La première fois que j’ai entendu parler de ce phénomène, c’est en Amérique. Aux Etats-Unis, il est possible de rencontrer des jeunes gens portant des Kippot et des Tsitsiyot et qui profanent le Chabbath régulièrement. Comment ? Ils écoutent certes le Kiddouch, et se rendent même à la synagogue, mais on ne peut pas compter sur eux pour qu’ils n’envoient pas de sms pendant tout un Chabbath, on est d’accord ?
Il y a dix ans, cela me paraissait bizarre. Mais depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, le téléphone portable est devenu de plus en plus addictif, et le phénomène d’un homme revenant le Chabbath de la synagogue en portant le Talith et avec le Smartphone en poche n’est plus si étrange.
Autrefois, le monde juif se divisait clairement en deux : ceux qui respectent le Chabbath et ceux qui ne le respectent pas. Bien entendu, il y avait toujours des traditionnalistes qui récitaient le Kiddouch puis se rendaient au stade pour le match de foot, mais ils ne prétendaient pas au titre de « Chomer Chabbath », au mieux : « Chomer Massoret, respectueux de la tradition ». Mais aujourd’hui ? Toute personne qui veut porter le titre de « Chomer Chabbath » peut se l’approprier. Et il m’arrive donc d’entendre ce genre de phrases : « Je suis Chomer Chabbath, cela ajoute énormément à la qualité de ma vie et de celle de la famille. Mais je réponds au téléphone et j’envoie des sms le Chabbath, mais c’est juste pour garder contact avec la famille et les amis, cela fait partie de mon ‘Oneg Chabbath, de mon plaisir du Chabbath ». Ou : « J’observe le Chabbath, mais j’utilise l’ordinateur, le téléphone et j’allume la lumière. Je ne crois pas fauter en écrivant des messages Whatsapp ou en voyant des films le Chabbath. Cela fait partie de mon repos du Chabbath ! ».
Ces individus qui prétendent respecter le Chabbath n’ont pas toujours une apparence religieuse. Mais, de plus en plus, le camp des « Chomré Chabbath », selon leur définition, s’agrandit et inclut des gens comme eux. Des jeunes filles portant des jupes ou des jeunes gens portant la Kippa expliquant qu’ils respectent le Chabbath, bien sûr, « mais est-ce vraiment grave d’envoyer quelques sms à des amis pour organiser la sortie du Motsaé Chabbath ? ». Mettons les choses au clair : on ne parle pas de Juifs qui se renforcent dans l’observance des Mitsvot et avancent peu à peu dans leur respect du Chabbath. Il va de soi que la plupart des gens ont du mal à passer de la profanation du Chabbath totale au respect complet du Chabbath dans tous les détails. Il s’agit de gens qui ne sont pas prêts à reconnaître le respect du Chabbath selon la Halakha. De leur point de vue, il n’y a aucune différence entre leur Chabbath et celui qui est conforme au Choul’han Aroukh (code de lois juives). Leur profanation du Chabbath se fait a priori, pour leur permettre un… ‘Oneg Chabbath, un « délice du Chabbath ».
Qu’est-il arrivé au respect du Chabbath ? Comment se fait-il qu’autrefois, tout le monde s’entendait sur le fait que, soit on est Chomer Chabbath selon la Halakha, soit, on ne l’est pas ? Comment se fait-il que, de nos jours, n’importe qui peut réécrire le Choul’han Aroukh et créer un guide hilkhatique privé sur son observance du Chabbath, qui tranchera par exemple qu’il est interdit de voyager le Chabbath, mais qu’en revanche, il est permis de voir des films et d’utiliser son Smartphone ? Dans le passé, le respect du Chabbath était tranché : si on ne s’abstenait pas d’utiliser le téléphone le Chabbath, personne ne nous plaçait dans la catégorie des « Chomré Chabbath ». Et aujourd’hui ? Un tel jugement serait rejeté et considéré comme une sérieuse interférence à la conscience d’autrui. Qui sommes-nous pour juger qui respecte le Chabbath et qui ne le respecte pas ? Qui décide de l’essence du Chabbath ?
La réponse, bien sûr, c’est que D.ieu décide. Le respect du Chabbath est l’un des Dix Commandements donnés au Mont Sinaï, et dans la tradition juive - tous les détails des lois du Chabbath ont été aussi donnés là-bas sous forme de la Torah Orale. Pendant des milliers d’années, les Juifs n’ont pas remis ces lois en cause, ils n’ont pas essayé de se créer un Chabbath personnel. Il est vrai qu’ils n’avaient ni téléphone, ni ordinateur. Les femmes d’autrefois aimaient broder et coudre - mais même si ces activités faisaient partie de leur « repos », elles n’auraient jamais envisagé de s’y adonner le Chabbath. Et aucun Juif qui se prétendait Chomer Chabbath aurait pensé à jouer du piano par exemple, en revendiquant que c’est son plaisir du Chabbath.
Le Chabbath est de toute évidence une idée populaire même dans le monde juif qui n’est pas pointilleux sur le respect de la Halakha. Autrement, il ne serait pas possible d’expliquer pourquoi tant de gens veulent s’approprier le titre de « Chomer Chabbath ». Après tout, le Chabbath a des qualités particulièrement attirantes dans notre monde moderne bruyant et agité : cesser toute activité, prendre des repas en famille, rencontrer la famille élargie, marquer une pause dans la course effrénée de la vie quotidienne… sans omettre que personne ne s’oppose à manger de bons petits plats. Mais l’observance du Chabbath n’est pas un contrepoids face au rythme de vie du vingt-et-unième siècle, ni un droit social particulier. Des générations de Juifs ont respecté le Chabbath non pas pour « se détendre » ou « pour avoir l’occasion de se divertir avec les enfants », mais ils l’ont observé simplement parce que D.ieu le leur avait ordonné. Le Chabbath a été donné comme un signe d’alliance entre les Juifs et D.ieu. Et, plus d’une fois, ils ont payé un lourd prix pour le respecter. Plus lourd qu’un sursis de 24 heures de Whatsapp.
Mais aujourd’hui ? Aujourd’hui, il est très facile de prétendre appartenir au camp des « Chomré Chabbath » tout en préservant notre zone de confort. On fait le Kiddouch, on mange, on se repose. Peut-être même qu’on s’abstient de voyager le Chabbath (entre nous, qui a la force de se lever du canapé ?), mais nous demander de nous déconnecter de la technologie et des divertissements est trop pesant pour nous. Le Chabbath nous a été donné pour nous reposer, nous le savons très bien. Pour prendre du plaisir. Mais nous mettons totalement de côté la Mitsva d’observer le Chabbath : « Et le septième jour sera saint pour vous, le Chabbath pour Hachem ».
Le Chabbath appartient à Hachem. Et c’est Lui qui fixe les règles. « Vous gardez Mes Chabbathot, car c’est un signe entre Moi et vous », lit-on dans le livre de Chémot, étant donné que c’est le Chabbath de D.ieu, de quel droit pouvons-nous décider de sa définition ?
Imaginez une femme qui, en raison de sa grossesse, doit rester au lit. Le médecin lui demande d’arrêter de travailler et de rester toute la journée au lit. Imaginez-vous si elle déclare : « Oui, je suis en arrêt de grossesse. Mais je nettoie la maison tous les jours et je vais à mon cours de danse folklorique, c’est mon repos. C’est ma manière de me reposer et de me détendre. C’est ce que me demande le médecin, non ? ». Avouez que vous la prendriez pour une folle. Ce que veut le médecin, c’est préserver la vie du fœtus, et, dans ce but, il ordonne à la maman, entre autres, de se reposer. Le but de ce repos n’est pas laissé à la fantaisie de la future mère. Le but ici est de sauver une vie, et on suit les instructions du médecin à cet effet. De même, le but d’observer le Chabbath n’est pas de « prendre du repos en fonction de la définition que je donne de ce terme », mais de respecter l’alliance entre nous et D.ieu - conformément aux injonctions Divines. Vous voulez consacrer le septième jour de la semaine à des activités divertissantes qui diminuent votre pression artérielle et votre tension ? C’est votre droit. Mais, simplement, ne le nommez pas « respect du Chabbath ».
Maayane Kfir