Curieusement, à Pessa’h, de nombreuses Mitsvot doivent être effectuées pendant la nuit, ce qui n’est pas le cas des autres fêtes juives[1]. Cela concerne autant les Mitsvot enjointes par la Torah (comme la Mitsva de manger de la Matsa la première nuit de Pessa’h, de raconter l’histoire de la sortie d’Égypte le soir du Séder ou – à l’époque du Beth Hamikdach – de consommer le Korban Pessa’h) que les Mitsvot instituées par nos Sages (l’obligation de manger du Maror, de boire quatre verres de vin, etc.) Le Hallel est également récité entièrement la nuit de Pessa'h, ce qui est d’autant plus surprenant que la Michna interdit de réciter le Hallel pendant la nuit.[2] Pourquoi insiste-t-on tellement sur l’accomplissement des Mitsvot, précisément la première nuit de Pessa'h ?
Le Gaon de Vilna affirme que c’est la base de la fameuse question que l’on pose le soir de Pessa’h – « Ma Nichtana Halaïla Hazé ». Nous demandons justement pourquoi nous faisons tant de choses spéciales cette nuit-là. Il souligne, par ailleurs, que le mot « Laïla » est féminin et que l’on aurait donc dû dire « Halaïla Hazot » (« cette nuit » et non « ce nuit »). Le Gaon explique que le jour est normalement décrit sous une forme masculine, tandis que la nuit est décrite comme féminine. C’est, entre autres raisons, parce que les hommes sont tenus d’effectuer des Mitsvot limitées dans le temps et généralement accomplies en journée, alors que les femmes en sont dispensées. De plus, les hommes sont comparés au jour, symbolisé par le soleil qui est « Machpia »[3]. En revanche, les femmes sont comparées à la nuit, symbolisée par la lune, qui est le « Mékabel » de la lumière du soleil.[4] En conséquence, la Haggada demande pourquoi la nuit, qui est habituellement féminine, est ici au masculin.
Le Zohar[5] enseigne qu’Hachem a illuminé la nuit de la sortie d’Égypte, comme si c’était le milieu de la journée. Rav Daniel Glatstein[6] relie ce phénomène au verset : « Même les ténèbres ne sont pas obscures pour Toi, et la nuit est lumineuse comme le jour ; l’obscurité est clarté »[7]. Pendant la nuit de la sortie d’Égypte, le ciel fut lumineux comme s’il était midi. Le ’Hida précise que ce verset utilise le masculin « Yaïr » au lieu du féminin « Taïr », parce que cette nuit de Pessa'h, qui aurait dû avoir une caractéristique féminine, fut éclairée comme si c’était le jour.
Avec cette approche, nous pouvons comprendre pourquoi nous accomplissons tant de Mitsvot la nuit de Pessa'h, alors que nous aurions pu les faire en journée. C’est parce que la première nuit de Pessa'h s’est littéralement transformée en jour. Cela explique aussi pourquoi il est permis de réciter le Hallel la nuit de Pessa'h, bien qu’il soit interdit de le faire les autres nuits.
Le Or Ha'haïm[8] explique qu’il ne s’agit pas seulement d’un miracle parmi les nombreux qui furent accomplis pour le peuple juif à la sortie d’Égypte. Ce miracle fut tellement spécial qu’il mérite une mention spéciale, au point que la Torah ordonne : « Véhigadta Lébinkha Bayom Hahou… – Tu le diras à ton fils en ce jour-là. » On nous demande donc de raconter à nos enfants que la sortie d’Égypte eut lieu pendant la nuit qui fut transformée en jour.
Pourquoi le fait que la nuit se soit transformée en jour revêt-il une telle importance ? La nuit représente l’exil et l’incertitude qui l’accompagne, la présence d’Hachem cachée. C’est pourquoi les événements célébrés pendant l’exil sont tempérés (c’est l’une des raisons pour lesquelles nous ne récitons pas le Hallel le jour de Pourim). Par contre, le jour représente la Guéoula et la clarté qui l’accompagne, la Providence dévoilée. Le jour de la sortie d’Égypte, nous avons mérité une rédemption durable : ce n’était pas une délivrance ponctuelle, mais elle se poursuit chaque année, lorsque nous la revivons, lorsque nous la racontons à nouveau. Les germes de la Délivrance finale furent plantés lors de la sortie d’Égypte et c’est la raison pour laquelle nous soulignons dans la Haggada notre espoir en cette Délivrance. Il faut donc que la nuit de la sortie d’Égypte soit considérée comme une journée (avec de nombreuses Mitsvot effectuées) pour symboliser que cette Guéoula est le début de la Délivrance ultime, dans laquelle toute trace d’exil sera définitivement effacée.
Puissions-nous mériter de voir la rédemption finale rapidement de nos jours.
[1] À l’exception de ’Hanouka.
[2] Méguila, 20a.
[3] Littéralement « influenceur » ; dans de nombreux domaines, l’homme est censé aller de l’avant, se projeter vers l’extérieur.
[4] Littéralement « récepteur » ; dans de nombreux domaines, la femme reçoit l’influence extérieure. Bien entendu, il s’agit de définitions larges et générales, qui peuvent se manifester très différemment chez chacun.
[5] Zéroa Yamin cité dans la Hagadda du ’Hida, Oth 86, cité dans le livre Rav Daniel Glatstein sur la Haggada, p.161.
[6] Ibid.
[7] Téhilim 139,12.
[8] Or Ha'haïm, Chémot 13,8.