C’est une période où les souvenirs affluent ; tant de souvenirs doux et amers : amers, car ce sont seulement des souvenirs, et doux, car le fait de m’en rappeler me donne des forces. Je cours au cimetière - je récite une prière, je déverse ce que j’ai dans le cœur, j’inonde la tombe de mes larmes, et je repars avec un pincement au cœur. Si seulement ils pouvaient être présents…si seulement je pouvais apercevoir leur visage empreint de sainteté et entendre leur voix douce et avisée.
Je pleure pour ce passé révolu. J’ai de la peine pour mes petits-enfants qui n’ont jamais connu mes chers parents et les plus jeunes petits-enfants qui n’ont jamais connu mon révéré mari, leur grand-père bien-aimé. Je sais bien que même si je leur raconte des histoires, ce n’est pas pareil. Comment décrire la Tsidkout, la droiture de mon révéré père, son pur ‘Hessed, son amour éternel. C’était un enseignant extraordinaire, mais tous ceux qui le rencontraient l’appelaient « Zeide, papi » car ils sentaient son immense amour, et c’est cet amour qui faisait de lui le grand-père de tous. Sans dire un mot, il comprenait toujours les préoccupations de chacun, et ses bénédictions étaient un baume qui apaisait la douleur.
Tout le monde appelait affectueusement ma mère, la Rabbanite, « maman », car c’est ce qu’elle était : une maman chaleureuse et bienveillante qui trouvait de la place pour chacun dans son grand cœur. Il y avait toujours des dizaines de personnes sans famille qui venaient chez mes parents pour les Séoudot, les repas précédant et suivant le jeûne. Ma mère n’avait pas de femme de ménage, et elle ne se procurait pas de produits tout faits : elle préparait tout elle-même, mais toujours en chantant. Rien n’était trop pour elle. Outre les repas qu’elle préparait chez elle, elle réussissait à préparer un paquet pour chaque enfant - et comme dit, c’était une maman pour chacun, et chaque personne qui entrait dans sa cuisine était traitée comme son enfant. Son stock de friandises était infini, et ses casseroles, sans fond.
Mon mari, Rav Méchoulam Halévi Jungreis, était un géant spirituel. Il était également un survivant du camp de concentration de Bergen Belsen. Il arriva dans ce pays tout seul - toute sa famille avait péri, mais il avait toujours un sourire aux lèvres - un sourire qui pénétrait dans votre cœur et un esprit de positivité qui encourageait chacun de ses interlocuteurs. Le simple fait de lui parler vous aidait à vous sentir mieux. Il avait une patience infinie, et il vécut sa vie pour aider les autres. A Roch Hachana, il revenait de la synagogue en transpiration. Il donnait toutes ses forces et son énergie pour conduire les prières et inspirer ses fidèles. Bien que notre choule fût pleine à craquer à cette période, il savait toujours si quelqu’un était absent, et avant de s’autoriser à se détendre, il se rendait chez les malades pour sonner du Chofar. Après s’être assuré que tout le monde avait entendu le Chofar, il se sentait à l’aise pour s’assoir à table en famille.
Outre ses nombreuses responsabilités rabbiniques, mon mari était également l’aumônier du service de police du comté de Nassau. Pendant sa maladie, le commissaire de police vint lui rendre visite à l’hôpital. Je le raccompagnai jusqu’à l’ascenseur et le remerciai d’être venu.
« Rabbanite », me dit-il, « ne me remerciez pas. C’est mon plus grand privilège de rendre visite au Rabbin. Vous voyez, je n’avais jamais compris la relation entre la bonté et D.ieu avant de rencontrer votre époux le Rabbin. »
Tout en écrivant ces lignes, Yom Kippour approche à grands pas. Je vois leurs visages empreints de sainteté. La veille de Yom Kippour, nous nous rendions au domicile de mes parents pour la Brakha traditionnelle. Mon père revêtait son chapeau et manteau rabbinique de Chabbath. Avec affection, il plaçait ses mains sur nos têtes, et lorsqu’il nous bénissait, nous sentions son corps trembler ; ses larmes coulaient librement le long de sa longue barbe blanche. La bénédiction de mon père émanait du plus profond de son âme. Comme j’aurais aimé recevoir à nouveau une telle Brakha ! Comme j’aimerais que mes enfants et petits-enfants bénéficient de sa présence. Quel bonheur c’était d’embrasser sa main, et comme j’avais du mal à quitter cette petite maison à Brooklyn…
Alors que nous nous apprêtions à partir, mes parents nous accompagnaient à la voiture et restaient debout jusqu’à ce que nous tournions au coin de la rue. Je les aperçois encore dans mon esprit : ils nous faisaient signe de la main et murmuraient des bénédictions.
Alors que les années passaient et que la maladie se faisait sentir, ils nous saluaient de la main depuis la terrasse, et encore plus tard, ils nous saluaient depuis la fenêtre, et enfin, ils finirent par nous saluer depuis leur lit de malade. Et maintenant, j’espère et prie qu’ils murmurent leurs bénédictions depuis les Cieux.
Après le décès de mes parents, mon mari prit la relève et offrait sa bénédiction, et c’est également devenu un souvenir. Désormais, je vais avec mes enfants et petits-enfants au cimetière.
Nous nous tenons toujours en admiration devant ces géants. O D.ieu, puissent-ils nous entendre. Puissent-ils savoir que nous sommes ici… De grâce, D.ieu, accorde-nous la possibilité d’être dignes d’eux. Souvenirs, souvenirs, souvenirs…
Bonne année à vous tous, mes chers lecteurs et amis, ainsi qu’à tout le Klal Israël. Notre peuple vit sur des souvenirs, le Zékhout Avot, puisse le mérite de nos ancêtres nous soutenir.