La journée de Kippour est marquée notamment par la lecture de deux Haftarot, une le matin et une l’après-midi. La première est issue du livre d’Isaïe, alors que la seconde constitue la totalité du livre de Jonas. Ces deux textes sont emblématiques du travail spirituel qu’il nous appartient d’accomplir durant ces journées. Il est important de prendre le temps de les méditer, car elles nous permettent d’aborder cette journée d’une manière adéquate.
La Haftara du matin – Isaïe
La Haftara du matin est donc un texte bien connu d’Isaïe qui nous rappelle le jeûne qu’Hachem désire. En effet, il n’est pas demandé aux hommes de s’acquitter de leur jeûne de manière formelle, de manière extérieure, en se conformant uniquement aux lois relatives au jeûne. Le prophète nous rappelle de manière très éloquente le désir d’Hachem : l’homme doit rompre avec sa mauvaise conduite, son indifférences vis-à-vis des autres hommes, notamment des plus pauvres, il doit mettre un terme à sa médisance et ouvrir son cœur à la souffrance d’autrui.
Le prophète sait bien à quel point il est plus simple de s’acquitter de devoirs matériels extérieurs (jeûner, rester toute la journée à la synagogue, apporter des sacrifices…) plutôt que de modifier ses traits de caractère, remettre en cause les évidences trompeuses et perverses qui orientent notre quotidien. Rabbi Israel Salanter énonçait ceci de manière radicale : « Il est plus facile pour l’homme d’apprendre tout le Talmud plutôt que de changer l’un de ses traits de caractère… »
Or, l’homme peut parfois avoir la tentation de s’estimer quitte de ses devoirs dès lors qu’il a accompli ses obligations formelles, « extérieures », mais Isaïe nous rappelle avec force que ce n’est pas le cas.
Notre tradition nous exhorte ainsi à mettre notre esprit en conformité avec nos actes. Nos Sages ont une belle formule pour résumer cela : « Tokho Kébaro - à l’intérieur comme à l’extérieur ». Celui qui se morfond physiquement à Kippour en jeûnant doit aussi se morfondre dans sa tête et dans son corps de ses mauvaises habitudes, de ses fautes et de l’éloignement que celles-ci provoquent avec Hachem. Il ne doit pas en rester à ce triste constat, mais il doit surtout s’armer de force et de volonté pour prendre de nouvelles résolutions et les mettre en œuvre.
Cette année, le jour de Kippour, qui est appelé « Chabbat Chabbatone - le Chabbath des Chabbath », coïncide avec Chabbath. Or, la Haftara du matin de Kippour se conclut toujours par des versets relatifs à Chabbath que nous avons l’habitude de réciter le samedi. Et de fait, il y a un lien très fort entre Chabbath et Yom Kippour. Ces deux jours sont considérés comme échappant au temps matériel de la création. Ils sont donc hors du temps et invitent l’homme à échapper à toutes les contraintes matérielles qui entravent son existence au quotidien.
Nos Sages nous enseignent ainsi : « Sept choses ont été créées avant la création du monde : la Torah, La Téchouva, le monde futur […] » (Nédarim 39b). Or, Yom Kippour est précisément le jour de la Téchouva, et Chabbath est qualifié de « Méèn Olam Haba - un avant-goût du monde futur ». Ces deux journées constituent ainsi un appel envoyé à l’homme depuis le Ciel de se réveiller et de revenir vers D.ieu, de coïncider avec la source de sa Néchama et d’accomplir la mission spirituelle à laquelle Hachem a élu chacun de nous.
Il est toutefois saisissant que ces deux journées se vivent sur des registres radicalement opposés : la mortification pour Kippour, le plaisir et la réjouissance pour Chabbath. Il s’agit de deux modalités à travers laquelle l’homme peut appréhender son lien au Créateur, soit en revenant sur ses fautes dans la souffrance, soit en célébrant la création et le Maître du monde dans la joie.
Ce n’est pas un hasard s’il n’y a qu’un jour de Kippour par an, et chaque semaine un jour de Chabbath. En effet, Hachem, qui aime les hommes par-dessus tout, souhaiterait avant tout que nous revenions à Lui par la joie, le bonheur, et le ravissement. Mais dans sa grande miséricorde, Il nous a également donné un jour de mortification grâce auquel nous pouvons obtenir de manière miraculeuse le pardon de nos fautes, et recommencer l’année sur de bonnes bases.
Enfin, ce que nous disions précédemment sur l’importance d’associer la lettre et l’esprit, la forme et le fond en ne nous contentant pas d’un jeûne extérieur mais en y associant aussi une remise en cause intérieure sincère, vaut aussi pour Chabbath. La joie que nous éprouvons à travers les plaisirs matériels de Chabbath doit s’accompagner d’un travail intérieur pour saisir l’essence de Chabbath, notre capacité à coïncider avec notre dimension spirituelle interne.
La Haftara de l’après-midi – le livre de Jonas
La Haftara de l’après-midi de Kippour est également bien connue, il s’agit du livre de Jonas. Ce livre est d’une immense richesse et il est impossible de prétendre le résumer. Essayons simplement d’en dégager quelques grandes lignes à notre modeste niveau.
Le choix de cette Paracha paraît évident dans la mesure où sa thématique centrale consiste dans la force de la Téchouva qui permet à l’homme d’échapper à des terribles décrets.La force de la Téchouva permet d’une part à Jonas, à un niveau individuel, d’échapper à la mort dans les entrailles du poisson, et d’autre part, à un niveau collectif, à la ville de Ninive d’échapper à la destruction.
Nous voyons également à quel point il ne faut jamais désespérer, même dans les situations les plus critiques comme celles de Jonas ou de Ninive où le sort aurait pu sembler sceller d’avance. Le repentir, qui a été créé avant le monde, fait échapper l’homme à la logique implacable du déterminisme matériel apparent du monde.
Cette Haftara évoque également de grandes questions relatives à la providence. Elle nous rappelle que nul ne peut fuir l’appel de D.ieu. Or, cet appel ne s’adresse pas seulement aux prophètes comme Jonas, mais également à chacun d’entre nous, chacun à son échelle et à son niveau. Chaque homme qui vit sur terre a une mission à accomplir auprès de D.ieu. Cette mission est unique, nul ne peut nous remplacer. Elle est le reflet de notre histoire, de notre sensibilité, elle s’appuie sur nos facultés, nos compétences. Pris dans le tourbillon de la vie, des contraintes matérielles, l’homme perd parfois de vue cette vocation spirituelle, il diffère son accomplissement plus tard, quand il n’estime pas qu’elle ne concerne que les « rabbins » ou les « grands Sages… » Notre Haftara nous rappelle à cette exigence le jour le plus solennel de l’année.
Enfin, concluons par rappeler la raison du refus initial de Jonas de se rendre à Ninive. Il redoutait en effet que le repentir des habitants de Ninive, dont il ne doutait pas, représente une accusation contre une partie des enfants d’Israël qui, en dépit des différents prophètes que D.ieu leur a envoyé, n’écoutaient pas leur voix et étaient rétifs à un repentir sincère.
Jonas craignait ainsi de devenir le vecteur d’une accusation contre son peuple. Cette attitude témoigna de la puissance de l’amour que Jonas éprouvait pour ses frères, ce qui l’amena même à tenter de sacrifier son statut de prophète en prenant la fuite. Cette qualité est particulièrement précieuse aux yeux de D.ieu, qui désire que chacun des enfants d’Israël prenne à cœur la défense et l’amour de son prochain de manière viscéral.
C’est là également un message fondamental de la journée de Kippour : resserrer les liens qui nous unissent afin de pouvoir collectivement sanctifier le nom de D.ieu.
Puisse Hachem nous aider dans cette voie et nous permettre de faire une Téchouva sincère et authentique. Puissions-nous, avec nos familles, être tous inscrits et scellés dans le livre des Vivants, physiquement, matériellement et spirituellement.
Gmar ‘Hatima Tova !