La période qui s’étend entre Pessa’h et Chavouot a été, on l’a déjà écrit, un apprentissage de la liberté, au lendemain de la période d’esclavage. Cet apprentissage a connu les avatars d’un début et d’une préparation à l’accoutumance d’une nouvelle servitude. Le verset de la Torah le dit clairement à plusieurs reprises : « Car les enfants d’Israël sont à Moi, serviteurs, Mes serviteurs que J’ai fait sortir d’Égypte » (Lévitique 25, 55). Or, cette période – propédeutique – est un résumé de l’Histoire, et en particulier de l’histoire du peuple juif, puisqu’elle s’achèvera par la Révélation du Créateur, et sera alors « gravée » dans le devenir historique du peuple juif (le même terme « ’Hérout » exprime l’idée de « graver » – ‘HAROUT – et le concept de libération – ‘HÉROUT).

La Révélation transcende le temps, mais elle s’inscrit DANS le temps, de même qu’elle s’exprime dans l’espace, tout en le transcendant. La Révélation a donc eu lieu 50 jours après la sortie d’Égypte, et ces 7 semaines, préparatoires à la Révélation, sont chargées d’évènements qui doivent, à chaque génération, nous « réinviter » à réfléchir. Dans cette perspective, il importe de remarquer que cette période qui marque l’émanation du spirituel, de l’Infini, de l’Absolu vers le créé, vers le relatif, cette période inclut les 3 échelons de la création : le minéral, l’agricole et le vivant. Le minéral, c’est, évidemment, le compte qui identifie le créé, l’inerte. Compter, c’est s’insérer dans la création, l’éclairer pour lui donner un SENS, une direction, une lueur. Compter, c’est indiscutablement le premier étage, dès les premiers 6 jours de la création. C’est retrouver, dès le départ, la trace de l’Infini dans le fini, c’est-à-dire dans le minéral.

La deuxième dimension, végétale, est évidemment traduite par le ‘Omer, cette quantité d’orge que l’on apportait au Temple, dès le lendemain de Pessa’h. Cette quantité – évoquée déjà dans la Torah pour la quantité de « manne » destinée à chaque famille, pendant les 40 années du passage dans le désert. « ’Omer » était la quantité de nourriture nécessaire pour la consommation journalière de chaque individu. 

La troisième dimension, celle du vivant, est également incluse ici. Au niveau animal, le Midrach dit que la nature entière a arrêté de fonctionner au moment de la Révélation. Les animaux se sont tus, un silence absolu a régné dans l’univers au moment où a eu lieu cette déchirure, cette émanation de l’Absolu vers le Relatif. Au niveau humain, du « pensant », la Révélation implique donc la purification et c’est le rôle des 49 jours du compte, de nous amener à prendre conscience de l’évènement unique que fut la Révélation sinaïtique. 

Les 3 dimensions – minérale, végétale, animale (et pensante) – traduisent donc la trace de la Transcendance. Le compte de l’'Omer nous prépare à cette confrontation unique du Créateur et de la créature. C’est ici qu’apparaît le rôle et surtout la récompense du croyant, car il lui revient de se montrer capable de recevoir la Révélation. Cette capacité doit être ressentie à chaque génération, quand l’on éprouve la vérité du Tout-Puissant. Tout le créé, tout le sensible est engagé dans cette intervention inouïe de la Transcendance, dans ce bouleversement métaphysique. Cette convergence est dangereuse, car elle touche aux degrés supérieurs de l'Être. De ce danger, proviennent les obstacles symbolisés par 'Amalek, et traduits, par exemple, par l’épidémie qui a frappé les élèves de Rabbi 'Akiva. Ils avaient été proches, selon les Kabbalistes, de redécouvrir le mystère des premières Tables de la Loi, brisées par Moché. Il y a donc danger, mais aussi fondamentalement joie d’apprendre à se débarrasser des scories du matérialisme : ici le but de l’Histoire est presque atteint, mais il est annoncé. C’est pourquoi, au moment de la Révélation, les âmes des enfants d’Israël sont montées au ciel, mais elles sont aussitôt revenues dans les corps. La Révélation divine est l’objectif de la Création, pour arriver à la délivrance. Mais il faut, alors, agir. C’est le message de la Torah. Elle implique l’Histoire de l’humanité, la signification de la Vérité. Elle nous transcende, mais par là-même, elle nous rapproche du Créateur. Sa trace, terme utilisé par Levinas, nous permet de découvrir Celui qui a créé le monde. Tâche essentielle à affronter, à chaque génération, préparée par le compte du ‘Omer, et enseignée au Mont Sinaï. Remercions le Créateur de nous avoir révélé la Torah !