Les influences célestes en rapport avec chaque prénom sont bien évidemment différentes selon qu’il s’agisse d’un garçon ou d’une fille, et il n’est pas bon de les intervertir.
Comment choisir ?
Le prénom d’un enfant est avant tout le choix des parents et personne ne peut ni ne doit s’immiscer dans leur choix. Il est bien évident que ce choix doit être fait d’un commun accord entre les deux parents, et que tout prénom qui ne plaît pas à l’un des deux parents doit être écarté. En effet le prénom choisi doit plaire aux deux parents.
Bien entendu, il ressort de la responsabilité des parents de ne pas donner à leur enfant un nom excentrique, bizarre ou difficile à porter. Un prénom bien choisi est un atout pour un enfant dans sa vie future.
Il est permis de donner à son enfant un nom comportant le nom de D.ieu à la condition que ce soient des prénoms répertoriés dans le Tanakh (Canon Biblique Juif), comme Emmanuel ou Nathanaël. (El signifiant D.ieu). Il est permis également de donner à son enfant des prénoms d’ange, à condition que ce soit des prénoms usuels, comme Gabriel ou Raphaël.
Il est déconseillé de donner des prénoms modernes qui n’ont pas d’assise dans le Tanakh ou dans les textes traditionnels, comme Gal ou Ran. De plus, ces prénoms ne comportent que deux lettres hébraïques (deux consonnes). Or il est préférable de donner des noms comportant au moins trois lettres hébraïques, car les lettres hébraïques constituent des canaux d’influence, ainsi que le rapporte le Rav Zamir Cohen. Cependant si l’on donne un nom comportant uniquement deux lettres hébraïques mais appartenant à des Tsadikim (Justes) et mentionné dans le Tanakh, cela ne pose aucun problème (comme Gad ou Dan).
Il faut faire attention à la signification du nom que l’on donne à son enfant. Ainsi, on a pu remarquer que les enfants auxquels on a donné le nom de Gal, qui signifie « une vague », étaient instables, du fait que le nom a de l’influence sur la personne, comme il est rapporté dans le traité Brakhot 7b « Chéma Garim » (« Le nom influence »). À l’inverse, on a pu remarquer que les enfants qui avaient comme prénom Arié, qui signifie « lion », étaient stables et sûrs d’eux-mêmes.
Il est permis de donner à un enfant deux noms, même si l’on sait que l’on ne l’appellera pas dans la réalité par les deux noms. Cependant dans un tel cas de figure, il est bon de temps en temps de l’appeler par son nom entier, c'est-à-dire avec ses deux prénoms. Lors d’une montée à la Torah, il est bon de mentionner ses deux prénoms, le cas échéant. Dans le même ordre d’idées, il est bon d’appeler chaque personne par son nom hébraïque complet et d’éviter les diminutifs, tels que Yossi pour Yossef ou Avi pour Avraham. Il faudra au moins de temps en temps appeler la personne par son nom entier. En effet les lettres hébraïques étant des canaux d’influence céleste, l’abondance prévue pour chacun passe par ces canaux.
Conclusion
Chaque âme qui vient au monde reçoit du Ciel un rôle précis à jouer dans ce monde. Dans ce but, l’âme reçoit des capacités particulières qui lui permettront de remplir efficacement son rôle et de faire face aux épreuves qui constituent la raison de sa venue sur terre. Ainsi pour donner un exemple, celui qui vient sur terre dans le but de devenir un donateur recevra du Ciel un don particulier pour « faire de l’argent », ainsi qu’une capacité à le garder. Son épreuve consistera à réussir à donner la Tsédaka (aumône) en quantité ainsi qu’en qualité suffisante.
Par conséquent, il est très important pour chaque Néchama (âme) de recevoir un nom adapté à ce futur rôle qu’elle aura à jouer. Ce nom adapté lui sera d’une grande aide pour accomplir correctement sa mission. Ceci d’autant plus que l’on sait qu’une des raisons majeures qui a justifié le sauvetage du peuple juif d’Égypte est le fait qu’ils ont gardé leur noms hébraïques. Or dans le dernier exil, s’est révélée une certaine tendance à adopter les noms des cultures environnantes. Cette tendance est néfaste pour nous puisqu’à l’inverse de ce qui s’est passé en Égypte, elle est un facteur de prolongation de l’exil.
Pour contribuer à hâter la délivrance, il est bon que ceux qui ont l’habitude de se faire appeler par un prénom issu de la culture locale mais qui ont malgré tout un prénom hébraïque, prennent l’habitude d’utiliser leur prénom juif. Quant à ceux qui n’ont pas de prénom hébraïque, il serait bon qu’ils choisissent un prénom hébraïque conforme à la tradition.
En effet, ce n’est pas un hasard si le livre de la Torah qui décrit la construction et l’émergence du peuple juif à travers le creuset de l’exil s’appelle « Chémot » (Les noms). Les noms auxquels il est fait allusion ici sont les noms des tribus d’Israël, vecteurs et porteurs de l’identité juive authentique qui seule pourra nous faire mériter la Délivrance, ainsi que l’explique le Rav David E. Avraham.
Ainsi, le choix d’un prénom pour son enfant n’est pas anodin. Véritable défi spirituel, il constitue un enjeu majeur. Puisse Hachem nous inspirer des choix conformes à Sa volonté et nous faire mériter la délivrance finale.