Rabbi Chlomo, émissaire de la communauté juive persécutée, rend visite au roi de son royaume et lui annonce que s’il ne change pas d’attitude avec les Juifs de son royaume, les ressources en or du royaume vont se tarir.
Le roi rit et congédie le rabbin sur-le-champ. Toutefois, le lendemain, son conseiller lui annonce l’épuisement des réserves en or du royaume. Le roi se souvient alors de la prédiction, et convoque Rabbi Chlomo au palais.
Décidé à lui donner une bonne leçon, il demande à Rabbi Chlomo : « Peux-tu me donner la date de ton départ de ce monde ? »
Rabbi Chlomo comprend que le roi va le condamner à mort, et qu’il essaie de le piéger.
Une idée fulgurante lui traverse la tête : « Roi, je ne connais pas cette date, mais, ce que je peux vous dire c’est que ce sera le même jour où son altesse quittera également ce monde… »
La Paracha de la semaine aurait pu rester parmi les passages les plus emblématiques de la Torah dans la mesure où les Sages ont envisagé un temps d’en faire figurer un morceau dans le texte du Chéma’ Israël. En effet, il faut mesurer l’enjeu déterminant de cette Paracha qui fait peser une menace très forte sur les Bné Israël : une menace de malédiction, d’être chassés de la terre, voire d’être chassés du monde, D.ieu nous en préserve.
Toutefois, en lieu et place de la malédiction promise par Balak et Bil'am au peuple juif, nous assistons à une bénédiction, et à une glorification de la grandeur et de la beauté du peuple d’Israël, selon la formule bien connue « Quelles sont belles tes tentes Jacob, tes petits sanctuaires, Israël ! » sortie de la bouche de Bil'am lui-même. Il s’agit d’un sauvetage miraculeux une nouvelle fois des enfants d’Israël que nos Sages souhaitaient que l’on garde en tête en permanence.
Il faut dire que Bil'am était un personnage très particulier dans la mesure où D.ieu l’avait doté d’un pouvoir prophétique très fort, comparable, nous disent les Sages, à celui de Moché Rabbénou lui-même. Cependant, comme nous le voyons dans notre texte, Bil'am n’exploitera pas ses capacités extraordinaires conformément à la volonté de D.ieu mais il les mettra au service de la matérialité et de l’impureté.
Cette volonté perverse de Bil'am l’emportera lui et ses facultés prodigieuses, elle mettra une limite infranchissable à sa capacité prophétique dont il a sous-estimé qu’elle ne venait que de D.ieu.
Ces déconvenues nous sont exposées dans notre Paracha à la faveur d’un passage où se mêlent le fantastique et le burlesque et qui nous présente une ânesse dotée de la parole et d’une vision pénétrante. En effet, alors que Bil'am s’achemine vers Moav, chevauchant son ânesse, cette dernière interrompt brusquement sa marche par trois fois, manquant de faire tomber Bil'am. Le texte nous précise que l’animal est effrayé par la vision d’un ange qui barre la route avec une épée à la main. Bil'am ne perçoit pas cette scène et s’en prend à son animal dont il ne comprend pas la réaction et lui donne trois séries de coups de bâton. C’est alors que l’ânesse se met à parler, en ces termes : « Alors l'Éternel ouvrit la bouche de l'ânesse, qui dit à Bil'am : "Que t'ai-je fait, pour que tu m'aies frappée ainsi à trois reprises ?" » (chap. 22, verset 28).
Rachi s’intéresse alors à l’expression « à trois reprises » et la commente de la manière suivante :
Ces trois fois (Régalim) : [Hachem] lui a transmis l’allusion suivante : « Comment peux-tu vouloir anéantir un peuple qui célèbre tous les ans trois fêtes de pèlerinage (Régalim) ? » (Midrach Tan‘houma).
Cet épisode témoigne des limites fondamentales des facultés dont dispose Bil'am. Il est confronté à une situation inédite où il n’a pas vu ce que son ânesse a vu. Lui, le grand prophète qui se targue de ses capacités extraordinaires à plusieurs reprises (Nombres chap. 24, versets 3-4 et 15-16) : « il proféra son oracle en ces termes : "Parole de Bil'am, fils de Beor, parole de l'homme au clairvoyant regard, de celui qui entend le verbe divin, qui perçoit la vision du Tout-Puissant, il fléchit, mais son œil reste ouvert », échoue à voir ce qu’un animal voit.
Le commentaire de Rachi peut nous permettre de mieux saisir la portée de cet évènement.
Rachi relève un jeu de mots très significatif entre les coups de bâton donnés à trois reprises « Chaloch Régalim » et les trois fêtes de pèlerinage désignées également sous le terme « Chaloch Régalim ». Or, l’une des spécificités de ces fêtes était précisément de monter à Jérusalem afin d’accomplir la Mitsva de « 2 » c’est-à-dire voir le Temple et y être vu par la Chékhina, la Présence divine. Cette double vision qui s’accomplissait conférait au pèlerin un supplément d’âme, un supplément de sainteté et le rapprochait de D.ieu.
Nos Sages nous enseignent précisément que la vision a ceci de spécifique qu’elle transmet à l’homme un flux de sainteté lorsqu’il observe des choses ou des êtres élevés spirituellement, et, D.ieu nous en préserve, l’homme peut également perdre de sa sainteté s’il observe des choses ou des êtres mauvais ou impurs. Certaines choses ont même une sainteté si forte que l’homme doit s’abstenir de les voir, car il ne peut les supporter.
En rappelant de manière allusive à Bil'am que le peuple Juif a le privilège extraordinaire de voir et d’être vu par la Chékhina trois fois par an, notre texte lui indique que les enfants d’Israël possèdent une sainteté et une proximité avec Hachem toutes particulières contre lesquelles Bil'am ne peut rien. Lui qui n’est même pas capable de voir un ange contrairement à son ânesse, comment peut-il espérer atteindre les Bné Israël ?
Cet épisode nous rappelle ainsi que l’homme n’a de force et de réussite que lorsqu’il suit la volonté de D.ieu, mais dès qu’il s’en éloigne, ses facultés l’abandonnent, le trahissent, l’égarent et il peut tomber en-dessous des animaux.
L’orgueil et la vanité dont fait preuve Bil'am lorsqu’il évoque ses « pouvoirs » n’en paraissent que plus dérisoires. Ils soulignent à quel point ces traits de caractère éloignent l’homme de D.ieu et le font sombrer dans une démesure et une ivresse de lui-même mortifère.
La tradition juive enseigne en contrepoint à l’homme que le chemin d’or que chacun doit suivre dans sa vie est celui du juste milieu, de l’humilité et de la recherche authentique de la bonté et de la justice sans céder aux mirages de la gloire.
On ne trouverait de meilleure conclusion que celle de notre Haftara à travers les mots du prophète Mikha (chap. 6, verset 8) : « Homme, on t'a dit ce qui est bien, ce que l'Éternel demande de toi : rien que de pratiquer la justice, d'aimer la bonté et de marcher humblement avec ton D.ieu ! »