Histoire à l'occasion de la Hiloula du dernier Rabbi de Loubavitch.

Rabbi Chalom Eli’ezer Kein, décédé récemment, fut l’un des activistes les plus célèbres de la communauté orthodoxe en Israël, qui consacra son existence à l’accomplissement d’actions de bienfaisance. L’histoire suivante, complètement inédite, a été dernièrement rapportée par le Rav Moché Orenstein, de la communauté ‘Habad de Natanya, à l’occasion des 30 jours du décès du Rav Kein. Elle a frappé de stupeur tous ceux qui en ont eu vent et vient une fois de plus démontrer, si besoin était, l’amour du Rabbi de Loubavitch envers chaque Juif et l’esprit saint dont il était investi.

Rencontre improbable au quartier latin

Rav Kein était un jour de passage à Paris avant de s’envoler pour New-York, lorsqu’il aperçut, à la terrasse d’un café, un homme particulièrement charismatique et impressionnant. Celui-ci s’adressait avec fougue à un groupe de jeunes gens réunis en cercle autour de lui, qui buvaient avec avidité ses paroles. Intrigué, Rav Kein s’approcha discrètement pour observer la scène. L'homme, dont le regard brillait de cette lueur propre aux intellectuels, semblait captiver son auditoire.

Lorsque l'homme remarqua la présence de Rav Kein, il interrompit d’un coup son discours avec un sourire bienveillant et s’adressa à lui dans un parfait Yiddish : "Qu’est-ce qu’un honorable Rabbi comme vous fait dans nos contrées ?" Ces quelques mots piquèrent au vif la curiosité de Rav Kein, qui ne s'attendait pas à une rencontre aussi improbable : se tenait face à lui non pas un non-juif, mais un authentique Juif d’origine ‘Hassidique !

Les deux hommes se lièrent rapidement d’amitié, alors qu’ils s’étaient mis à l’écart de la foule pour converser en Yiddish. L'homme se révéla être un professeur émérite de philosophie grecque à la faculté de La Sorbonne, ce qui contrastait fortement avec les origines qui semblaient se profiler sous ses apparences…

Amicalement, l’homme invita Rav Kein chez lui, une invitation que le Rav accepta volontiers.

Le secret du "salon juif"

Peu après, les deux hommes pénétrèrent dans un luxueux appartement du quartier latin, où chaque recoin exhalait l’opulence. Soudain, l’hôte se tourna vers Rav Kein et déclara de manière énigmatique : "Ici, c’est le salon non-juif. Je vais maintenant vous montrer le salon juif." Après avoir traversé un long couloir couvert d’œuvres d’art, il fit entrer Rav Kein dans une pièce dont les murs étaient tapissés de magnifiques bibliothèques anciennes, garnies exclusivement de livres juifs saints : du Talmud et du Choul’han ‘Aroukh aux œuvres ‘Hassidiques plus contemporaines, y compris le célèbre Tanya !

L’homme se tourna alors vers le Rav, qui était en proie à la stupeur, et annonça : "Vous m’êtes fort sympathique et j’aimerais vous confier mon secret. Mais vous devez me promettre de ne le révéler à personne." Rav Kein acquiesça, les deux hommes se serrèrent la main en signe de pacte, puis le Juif commença son récit :

"Je me nomme…", et là, il mentionna son nom, laissant Rav Kein sans voix. Cet homme n’était autre que le fils de l’un des plus éminents Admourim polonais d’avant-guerre !

Personne au monde ne connaît mon véritable nom. Ma propre famille, dont certains membres ont survécu à la guerre et occupent d’importants postes rabbiniques en Israël et ailleurs, ignore jusqu’à mon existence, persuadée que j’ai moi aussi péri avec les autres membres de notre communauté."

Rav Kein était abasourdi. Le Juif poursuivit son monologue :

"Après la guerre, j’ai décidé de changer d’identité. Je me suis débarrassé des derniers vestiges de judaïsme et ai adopté un nom français. Pour tout dire, je ne respecte même pas Yom Kippour. D.ieu existe, certes, mais moi je Lui en veux. La seule chose dont je ne peux me départir, pourtant, est l’amour intense pour l’étude de la Torah, telle que nous la pratiquions dans la maison de mon père, puisse son sang être vengé. Chaque jour, je consacre un moment important à l’étude. Vous êtes désormais la seconde personne au monde à le savoir, après moi…", conclut-il avec un sourire triste.

Mission outre-Atlantique

"Accepteriez-vous de reporter votre vol pour New-York de quelques jours, le temps pour moi de vous remettre une enveloppe à transmettre au Rav Ména’hem Mendel Schneerson de Brooklyn ?", demanda l’homme au Rav Kein.

Comprenant qu’un enjeu historique était sans doute en train de se jouer, Rav Kein accepta de rester trois jours supplémentaires dans la capitale, avant de s’envoler pour New-York où de nombreuses tâches l’attendaient. À l’issue de ce délai, il reçut des mains de l’homme une enveloppe mystérieuse, dont il ignorait le contenu. En la lui remettant, l’homme avait été catégorique : l’enveloppe devait rester scellée et être transmise en main propre au Rabbi, sans l’intermédiaire de Gabbaïm. Si cela s’avérait impossible, il préférait que l’enveloppe reste chez Rav Kein. Rav Kein accepta d’endosser sa mission et se garda de poser des questions indiscrètes.

Quelques jours plus tard, Rav Kein se trouvait dans la cour du célèbre 770 Eastern Parkway, conscient de la mission grandiose et sainte dont il était investi. Cependant, il réalisa rapidement que les choses ne se passaient pas comme prévu : Leibel, le mythique Gabbaï du Rabbi, refusa en effet catégoriquement de laisser Rav Kein entrer auprès du Rabbi. Il proposa de se charger lui-même de remettre l’enveloppe au Rabbi, assurant Rav Kein de sa discrétion. Mais Rav Kein se montra inflexible. Il avait donné sa parole et n’avait pas l’intention de la rompre.

C’est ainsi que Rav Kein repartit, fort contrarié, sans avoir pu remplir la demande si précieuse de son nouvel ami parisien. Pourtant, un jour avant son vol de retour, Rav Kein décida de tenter à nouveau sa chance auprès du Rabbi, bien que les chances de réussite fussent quasi inexistantes.

Les yeux et le cœur du Rabbi

Ce jour-là, pourtant, un événement inhabituel se produisit au 770 : c’était un dimanche 18 Tamouz, jour de jeûne donc, en lieu et place du Chabbath pendant lequel le jeûne est prohibé. Or ce jour-là, le Rabbi avait décidé, de manière inédite, de prier l’office de Min’ha à la synagogue en compagnie de ses ‘Hassidim. C’est précisément à ce moment que Rav Kein entra également dans la vaste synagogue.

Une fois l’office terminé, de manière parfaitement inexplicable, le Rabbi descendit de l’estrade, se fraya un chemin jusqu’à Rav Kein et, à la stupéfaction de Leibel le Gabbaï, lui fit signe de la main de lui remettre l’enveloppe. Stupéfait, Rav Kein s’approcha révérencieusement du Rabbi et lui tendit d’une main tremblante la mystérieuse enveloppe. Le Rabbi la saisit, puis s’éloigna, entouré d’une aura de ‘Hassidim.

Un an plus tard, nous sommes à la veille de Yom Kippour, à l’heure où les ‘Hassidim défilent devant le Rabbi pour recevoir un morceau du traditionnel Leka’h, comme augure d’une bonne et douce année. Parmi les fidèles, seul Rav Kein, à nouveau de passage à Brooklyn, se voit offrir deux morceaux…

Fort intrigué du geste du Rabbi, Rav Kein tenta de joindre son ami à Paris pour lui annoncer qu’un souvenir du Rabbi l’attendait chez lui. Quelle ne fut pas sa surprise en apprenant auprès de la direction de la Sorbonne le décès du professeur et, pire encore, que ce fils d’un saint Admour avait été enseveli dans un cimetière non-juif de la capitale !

De retour en Israël, Rav Kein s’adressa au Rabbi d’Amchimov, duquel il s’était rapproché ces dernières années. À l’écoute du singulier récit, le Rabbi déclara à son élève avec assurance : "N’aie crainte, le Rabbi de Loubavitch s’est déjà chargé de l’affaire…"

Rav Kein ne sut déchiffrer la signification de cette réponse énigmatique. Pourtant, peu de temps après, il apprit, de nouveau  auprès de ses contacts à la faculté parisienne, que son ami avait récemment été… transféré vers un cimetière juif de la capitale, par un groupe inconnu d’hommes vêtus de noir et blanc !

Jusqu’à son dernier souffle, Rav Kein refusa de trahir sa promesse et garda le nom du Juif secret.