La fête de Chavou'ot est décrite comme « Zman Matan Toraténou – le temps du don de notre Torah ». Il semblerait plus approprié de l’appeler « Zman Kabbalat Toraténou – le temps de la réception de la Torah », puisque l’on célèbre le fait que nous ayons reçu la Torah. En réalité, les Tables de la Loi qui ont été données à Chavou'ot, furent ensuite détruites lors de la faute du veau d’or. Les Tables que nous avons, furent reçues plus tard, le jour de Kippour. Par conséquent, on marque le fait que Hachem nous ait donné la Torah et non le fait que nous l’ayons reçue.
Cela soulève une question. Pourquoi est-il si important de marquer le moment où Hachem nous a donné la Torah ? Il existe plusieurs réponses à cette question. Tout d’abord, nous nous concentrons sur l’immense bonté de Hachem Qui nous a offert ce cadeau. De plus, le don de la Torah transforma l’essence de la création et c’est ce que nous célébrons ce jour-là.
En quoi l’essence du monde fut-elle métamorphosée ? Pour comprendre, penchons-nous d’abord sur la relation entre le matériel et le spirituel. L’être humain est composé d’un corps et d’une âme. Le corps est une entité tangible, il est marqué par des pulsions et des désirs physiques tandis que l’âme est une entité intangible qui aspire à un lien spirituel. Ces deux entités semblent totalement opposées quant à leurs aspirations, leurs objectifs et leurs plaisirs. Par conséquent, il est « naturel » qu’une personne ne puisse se concentrer sur les deux entités en même temps ; elle se focalise sur son corps ou sur son âme.
Jetons un coup d’œil rapide sur l’approche non juive du corps et de l’âme à travers l’Histoire et nous aurons confirmation de cet état de fait. Il y a toujours eu deux approches distinctes ; celle consistant à se livrer totalement aux plaisirs du corps, avec une inconscience totale des désirs de l’âme. L’autre approche consiste à se focaliser sur l’âme uniquement et à exclure complètement le plaisir physique.
Au sens large, le monde occidental a adopté la première approche. Les gens passent la majeure partie de leur vie à la recherche du plaisir physique et du succès matériel. En revanche, les religions orientales séparent l’individu de son corps et développent le côté spirituel par la méditation et l’abstinence. Notons toutefois qu’aucune des deux approches ne semble avoir été couronnée de succès. Dans le monde occidental, beaucoup de gens jouissent d’une grande richesse et se livrent à de nombreuses activités agréables, et pourtant ils sont en proie à un sentiment de vide et à l’absence de véritable but. D’ailleurs, de nombreux Occidentaux passent du temps en Orient pour tenter de s’accrocher à un peu de spiritualité. D’autre part, la plupart des gens sont incapables de supporter l’extrême inverse et de vivre complètement coupés du monde matériel.
Or, il est logique qu’un individu doive choisir entre le corps et l’âme ; on ne peut pas combiner les deux, vu leur nature opposée. Nous le savons, le judaïsme met l’accent sur la spiritualité, à travers l’apprentissage de la Torah, la prière et la réflexion. Mais le spirituel est également atteint à travers des activités physiques, telles que des actes de bonté, le fait de secouer les quatre espèces, de manger de la Matsa etc. De plus, le judaïsme ne promeut pas l’ascétisme au degré des religions orientales. La Torah nous enjoint de nous marier et d’avoir des enfants, de bien manger (pour les bonnes causes), et elle ne dédaigne pas la réalisation matérielle si elle est faite de la bonne manière. Ce qui est important, toutefois, c’est d’utiliser ces choses dans un contexte spirituel ; ce sont des moyens à utiliser pour se connecter à Hachem.
Comment le Juif peut-il effectuer cette combinaison apparemment paradoxale ? La réponse est simple, c’est grâce au don de la Torah - Matan Torah. Ce fut un événement clé de l’histoire, parce que ce jour-là, des mots et des concepts spirituels et infinis sont descendus dans le monde physique et fini, sous la forme de la Torah. C’est en soi un événement paradoxal, mais le fait qu’il eut lieu prouve qu’il est à présent possible de combiner le corps et l’âme. Cette capacité n’a été donnée qu’au peuple juif, qui fut le seul à accepter la Torah. C’est à travers la Torah que le corps et l’âme peuvent travailler ensemble pour atteindre la perfection. N’ayant pas reçu la Torah, les autres nations n’ont pas la capacité de combiner le corps et l’âme, et doivent choisir entre l’un ou l’autre.
Plusieurs sources montrent que Chavou'ot, en particulier, met l’accent sur cette combinaison du corps et de l’âme. Par exemple, le Maharal souligne que c’est la seule occasion où l’on offre un Korban Chélamim général, communautaire. « Ce jour-là, la paix réside et les mondes supérieurs et inférieurs sont fortement liés. »[1] Par ailleurs, les avis (des Tanaïm) sont partagés quant à la façon de se comporter pendant les Yamim Tovim. Rabbi Yéhochoua estime que l’on devrait consacrer une partie de son temps à des activités spirituelles, et le reste de son temps à la jouissance physique. Rabbi Eliezer soutient qu’il est impossible d’être impliqué à la fois dans la spiritualité et dans la matérialité, il convient donc de choisir de se concentrer totalement sur l’un ou sur l’autre. Ainsi, d’après Rabbi Eliezer, on devrait se livrer uniquement à des activités spirituelles telles que l’étude et la prière, et exclure les plaisirs physiques, comme manger et boire. Or, la Guémara précise ensuite qu’en ce qui concerne Chavou'ot, même Rabbi Eliezer s’accorde à dire que l’on doit aussi profiter du matériel – manger et boire. La raison invoquée est qu’il s’agit du jour où la Torah a été donnée.[2]
On aurait pu penser que Chavou'ot en particulier devrait être uniquement consacré à des activités spirituelles étant donné que c’est le jour où la Torah a été donnée. En réalité, même Rabbi Eliézer pense que Chavou'ot est différent et qu’il est possible durant cette fête d’allier spiritualité et matérialité. En ce jour, les deux forces ne sont pas en contradiction, elles peuvent œuvrer ensemble pour une plus grande révélation du Kavod Chamaïm.
Ainsi, Chavouot nous permet de vivre une vie spirituelle sans mettre de côté le monde physique. Ce n’est pas une tâche facile, mais c’est un moment propice pour travailler dans ce domaine.
Puissions-nous tous réussir dans cette entreprise.
[1] Tiféret Israël, Chap. 25.
[2] Pessa’him 68 b.