La Mitsva du compte du 'Omer trouve son origine dans la Torah. Cependant, aujourd'hui que le Temple a disparu, l'essentiel de la signification de cette Mitsva diffère de ce qu'elle était à l'époque du Temple. Nous nous pencherons donc sur l'origine de cette Mitsva, ainsi que sur son application à notre époque, puis nous tenterons de trouver le rapport unissant ces deux significations.
D'autre part, lorsqu'on étudie les lois concernant le compte du 'Omer, certaines questions surgissent : est-ce une seule Mitsva ou bien quarante-neuf Mitsvot ? Si on a "raté" un jour, pourquoi ne peut-on pas le rattraper ? Enfin, pendant cette période, tombe également un événement d'importance : Pessa’h Chéni. Nous présenterons le lien entre ce jour et la Séfirat Ha'omer.
La signification de la Mitsva à l'époque du Temple
Dans la Torah[1] on trouve écrit :
Puis, vous compterez chacun, depuis le lendemain de la fête, depuis le jour où vous aurez offert le ‘Omer du balancement, sept semaines, qui doivent être entières.
Vous compterez jusqu'au lendemain de la septième semaine, soit cinquante jours et vous offrirez à l'Éternel une oblation nouvelle.
Il est une interdiction pour l'ensemble du peuple de récolter les cinq sortes de céréales (blé, orge, épeautre, avoine et seigle) tant que l'offrande du 'Omer n'aura pas été moissonnée. Le 16 Nissan (même si cela tombait un Chabbath), le Beth Din organisait en grande pompe ce début de la moisson de l'orge puis on envoyait les trois Séa récoltés (à peu près 20 litres) au Temple.
A partir de ce jour, il fallait compter 49 jours pour apporter une autre offrande : les 2 pains de Chavou’ot. Le Sforno[2], dans son commentaire sur la Torah livre une explication à ce rituel :
Et puisque la réussite de la moisson dépendra du temps qu'il fera à partir du début du printemps jusqu'à la moisson, comme il est dit (dans Jérémie) "Il nous réserve régulièrement les semaines déterminées pour la moisson", le 'Omer était en fait un remerciement pour le printemps et le sacrifice qui venait avec lui était comme une prière pour le futur, et le compte était un rappel qu'il fallait prier chaque jour, et la fête de la moisson (Chavou’ot) était un remerciement pour la bonne moisson.
Selon le Sforno, les jours séparant Pessa’h de Chavou’ot étaient des jours d'incertitude, pendant lesquels le peuple priait pour que la récolte soit bonne. Ce sens donné à la Mitsva du compte du 'Omer pouvait concerner la majorité du peuple il y a 2000 ans, mais aujourd'hui qu'en est-il ?
La Mitsva aujourd'hui
Il existe de nombreuses explications à cette Mitsva. Nous nous attarderons sur les plus connues. D'une part, ce compte symbolise notre impatience de recevoir la Torah à Chavou'ot et d'autre part, ces jours doivent être une préparation morale à cet événement.
Pour ce qui est de la première raison, il est écrit dans le Midrach (cité par le Rachba[3]):
Au moment où Moïse a dit à Israël "vous servirez D.ieu sur cette montagne", Israël lui a dit: Moïse notre maître quand aura lieu ce service ? Il leur répondit après cinquante jours. Ils comptèrent alors chacun pour soi-même. De là les Sages ont institué le compte du 'Omer à notre époque.
Et également dans Le guide des égarés du Rambam.[4]
La fête de Chavou'ot est le jour du don de la Torah. Pour glorifier et honorer ce jour, on compte les jours à partir de la première des fêtes (Pessa’h) jusque-là (Chavou'ot), comme quelqu'un qui attend l'arrivée de son meilleur ami et qui compte les jours et les heures. C'est pour cette raison que l'on compte le 'Omer à partir du jour de la sortie d'Egypte jusqu'au jour du don de la Torah qui était le véritable but de cette sortie.
Et en ce qui concerne la seconde raison il est écrit dans le Zohar[5] :
Quand Israël était en Egypte, ils [les enfants d’Israël] se rendirent impurs par toutes sortes d'impuretés à tel point qu'ils se trouvaient sous les 49 forces d'impureté, et D.ieu les sortit de l'asservissement de ces forces et de plus les amena aux 49 portes de pureté. Et c'est pour cela que nous comptons le 'Omer à partir de Pessa'h jusqu'à Chavou'ot car chaque jour Il nous a sorti d'une force d'impureté et nous a amenés dans une force de pureté.
Et le Ari zal[6] de préciser:
Il est bon de penser pendant ces 49 jours à réparer les fautes que l'on a commis dans les sept Séfirot. (Les 7 sphères célestes)
Lorsque le Ari évoque les sept Séfirot, il fait allusion aux sept "Midot", traits de caractère, qui leur sont associés. Chaque semaine permettra la réparation d'une "Mida". Ainsi, ces quarante-neuf jours sont donc une préparation spirituelle au don de la Torah. Il semble donc qu'il n'y ait aucun rapport entre cette manière d'appréhender la signification de la Séfirat Ha'omer et l'explication "agricole" amenée par le Sforno.
En fait il en existe un.
La Séfirat Ha'omer dans le service de D.ieu
La symbolique véhiculée par ces rituels d'offrandes au Temple est en totale adéquation avec l'idée selon laquelle la période du 'Omer est propice à une élévation spirituelle préparant à la fête du don de la Torah.
La ‘Hassidout[7] explique :
Et pour recevoir la Torah qui est la Volonté de D.ieu ici-bas, si l'on peut s'exprimer ainsi, il faut d'abord une dimension d'annulation pour l'âme animale. C'est-à-dire par le balancement du 'Omer et le compte du 'Omer. Car le 'Omer provenait de l'orge qui est un aliment pour les animaux.
Telle est la symbolique de cette mesure d'orge. Durant le 'Omer, l’offrande provenant d'un aliment destiné aux animaux, l'homme se doit de travailler sur son âme animale.
Ceci demande plus amples explications.
Au moment de la sortie d'Egypte, le peuple était "dénudé" de Mitsvot, son niveau spirituel était au plus bas. Son seul mérite fut sa foi parfaite, son annulation envers Dieu et Son prophète Moïse.
Cette annulation, ce "Bitoul", est symbolisé par la Matsa, ce pain qui n'a pas levé. Mais cet état n'est pas idéal. L'homme ne doit pas servir D.ieu avec son seul "Bitoul", il doit aussi utiliser toutes les forces morales de son être. Seulement, ces forces sont sans cesse sollicitées par le mauvais penchant, l'âme animale, qu'il faut apprendre à "dompter". La période du 'Omer est propice à ce travail. L'offrande d'orge était "balancée" de bas en haut par le Cohen, ceci symbolisant l'élévation de cette âme animale. Une élévation qui doit se poursuivre durant 49 jours jusqu'à Chavou'ot, le don de la Torah. De son statut "animal", le Juif passe au statut d'Homme. C'est pour cette raison qu'à Chavou'ot on apporte une offrande non plus d'un aliment destiné à l'animal mais bien de blé (les deux pains) base de l'alimentation humaine.
Après avoir traité de l'origine de cette Mitsva nous allons maintenant nous pencher sur quelques détails de son application pratique.
L'application de la Mitsva
Il est écrit dans le Choul’han ‘Aroukh[8]:
S’il a oublié de faire la bénédiction (de compter) l'un des jours, que ce soit le premier ou bien les suivants, il comptera les suivants sans bénédiction. Mais si il a un doute, peut-être a-t-il manqué de compter un jour il comptera les autres jours en récitant la bénédiction.
C'est une Halakha bien connue : si on a "manqué" un jour du compte du 'Omer, on ne peut plus continuer à compter en récitant la bénédiction. La raison est expliquée dans les différents commentateurs du Choul’han ‘Aroukh : il y a un avis qui soutient que les 49 jours du compte du 'Omer sont autant de Mitsvot et donc selon cet avis même si un jour manque, il n'y a aucun rapport avec les 48 autres et l'on pourra continuer à compter normalement.
À l'inverse, certains décisionnaires pensent que toute la Séfirat Ha'omer n'est qu'une seule et même Mitsva. Donc, selon cet avis, si ne serait-ce qu'un seul jour manque, la Mitsva n'est plus complète.
Il nous faut comprendre : selon quel avis la Halakha a-t-elle été tranchée ?
Si on dit que ces 49 jours sont une seule et même Mitsva, pourquoi fait-on une bénédiction sur chaque jour ? On aurait dû plutôt n'en faire qu'une seule au début ou à la fin du compte.
En plus de cela, selon cet avis, si on manque un jour, non seulement les jours suivants seront affectés puisqu'on ne pourra plus dire de bénédiction, mais aussi tous les jours précédents dont la bénédiction aura été récitée "Lévatala" (en vain) a posteriori. Sachant cela on aurait dû instituer une bénédiction seulement à la fin du compte, après avoir compté tous les jours sans exception.
En fait, la Séfirat Ha'omer est bien composée de 49 Mitsvot différentes[9]. Cependant, la Mitsva consiste justement à compter pour la première fois le premier jour, la seconde fois le second jour etc. Si, par exemple, il manque le quatrième jour, on comptera alors pour la quatrième fois le cinquième jour. Le compte sera donc faussé. Malgré tout, chaque jour étant une Mitsva en soi, les jours précédents l'erreur ne seront pas annulés a posteriori.
On peut déduire un enseignement moral de cette Halakha. Comme nous l'avons mentionné précédemment, cette période est propice au perfectionnement des "Midot".
Chaque jour est un échelon différent, qui permet d'accéder au suivant, plus haut. En manquer un, remet en cause toute la progression qui devait suivre car le perfectionnement moral est un travail progressif, aujourd'hui plus qu'hier et moins que demain. Si le travail d'aujourd'hui n'est pas fourni, il ne pourra pas m'amener à celui de demain.
Ceci peut paraître un peu désespérant. Pourtant, il n'en n’est rien car nous avons aussi l'enseignement de Pessa’h Chéni.
Il est écrit dans la Torah :
Or, il y eut des hommes qui se trouvaient souillés par des cadavres humains, et qui ne purent faire la Pâque ce jour-là. Ils se présentèrent devant Moïse et devant Aaron, ce même jour et ces hommes lui dirent : "Nous sommes souillés par des cadavres humains ; mais pourquoi serions-nous privés d'offrir le sacrifice du Seigneur en son temps, seuls entre les enfants d'Israël ? "… Et l'Éternel parla à Moïse en ces termes : "Parle ainsi aux enfants d'Israël : si quelqu'un se trouve souillé par un cadavre, ou sur une route éloignée, parmi vous ou vos descendants et qu'il veuille faire la Pâque en l'honneur de l'Éternel, c'est au deuxième mois, le quatorzième jour, vers le soir, qu'ils la feront ; ils la mangeront avec des azymes et des herbes amères, n'en laisseront rien pour le lendemain, et n'en briseront pas un seul os : ils suivront, à son égard, tout le rite de la Pâque.
Ceux qui n'avaient pu sacrifier l'agneau pascal pouvaient se "rattraper" un mois après, le 14 Iyar. C'est un cas unique dans la Halakha. Peut-on secouer le Loulav le 15 ‘Hechvan si on ne l'a pas fait le 15 Tichri ? Non bien sûr. Il n'y a que Pessa’h qui bénéficie de ce privilège. Et le fait que cela tombe pendant la Séfirat Ha'omer (le compte du 'Omer) vient nous apprendre quelque chose d'important.
Il existe dans la tradition ‘hassidique un enseignement[10] qui dit :
Pessa'h Chéni souligne qu'il n'est jamais trop tard. Il est toujours possible de réparer. Pour celui qui était "impur", ou "dans un chemin lointain", même si cela était "pour vous", de sa volonté délibérée, il reste néanmoins possible de rectifier.
C'est justement pendant la Séfirat Ha'omer que Pessa'h Chéni vient nous enseigner que rien n'est jamais perdu en ce qui concerne le service de D.ieu. En effet, le mauvais penchant se sert de tous nos "ratages" pour nous décourager et nous empêcher de poursuivre notre route.
Ceci est particulièrement vrai en regard de ce que nous avons vu précédemment : que l'évolution spirituelle durant la Séfirat Ha'omer doit être continue et sans "ratages".
Malgré tout, il est toujours possible de réparer. . .
Pour finir, remarquons que des événements ayant eu lieu pendant la Séfirat Ha'omer nous enseignent sur quel domaine du service de D.ieu on doit particulièrement mettre l'accent.
En effet, on sait que cette période fut celle de la mort des 24 000 élèves de Rabbi Akiva qui ne se respectaient pas assez les uns les autres, malgré leur immense érudition en Torah. Tel est donc l'essentiel du "Tikoun" en cette période : la Ahavat Israël à propos de laquelle le même Rabbi Akiva a dit que c'est un grand principe de la Torah. Et par le mérite de cette Mitsva nous mériterons la reconstruction du Temple et pourrons respecter parfaitement cette Mitsva du compte du 'Omer.
[1] Vayikra 23, 15
[2] Vayikra 23,8
[3] Responsa Tome 3 chapitre 284
[4] Troisième partie chapitre 43
[5] Emor page 39a.
[6] Cha'ar Hakavanot Pessa'h discours 11.
[7] Likouté Torah Emor 35d.
[8] Ora’h' 'Haïm 489,8.
[9] Voir Cha’ar Hamo’adim sur Séfirat Ha'omer page 40.
[10] Hayom Yom 14 Iyar.