Il y a de cela quelques années au Mexique, au pays de la tequila et des pots de v.., pardon, et des arrangements à l’amiable sous la table, la pieuse et fastueuse communauté juive de Mexico City avait organisé comme chaque année un Pourim dans la synagogue « Magen David » du Rav Tawil. 

Au milieu des festivités, alors que le banquet, la joie, les Divré Torah fusaient, le capitaine des pompiers fit irruption dans la salle. L’homme, le plus haut gradé de la hiérarchie de la brigade du feu mexicaine, ne se déplace en général que dans des cas de catastrophes majeures, d’inondations ou de tremblements de terre meurtriers, qui demandent des secours urgents et une logistique appropriée. 

Le Rav Tawil, un rien étonné et inquiet, interrogea avec tact l’hôte impromptu au sujet de sa présence en ce lieu.

Et l’honorable « senor » d’expliquer ainsi :

« Rabbénou, vous savez que dans notre capitale, la criminalité ne manque pas. Des hommes en civil de notre brigade se sont infiltrés dans la ville et observent les faits et gestes de la population et ce qui s’y trame. Ces détectives m’ont fait savoir qu’une grande commande d’alcool a été effectuée par votre synagogue cette nuit, à l’occasion d’un certain rassemblement, et la chose a éveillé nos soupçons. Chez nous, grosse quantité d’alcool égale bagarres dans le meilleur des cas, et généralement casse, blessés graves, morts et violence. Mes hommes se sont donc glissés ici même, incognito, et m’ont fait leur compte-rendu ainsi :

"On n’en croit pas nos yeux, el capitan. Les Juifs boivent dans la salle de la synagogue, ils sont complètement ivres, ils chantent, se tombent dans les bras l’un de l’autre, s’embrassent, louent chacun son voisin et font des discours… Y a pas de grabuge, el commandante !!! Du jamais vu alors que l’alcool coule à flots." »

Le haut gradé d’expliquer alors au Rav Tawil : 

« Lorsque mon policier m’a décrit l’événement, je n’y ai pas cru. J’étais sûr qu’on l’avait corrompu pour qu’il se taise et laisse faire les débordements, la débauche et les excès. Je suis donc venu moi-même faire mon constat. 

J’avoue que c’est ahurissant !! Je n’ai jamais vu ça… »  

Autobus impérial

Un autobus chargé de Ba'houré Yéchivot - étudiants en Talmud - fraye sa route dans les bouchons de Bné Brak.

On a fini Pourim dans une partie du pays, mais on s’en va continuer la fête à Jérusalem, où elle va bientôt commencer. Le car est plein. Joyeux brouhaha et effluves de vin se mélangent, ça “chauffe” dans le véhicule, et une fine couche de buée se colle aux fenêtres. Quelques jeunes gens bien éméchés commencent à chanter à pleins poumons un psaume lié à la fête, interrompant leur ode par des passages du « Messilat Yécharim - La Voie des Justes - », chef-d’œuvre d’éthique juive du 18ème siècle, qu’ils connaissent par cœur. 

Pourim: l’ivresse avec talent !!

Deux autres, assis l’un à côté de l’autre échangent :

« Tu as entendu ce ‘Hidouch (idée novatrice d’un texte saint) du Min’hat Its'hak (commentateur célèbre) sur la Mitzva d’effacer le nom d’'Amalek pour les femmes ? » Et son voisin de banc, rétorque, soufflant sur l’ami une haleine de vin mi-doux :

« Le Minhat Its'hak n’a pas compris le passage... »

« Quoi ???!! » s’insurge l’autre. « Tu sais de qui tu parles… ???! » Et ils entrent ensemble, dans une dispute talmudique enflammée et complètement pacifique, que seule l’étude de la Guémara peut générer.

Un autre élève, nommé Yanki, commence un Dvar Torah : il s’assied les jambes croisées sur le sol du bus, dans le couloir entre les sièges, et parle, parle, parle, sans fin, de Limoud, dans la joie, les fous rires, les chants, les « Vortim », les buées d’alcool… et le bus qui tangue.

Le Rav Ganot, qui raconte ce voyage pourimesque auquel il participa, assis lui aussi dans cet autobus hallucinant, conclut : 

“Ce fut là le trajet Bné Brak-Jérusalem le plus magique auquel je n’ai jamais assisté… »  

Pourim: l’ivresse avec talent !!

Un “Mezik” qui ne perd pas l'nord…

Et que dire de cette salle à manger de chiva, où les cuisiniers ont mis les bouchées doubles pour « gâter » les étudiants, et au centre de la table, ont déposé un magnifique gâteau rose, avec des cerises et beaucoup de crème. On vient, on se sert, on s’en coupe un beau morceau, on déguste, et on retourne danser au son de l’orchestre avec violon et clarinette.

Pourim: l’ivresse avec talent !!

Na’houm est là, penché sur son Stender, ivre mais debout, il a mis son Talith sur la tête et fredonne en boucle, sans se lasser, un air plein d’entrain. Mais le jeune homme, que faire, bien éméché, balance très haut une de ses jambes, bercé au rythme de son refrain, si haut qu’il met un pied dans le gâteau… !!! C’est du burlesque, mais la tarte à la crème est désormais immangeable et sa chaussure dégoulinante de matière rose et collante. 

Les copains effarés de voir leur dessert dans cet état lui crient « Mezik !!! » (statut d’une personne qui a abîmé un objet dans le Talmud). 

Et notre doux ivrogne, sans perdre le nord, cite, avec tous les tenants et aboutissants du sujet, précis, aiguisé et lucide comme un avocat qui connaît parfaitement son affaire, tous les cas de figure talmudiques face à l'irréparable dégât : est ce qu’il doit rembourser, combien, et à qui ? Est-ce que le gâteau appartient à la Yéchiva, ou alors aux 800 élèves qui y résident, et alors, il n’y a pas d’obligation de remboursement, etc... (hips !)… etc. (hips !!)  

Pourim: l’ivresse avec talent !!

Vin, révélateur… 

 « Le vin entre » disent nos 'Hazal, « et le secret sort. »

Les perles qui sortent de la bouche de ceux qui aiment la Torah, et se penchent sur ses Écrits jour et nuit, révèlent une intériorité intacte, pure comme celle d’un enfant.

Relativement facile de donner à nos enfants lors des fêtes solennelles, des limites, car elles s’imposent d’elles-mêmes, clairement circonscrites par l’atmosphère solennelle d’un Roch Hachana ou d’un Kippour ; c’est autre chose dans les jours de festin, de pétard, de cigarettes en douce, alors que « tout est permis ». 

Et c’est là peut-être le véritable « test » de notre éducation. Si nos valeurs sont trop superficielles, nos Mitsvot accomplies machinalement, alors à Pourim, baromètre de notre station spirituelle authentique, on découvrira avec étonnement, ce que nos enfants ont absorbé de nous, dans le quotidien. 

Épilogue

« Un roi voulait transporter sa couronne d’un palais à un autre. Sertie à merveille et chère au souverain, il l’entoura de chiffons, de vieux tissus, et la plaça dans un carrosse bancal, de bois usé, pour ne pas éveiller les soupçons des brigands de grand chemin. »

Les choses les plus précieuses, celles qui cachent en elles les charges spirituelles les plus puissantes, ont très souvent été entourées de torchons pour distraire le Satan, qui cherche à mettre son nez là où tout semble « comme il faut ». 

Ainsi Loth, va avoir une descendance par les voies les plus obscures possibles, car Machia'h doit sortir de sa lignée : tout se passe alors « sous les radars », dans la pénombre, pour ne pas éveiller l’attention du Yétser, qui guette. 

De même, ce sont les relations déroutantes entre Yéhouda et Tamar qui vont engendrer l’ascendant du Messie. Et David, notre Roi, vaillant soldat et poète de l’Éternel, issu de cette tortueuse lignée qui doit donner naissance à notre Libérateur, sera longtemps considéré par sa propre famille, comme un enfant illégitime.


Pourim, aux airs guillerets, un peu ivre, léger, cache sous ses guenilles et son apparente désinvolture une couronne étincelante, une profondeur, et une possibilité de se rapprocher du D.ieu vivant, comme aucune autre fête.

Mon D.ieu, quel rendez-vous !

Pourim: l’ivresse avec talent !!