Le texte de la Haggada, récité le soir du Séder à Pessa’h, est bien connu, concernant les 4 fils, symboles de 4 options : le Sage, le Méchant, le Simple et celui qui ne sait pas interroger. C’est le Méchant, le Racha, qui, ayant posé une question désobligeante, est rejeté, avec violence. Il a dit : « Que signifie cette pratique pour vous ? » et on lui répond : « Il a dit ‘pour vous’, donc il s’exclut de la collectivité, il nie le Tout-Puissant. A toi de lui briser les dents. S’il avait été en Egypte, il n’aurait pas été libéré ». Donc, on cherche à le repousser, sans lui donner une possibilité de se racheter. Et pourtant ne devrait-on pas tenter de le récupérer ?
L’attitude envers le ‘Hamets à Pessa’h est semblable. On le rejette la veille de Pessa’h, on vérifie bien qu’il ne reste pas une miette de ‘hamets, et ce qui reste, on le brûle. Donc, rejet absolu ! Et pourtant, dès le lendemain de Pessa’h, on consomme à nouveau du pain. Le ‘Hamets est bien accueilli. Mieux, à Chavouot une oblation spéciale – 2 pains, ‘Hamets bien sûr – est offerte au Temple, alors que, toute l’année, toutes les obligations doivent être faites sans levain. Alors, pourquoi à Chavouot cette dérogation, apporter au “lendemain” de Pessa’h, au Temple, une offrande contenant du ‘Hamets ?
Il semble bien qu’ici apparaît un aspect important de la relation de la Torah au problème de l’existence constante du NÉGATIF dans notre rapport avec le monde matériel. On peut ainsi, si l’on définit le ‘Hamets comme l’élément pouvant être négatif (mais sans l’être réellement, comme on le précisera plus loin), on peut donc distinguer 3 étapes, clairement déterminées à Pessa’h : mise en garde, élimination, mais récupération. D’abord, il faut prendre conscience AVANT toute action de la séduction possible du matériel – c’est en brûlant le ‘Hamets à la veille de Pessa’h que nous prenons conscience de sa potentialité négative (c’est d’ailleurs inscrit dans une prière particulière que l’on récite, au moment où l’on brûle le ‘Hamets, prière qui fait allusion aux étincelles d’impureté sises dans la matière). Le deuxième temps, c’est l’élimination du mal, PENDANT Pessa’h : on rejette le Racha, il ne doit pas s’intégrer dans notre vie. C’est la suppression totale du ‘Hamets qui, pendant la fête, n’a pas le droit d’exister. Il est totalement interdit, et seule est autorisée la Matsa, élément épuré de tout ferment. Mais, troisième temps, APRES la fête, une fois qu’on a compris les dangers liés à la fermentation, c’est-à-dire à l’influence du MAL, il faut nécessairement vivre avec l’élément matériel, car c’est notre assise naturelle. Il ne s’agit plus, après Pessa’h, d’exclure le négatif, mais de le combattre ou bien de lui donner une signification, c’est-à-dire de comprendre sa nécessité. Pour cette raison, il faut donc récupérer le Racha, le rapprocher de la source spirituelle. C’est pourquoi l’on offre à Chavouot un sacrifice AVEC du ‘Hamets, alors que dans le Temple, ce n’est, ordinairement, pas autorisé. Il s’agit de bien prendre conscience que, sans base matérielle, sensible, concrète, le monde extérieur ne saurait survivre. Les sages soulignent qu’il faut toujours faire en sorte que le Yetsèr Ha-Tov, le bien, irrite le Yetser Hara, le mal. L’existence du MAL, du mauvais penchant, est nécessaire car il donne sa valeur au Yetser Ha-Tov, qui autrement serait neutre ; se soumettre à lui, écouter sa séduction est négatif. C’est la leçon du passage de la suppression, d’abord, à la confrontation nécessaire tout au long de l’existence.
Un tout petit signe sépare, en hébreu, le ‘Hamets de la Matsah, différence entre le ח (Hèt) du mot ‘Hamets et le ה du mot Matsa. Cette distinction oppose en réalité l’instant à la durée. La fabrication de la Matsah est courte ; il faut éviter toute fermentation, alors que le processus de fabrication du pain est long, lié précisément à la longueur du temps. On ne peut pas vivre sans cette durée. A Souccot, nous rassemblons les 4 espèces végétales, en incluant les feuilles de saule, qui ne sont ni odorantes ni comestibles. Il importe d’exercer une influence sur le négatif. Le matériel est objet de la création ; il faut apprendre à le sanctifier, à prononcer une bénédiction avant toute jouissance. En apportant à Chavouot les premiers fruits, les bikourim, on exprime notre reconnaissance au Créateur pour les bienfaits matériels qu’Il nous accorde. Il est intéressant, à ce niveau, d’évoquer une seule exception – en dehors des 2 pains de Chavouot – à la règle interdisant le ‘Hamets au Beth Hamikdach. Lorsque l’on désire exprimer sa reconnaissance au Créateur en apportant un sacrifice au Temple, pour avoir été sauvé d’un grave danger, ce sacrifice de reconnaissance – Korban Toda – était aussi accompagné d’une offrande avec du ‘Hamets. Cela signifiait la reconnaissance du bénéficiaire pour l’intervention miraculeuse du Tout-Puissant dans le monde matériel. Telle est la leçon à tirer du passage de la Matsa au ‘Hamets : reconnaître – au double sens du terme : connaissance et remerciement – l’intervention de la Providence dans l’instant, dans la durée, dans notre histoire personnelle et dans le devenir historique.